Les exportateurs mais aussi les importateurs, doivent d’ores et déjà faire face à de grosses turbulences dans les taux de change, notamment dans les pays émergents. L’éclatement de la bulle boursière en Chine, elle même une des conséquences du fort ralentissement de la croissance chinoise, a été à l’origine de la décision des autorités chinoises, le 11 août, de déprécier le renmimbi (RMB), également appelé yuan. Par trois fois la semaine dernière, le taux de change pivot de la monnaie chinoise par rapport au dollar (USD)* a ainsi été baissé successivement de 1,6 %, puis de 2 % et de 1 %, s’établissant finalement, le 13 août, à 6,4010 RMB pour 1 USD. Soit une dépréciation de 4 % de la monnaie chinoise en une semaine. Une décision politique qui a soudainement rappeler au monde que la monnaie chinoise reste non librement convertible et soumise aux changements de stratégies des autorités politiques.
Déjà un choc de compétitivité pour les entreprises travaillant avec la Chine, cette dévaluation, pour être progressive, n’en a pas moins aussi un effet considérable sur les devises d’autres pays émergents, déjà malmenées par les effets de la chute des cours du pétrole et du ralentissement économique des grands pays émergents, Inde mise à part (outre la Chine, le Brésil mais aussi la Russie, dont le rouble a considérablement baissé). Car en redonnant de la compétitivité aux produits chinois, elle met sous pression des pays en concurrence frontale avec eux.
Le Vietnam, dont le dong est lui aussi géré par les autorités politiques, a dévalué de 1 % le taux de change pivot de sa monnaie face au dollar le 19 août – à 21890 VND au lieu de 21673 VND pour 1 USD-, soit la troisième dévaluation décidée par les autorités vietnamiennes en un an, tout en élargissant à 3 % (au lieu de 2 % précédemment) la marge de fluctuation par rapport à son cours pivot. Le ringgit malaisien (MYR), qui est lui soumis à la loi du marché, pourrait lui aussi connaître une chute brutale : il a déjà fortement baissé, et les réserve de change du pays sont au plus bas, étant passé en dessous des 100 milliards USD pour la première fois depuis 2010, selon l’agence Bloomberg.
Mais d’autres dévaluations sont à prévoir car la décision chinoise intervient dans un contexte global qui met depuis des mois sous pression les économies et les finances de nombreux pays émergents : la hausse des taux d’intérêts américains, qui a provoqué le retour massif des investisseurs financiers sur le marché américain, mais aussi la chute des cours du pétrole, qui a considérablement fragilisé les pays producteurs.
La récente décision du Kazakhstan de laisser filer le tengue et d’instaurer un régime de flottement de sa monnaie, le tengue, est ainsi indirectement due à la dévaluation chinoise, celle-ci étant la goutte d’eau qui s’ajoute la baisse drastique des revenus pétrolier et à la dévaluation du rouble (RUB) russe. Au lendemain de la première décision chinoise de dévaluer le RMB, le rouble a ainsi franchi pour la première fois depuis 6 mois, le 12 août, le cap symbolique des 65 RUB pour 1 USD.
Pour l’agence Bloomberg**, au moins dix devises sont d’ores et déjà dans une période de turbulence et ont de fortes chances de venir grossir la vague des dévaluations à court terme, dont beaucoup de pays dans la zone d’influence de la Russie mais aussi des pays producteurs d’hydrocarbures et de matières premières : le riyal saoudien; le manat turkmène; le somoni dtadjik; le dram arménienne; le som kyrgyz; la livre égyptienne (qui pourrait chuter de 22 % sur un an); la livre turque; le naira nigérian (qui pourrait chuter de 20 % d’ici l’an prochain); le cedi ghanéen; le kwacha zambien (pays qui dépend de ses exportations de cuivre, à 70 % destinées à la Chine…).
Autrement dit, la plus grande vigilance est recommandée aux opérateurs dans ce contexte monétaire qualifié sur Twitter de « carnage de devises » par Ludovic Subran, le chef économiste d’Euler Hermes qui, dans une allusion au système de « peg » utilisés par de nombreux pays émergents avec le dollar (ancrage du taux de change d’une devise avec une autre autour d’un cours pivot), estime qu’il s’agit d’une « véritable tempête monétaire due à des ancres étranges (dollar, yuan, rouble) et un choc de confiance ».
C.G
*La marge de fluctuation laissée est de 2 % autour de ce taux pivot.