Fini le vent d’optimisme qui soufflait depuis deux ans, à la faveur de la reprise dans les pays développés, sur le front des faillites d’entreprises et donc des risques de crédit dans le monde : les pays développés se portent toujours mieux, mais ce sont les pays émergents qui cette fois défaillent, avec, en perspective, une remontée, voir une envolée des faillites d’entreprises dans certains pays. Une véritable « volte face » de tendance est donc en train de se produire dans l’évolution des faillites au plan mondiale, selon Euler Hermes (EH).
Dans sa traditionnelle étude automnale sur les défaillances d’entreprises dans le monde, c’est donc un tableau bien plus morose que l’an dernier que présente l’équipe d’économistes de l’assureur-crédit, d’autant plus que l’écart se creuse entre des pays développés qui repartent à plus ou moins grande vitesse (plus soutenue pour les Etats-Unis, un peu moins pour l’Europe) et les pays émergents qui connaissent une très mauvaise passe suite au reflux des prix mondiaux des matières premières, au ralentissement chinois, et surtout aux atermoiements de la politique monétaire américaine.
La remontée annoncée -mais toujours pas réalisée !- des taux d’intérêt de la Fed a provoqué ces derniers mois ce que les économistes d’EH ont appelé un « carnage » parmi les devises des pays émergents, avec des dévaluations en chaîne*. Le tout dans un contexte de ralentissement économique mondial : EH Table sur une croissance du PIB mondiale de + 2,5 % seulement en 2015 (après + 2,7 % en 2014). Si le commerce mondial va continuer à progresser en volume – + 2,5 % en 2015 selon EH-, l’assureur-crédit s’attend à une baisse en valeur de -2 %, essentiellement lié à la chute des prix des matières premières et du pétrole (estimée à – 5 %).
Les faillites vont se stabiliser en 2016 au plan mondial
EH table sur une baisse de – 1 % des défaillances d’entreprises dans les économies avancées en 2016, alors qu’elles devraient au contraire augmenter de + 4 % dans les économies émergentes. Ce qui devrait entraîner une stabilisation de son indice l’an prochain (évolution autour de 0 %). Et au plan mondial, après un fort repli en 2014, avec – 14 %, l’indice mondial des défaillances d’entreprises d’EH devrait reculer de seulement – 4 % en 2015, pour se stabiliser à 300 000 faillites au plan mondial.
L’année 2016 mettra ainsi fin à six années consécutives de forte baisse des faillites. « L’année 2015 marque le début d’un tournant en matière d’évolution des défaillances d’entreprises dans le monde, résume Maxime Lemerle, responsable Groupe de la Recherche & défaillances de l’assureur-crédit. En 2016, la courbe des faillites devrait se stabiliser. La période de repli des défaillances au plan mondial qui avait suivi le choc de la crise de 2008/2009 -qui s’était traduit par une hausse de 50 % des faillites- arrive à un terme ». Constat pour le moins décevant : malgré ces six années de baisse ininterrompue, l’Indice global des défaillances d’entreprises demeure 3 % supérieur à sa moyenne d’avant crise, ce qui signifie que les économies n’ont pas complètement digéré tous les effets de la crise de 2008/2009.
Ludovic Subran, le chef économiste d’EH, y voit même un signal pour adopter une vision plus réaliste des perspectives économiques des pays émergents : » Après des années de passion pour ces pays à forte croissance, il est temps de regarder la réalité en face, commente-t-il. D’importants déficits courants, un secteur privé fragile et des programmes de réformes hautement politisés sont souvent annonciateurs de tempête dans les pays émergents: sorties de capitaux, volatilité des devises et risques de non-paiement sont omniprésents ».
Et de détailler leurs fragilités constantes : » Le Brésil, la Chine, le Nigeria, la Russie, l’Afrique du Sud et la Russie – entre autres – ont tous pâti de la baisse des prix des matières premières, de l’imminence d’une hausse des taux d’intérêt américains (qui pèse sur leurs devises et leur financement) et du ralentissement de la croissance de manière générale. Sur les cinq dernières années, le PIB mondial a affiché un taux de croissance inférieur à +3 %. Les niveaux élevés de Dette des entreprises, la Désinflation et différentes formes de Disruptions forment aujourd’hui un cercle vicieux en « 3D » », analyse l’économiste.
Particulièrement touchée par cet effet « 3D », la zone Asie-Pacifique va enregistrer pour la première fois depuis 2008 une hausse de 11 % de son indice des défaillances… Mais par grande zone géographiques, la répartition des faillites et leurs prévisions confirme une divergence entre économies avancées et marchés émergents. L’intégralité des données sont détaillées dans le dernier bulletin économique d’EH** :
Dans les pays avancés, les Etats-Unis et l’Europe occidentale tirent la tendance
Les États-Unis ( 26 983 défaillances en 2014) et l’Europe occidentale devraient tous deux connaître une baisse de -10 % du nombre de faillites en 2015, puis respectivement de – 2 % et de -5 % en 2016.
