« Je suis un Européen convaincu, mais l’Europe telle qu’elle est ne fonctionne plus, et je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faille passer par moins de démocratie », a expliqué devant la presse Matthias Fekl, secrétaire d’État au Commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger, quelques heures avant son audition par les commissions des Affaires étrangères, des Affaires économiques et des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, le 8 novembre.
Évoquant ainsi l’Accord économique et commercial global (AEGC ou CETA en anglais) entre l’Union européenne (UE) et le Canada, dont la Région wallonne en Belgique a refusé d’approuver le texte jusqu’au 28 octobre, Matthias Fekl a défendu l’idée selon laquelle tous les Parlements (européen, nationaux, régionaux) devaient être consultés pour tout accord commercial dès le début des négociations par la Commission européenne.
Dépôt à l’UE des propositions françaises en novembre
C’est une des recommandations fortes du document remis à la presse, intitulé « propositions françaises de réforme de la politique commerciale européenne », que le secrétaire d’État entend rapidement déposer officiellement. Au Moci qui lui demandait de préciser sa feuille de route, il a indiqué que les propositions de la France « seront évoquées lors du conseil européen du Commerce de vendredi », mais qu’elles ne seront reçues « de façon officielle qu’en novembre » par la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström.
Les propositions de la France tournent ainsi autour de trois grands axes : 1/ « changer de méthode : une politique commerciale démocratique et transparente », 2/« vers des accords de commerce durable » et 3/ « vers une solidarité effective entre les États membres ».
1/ « Changer de méthode : une politique commerciale démocratique et transparente ». Ce qui signifie notamment « pas de mandats de négociation commerciale secrets » ou « périmés ». A cet égard, Matthias Fekl a fait allusion au processus engagé en 1999 par l’UE avec le Marché commun du Sud (Mercosur) « qui a, selon lui, toutes les chances de fêter ses vingt ans », alors que ces pays (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela) ont changé. « Ils étaient, à l’époque, en développement et leurs spécialisations sectorielles n’ont plus rien à voir avec ce qui était », a-t-il encore fait valoir.
La France demande encore « des échanges transparents au Conseil » et « la transparence des équipes de négociation ». Non seulement le contenu de ce qui a été négocié doit être connu tout de suite, a défendu Matthias Fekl, favorable ainsi à une politique « extrêmement ambitieuse d’open data » et de mise en ligne immédiate pour ne pas laisser l’information disponible aux seuls lobbies, mais le nom des négociateurs doit être annoncé. Se défendant d’attaquer la Commission européenne, le secrétaire d’État a estimé que toutes les institutions devaient mieux jouer leurs rôles, la Commission européenne, en l’occurrence, devant disposer de plus de fonctionnaires pour activer les instruments de défense commerciale (ils ne sont que 200, alors qu’ils sont le double aux États-Unis). Le Conseil européen doit être aussi plus impliqué et les parlementaires doivent être invités à la table des négociations, comme dans le modèle américain.
L’Europe a besoin « d’études plus fonctionnelles et contradictoires avant chaque décision »
2/ « Vers des accords de commerce durable ». Sur ce volet qui a fait beaucoup couler d’encre, en raison de l’instance de Washington d’un arbitrage privé auquel est opposé Paris dans le cadre des négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), la France veut « protéger le droit à réguler des États en insérant systématiquement la Cour publique d’investissement, première étape vers une Cour publique multilatérale, dans les accords ». Elle demande encore l’inclusion de normes sociales et l’imposition de la réciprocité pour ne pas être victime d’une concurrence déloyale. « La réciprocité doit être au cœur de la stratégie commerciale », a soutenu Matthias Fekl, selon lequel « on ne négocie pas des accords commerciaux avec des partenaires qui veulent imposer des droits exclusifs ». Citant, à cet égard, les États-Unis, il a fustigé « la brutalité inouïe des Américains », qui font « croire au partenariat » sans en avoir « déjà l’état d’esprit ».
3/« Vers une solidarité effective entre les États membres ». Observant que « le libre-échange crée des gagnants et des perdants », il faut mieux « accompagner ceux qui ne bénéficient pas de l’ouverture commerciale ». D’où l’importance de mener des études d’impact. De façon générale, « pour anticiper », l’UE « a besoin d’études plus fonctionnelles et contradictoires avant chaque décision », qu’elles soient « globales » ou « sectorielles », a exposé Matthias Fekl. Toutefois, « pour éviter la pensée unique » et « sortir des dogmes néolibéraux », il faut faire appel « au moins à trois écoles de pensés distinctes », qui sont le libéralisme, le keynésianisme et le régulationisme.
François Pargny
Pour prolonger :
–UE / Canada : après l’accord sur le CETA, le chemin vers la ratification reste semé d’embûches
–Canada / Union européenne : les irréductibles Wallons ont dit oui au CETA… sous conditions