Le protectionnisme, nouveau risque politique majeur pesant sur la reprise du commerce mondial ? Les exportateurs belges le pensent. Selon les résultats d’un sondage annuel Credendo-Trends auprès de 1 000 d’entre eux, si quatre exportateurs belges sur cinq pensent accroître leurs exportations dans les trois prochaines années, ils sont tout autant –78 %– à s’avouer inquiets de la montée du protectionnisme. Un résultat très significatif pour un pays, 11ème exportateur mondial et 6ème de l’Union européenne, dont l’économie est très dépendante des exportations.
Ces résultats ont été révélés le 7 décembre à Bruxelles, à l’occasion du forum annuel du groupe d’assurance-crédit export Credendo sur le commerce international. Le protectionnisme était d’ailleurs le fil conducteur de cet événement organisé sur le thème « le protectionnisme peut-il entraver la globalisation », avec en ligne de mire le nouveau Momentum protectionniste lancé par Donald Trump. « Un risque supplémentaire », qui s’ajoute à des risques politiques et macroéconomiques globalement élevés dans le monde, comme l’a souligné Nabil Jijakli, directeur général adjoint du groupe Credendo. Il pourrait notamment entraver la fragile reprise en cours du commerce mondial (+ 5 % attendu en 2018).
En l’occurrence, si les deux tiers des exportateurs belges estiment que leurs plans à l’export ne sont pas impactés par la crise liée à la Corée du Nord (77 %) ou même le Brexit (73 %), ils sont 38 % à répondre qu’ils le sont par l’élection du nouveau président américain. Et une très forte majorité -57 %- est favorable à une réponse de la Belgique et de l’Europe à des mesures protectionnistes pour « protéger les entreprises ».
L’Asie et l’Amérique latine très exposées
Pour l’heure, ce retour du protectionnisme, sur fond de montée des populismes, reste encore de l’ordre de la perception, mais comme d’autres assureurs-crédits, Credendo s’en inquiète et cherche d’ores et déjà à en évaluer le possible impact sur les risques pays. Ses deux économistes qui se sont penchés sur le sujet, Pascaline della Faille et Raphaël Cecchi, ont identifié quatre canaux par lesquels un regain de protectionnisme américain pourrait affecter les risques pays : une hausse des restrictions à l’importation (tarifs, quotas…), un retour des investissements américains au pays (lié à la réforme fiscale en cours), une politique migratoire plus restrictive, une augmentation des taxes sur le travail des immigrés aux États-Unis.
Zone par zone, les deux analystes de Credendo, ont identifié les facteurs de fragilité. Clairement, l’Asie et l’Amérique latine sont les plus exposées :
– L’Asie, est particulièrement exposée via le canal de l’importation, du fait de sa forte intégration dans la chaîne de valeur globale américaine : les échanges représentent en effet « 30 % du PIB de cette région » et les États-Unis absorbent de 10 à 20 % des exportations de ces pays. La Chine, dont 18 % des exportations sont destinés au marché américain, est le premier pays menacé. Mais des pays comme le Vietnam, la Malaisie, Taiwan ou le Cambodge le sont également, en tant que pays sous-traitants des États-Unis, de même que les pays de réexportation vers les États-Unis comme Hong-Kong et Singapour. L’impact pourrait toutefois être atténué par la capacité des pays asiatiques à s’adapter aux évolutions du commerce mondiale, et, pour ce qui concerne la Chine, sa réorientation actuelle vers son marché intérieur.
– En Amérique latine, c’est clairement le Mexique qui est le plus exposé dans le contexte de la difficile renégociation en cours de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) : les États-Unis sont son premier débouché à l’export, sa première source d’investissements directs étrangers (IDE) et sa première source de revenus via l’immigration. La chute des revenus liés aux travailleurs immigrés et le retour de ces derniers dans leurs pays d’origine sont les principaux risques pesant sur les autres pays d’Amérique latine, à des degrés divers.
Ailleurs, des risques plus limités
Ailleurs dans le monde, les risques du protectionnisme américain sont plus limités, selon les analystes de Credendo.
– Concernant l’Afrique, les États-Unis sont un « partenaire mineur », selon les économistes de Credendo, alors que c’est la Chine qui est le pays le plus influent pour les marchés et les prix des matières premières produites sur le continent.
– La zone Moyen-Orient Afrique du Nord est également peu exposée à un éventuel regain de protectionnisme américain. Les producteurs de gaz et de pétrole dans cette zone sont davantage impactés par la production américaine de gaz de schiste, qui pèse sur les prix, et le risque de retrait des États-Unis sur certains dossiers géopolitiques brûlants.
– Enfin, à l’est de l’Europe, si de nombreux pays comme la Russie sont fortement dépendants du pétrole et du gaz, et donc exposés comme les précédents aux baisses de prix, sur le plan commercial, c’est la Chine et ses nouvelles routes de la soie qui gagne en importance dans cette zone.
Pour les perspectives, les analystes de Credendo restent prudents : si l’incertitude règne sur ce que seront les contours définitifs de la politique américaine, la fin de la lune de miel avec la Chine semble acquise et le risque de propagation du protectionnisme est réel, même si de nombreux pays émergents continuent globalement à croire dans le libre-échange. « Le protectionnisme américain contribue à accroître le risque pays », a notamment conclu Raphaël Cecchi, pointant aussi « le risque d’une remise en cause de l’ordre mondiale et de l’OMC ».
Christine Gilguy
Pour prolonger :
– Commerce mondial : des opportunités à prendre au top 20 des importateurs mondiaux
– Commerce / International : le Medef sonne la mobilisation contre le protectionnisme
Et aussi
Nos derniers guides spéciaux risques : Atlas des risques pays – 9e édition, 2017 et Guide de la gestion du risque client à l’international – Édition 2017