En Amérique du nord, toutefois, contrairement aux Etats-Unis, le Canada, qui subit de plein fouet la chute des prix d’un certain nombre de matières premières, devrait enregistrer en 2015 une hausse de +5 % des défaillances, ramenée à +2 % en 2016.
En Europe, les niveaux des faillites sont historiquement bas en Allemagne (24085 en 2014, – 3 % en 2015, – 2% en 2016) et au Royaume-Uni (23098 en 2014, – 9 % en 2015, mais + 5 % en 2016). D’autres pays connaissent de forts replis des faillites : Espagne (-22 % en 2015, -10 % en 2016) et Pays-Bas (-20 % en 2015, -5 % en 2016).
La France (62614 en 2014) et l’Italie (15654 en 2014) peinent à réduire de manière plus significative leur nombre de défaillances (respectivement – 1 % et – 7 % prévus en 2015, puis -3 % et -8 % en 2016), et certains secteurs, tels que la construction, sont particulièrement vulnérables.
Dans les pays émergents, une hausse des faillites assez généralisée
Dans la région Europe Centrale et orientale, qui inclut, chez EH, les pays membres de l’Union européenne tout autant que la Russie et la Turquie, la volte face des faillités est sensible avec un indice régional en baisse de – 1 % en 2015, avant une hausse de + 4 % en 2016.
La Russie, en récession, enregistre une hausse de +30 % des faillites cette année, ramené à + 4 % en 2016. L’évolution est moins violente en Turquie, où les défaillances d’entreprises sont prévues à -5 % cette année et + 6 % en 2016.
Les pays membres de l’UE connaissent des évolutions mieux orientées mais contrastées entre la Pologne, où les faillites sont en repli (respectivement – 5 % et – 3 %), ou encore la Roumanie (-45 % et – 4 % !) et quelques pays pays où elles sont au contraire sur une tendance haussière comme la Bulgarie (+ 22 % en 2015, + 10 % en 2016) ou la Lituanie.
C’est dans la région Asie-Pacifique que, selon EH, les pays émergents souffrent donc le plus du fameux effet » 3D » (Dette, Désinflation, Disruption) : les défaillances d’entreprises vont faire un bond de +11 % en 2015 puis de + 10 % l’an prochain, une première depuis sept ans !
La Chine sera particulièrement affectée, le nombre de défaillances d’entreprises y étant attendu en hausse de +25 % en 2015 et +20 % en 2016 ! Construction, métaux et mines, fabrication bas de gamme et secteurs liés à l’export devraient être les plus pénalisés. Même tendance à Singapour (+ 25 % en 2015, + 15 % en 2016…) et à Hong Kong (+ 22 % cette année, + 15 % en 2016).
Alors qu’elles seront plutôt en recul au Japon (-4 % en 2015, stabilité en 2016) et en Nouvelle Zélande (-30 % cette année !), les faillites seront également en hausse en Australie (+ 10 % en 2015, + 5 % en 2016).
Mais l’Amérique latine souffre aussi énormément puisque l’indice régional des défaillances d’EH doit croître de + 46 % cette année, et de +14 % en 2016 selon les prévisions d’Euler Hermes.
La hausse des faillites est attendue à + 25 % en 2015 et + 18 % en 2016 au Brésil (en récession). Même forte hausse au Chili (+ 169 % en 2015, + 11 % en 2016). La Colombie s’en sort bien avec au contraire un recul des défaillances de -7 % cette année, avant une hausse anticipée l’an prochain.
Enfin, pour l’Afrique et le Moyen Orient, l’indice régional d’EH est également sur une tendance haussière avec une hausse des faillites attendue à + 10 % en 2015 et 2016.
Seuls deux pays sont toutefois détaillés : l’Afrique du Sud, où l’on s’attend à une stabilité des défaillances d’entreprises cette année avent un bond de + 10 % en 2016, et le Maroc, où les faillites sont en progression de + 15 % cette année et devraient augmenter encore de + 10 % l’an prochain.
Cependant, au-delà des grandes évolutions par zones et pays, qui donnent des tendances, il faudra également regarder par secteurs. « Les dix-huit prochains mois constitueront une épreuve de vérité. Face à la disparité des situations, l’analyse par pays, secteurs, taille d’entreprises ainsi que celle des cadres juridiques, reste
indispensable pour identifier les principales poches de risques », conclut à juste titre Ludovic Subran.
A la lecture de l’annexe du dernier bulletin économique d’EH**, où sont recensées les plus grosses faillites de ces derniers mois dans le monde, on ne peut en être que convaincu. Parmi les dernières en date, quelques grandes marques du textile-habillement (Quiksilver aux Etats-Unis, Its Companys Ag en Suisse, Gérard Darel en France…) cotoient des industriels de divers secteurs, dont dans l’énergie et les équipements miniers, mais aussi la construction…
C.G
*Finances/Changes : le Renmimbi entraîne dans sa chute plusieurs devises de pays émergents
** »Défaillances d’entreprises- Volte-face« – Bulletin économique n° 1220-1221, septembre -octobre 2015, Euler Hermes. Plus d’infos sur : www.eulerhermes.com