2016 va être l’année de la remontée des risques de crédit au niveau mondial après une relative accalmie, selon Euler Hermes. L’assureur-crédit parie sur une augmentation des défaillances d’entreprises pour la première fois depuis 2009, avec +1 % au niveau mondial, dans sa dernière étude sur les perspectives économiques 2016, publiées le 21 janvier.
Mais contrairement aux années d’après-crise 2008-2009, la tendance sera tirée par l’envol des défaillances non pas dans les pays développés mais dans les pays émergents, soit en raison de l’effondrement des taux de changes, soit en raison du recul de la demande qui leur est adressée, soit un mélange des deux facteurs.
Les pays émergents pèseront sur la tendance
« Le risque de crédit est passé des pays riches aux pays émergents » a estimé Ludovic Subran, le chef économiste de l’assureur-crédit, qui a commenté les grands axes de cette étude le 21 janvier devant quelques journalistes.
Et d’égrener la liste des pays les plus mal lotis en matière d’augmentation des faillites d’entreprises : +20 % en Chine, +18 % au Brésil, +15 % ex æquo pour Taïwan, Hong-Kong et Singapour, +12 % en Colombie, +10 % au Maroc….
« Sur les impayés et les retards de paiement, la tendance ne décélère pas » a ajouté l’économiste. En Chine, le niveau d’endettement des entreprises dans certains secteurs en surcapacités touchés par la baisse de la demande et la chute des prix mondiaux est devenu très inquiétant : de l’ordre de 300 % des fonds propres dans la construction, l’acier ou encore les utilities…
Car frappés par le ralentissement de la Chine, la hausse des taux d’intérêts américains et la chute des cours de la plupart des matières premières dont beaucoup sont producteurs –en premier lieu le pétrole- les pays émergents qui pèseront sur la tendance : ils totaliseront une croissance d’environ +4 % en moyenne (après +3,9 % en 2015), « contre +6 % avant la crise », a commenté Ludovic Subran. La croissance du PIB chinois atteindra +6,5 % en 2016 (+6,8 % en 2015) et continuera à décélérer en 2017 (+6,4 %).
Les « sept nains » de la croissance mondiale
En cause, une croissance globale qui repart difficilement car minée par « sept freins », surnommés les « sept nains » par l’économiste :
-la faible progression du commerce mondial, qui ne joue plus son rôle d’amortisseur en raison du recul de la demande et de la montée du protectionnisme (598 mesures de protectionisme recensées en 2015) : Euler Hermes table sur une progression de 3,7 % en 2016, relevant que le montant des biens échangés en 2015 a reculé de quelque 9 % en valeur l’an dernier à cause de la chute des prix des matières premières et de la « débâcle » des taux de change ;
-le ralentissement des pays émergents vulnérables aux chocs externes (chute des cours mondiaux des matières premières, ralentissement chinois, reflux des capitaux) ;
-les prix des matières premières, dont le pétrole, qui resteront tirés vers le bas, la question étant de savoir combien durera cette situation ;
-la volatilité des marché financiers, avec de nouvelle dévaluations attendues dans les pays émergents producteurs (de -5 à -10 % selon les prévisions d’Euler Hermes) tels que Brésil, Russie, Afrique du Sud, Chine et Turquie ;
-une consommation domestique vigoureuse dans certains pays comme l’Inde (+ 13,2 % depuis 2013) mais avec peu d’impact sur les importations ;
–des politiques publiques plus volontaristes au plan budgétaire, notamment dans les pays développés ;
-et enfin des incertitudes politiques qui perdurent, même si elles changent de nature, avec le « Brexit » et les sanctions contre la Russie en Europe et des calendriers électoraux chargés (Etats-Unis, maéis aussi Irlande, Pérou, Russie, Philippines…).
Une croissance du PIB mondial inférieure à 3 % en 2016
Comme les pays développés, bien que mieux portants, n’accélèrent que lentement – ils totaliseront une croissance du PIB de +2,1 % en 2016 (après +1,9 % en 2015)-, au final, la croissance du PIB mondial nominal devrait rester inférieure à +3 %, avec +2,8 % en 2016, et +3 % en 2017, ce qui confirme la tendance déjà relevée par les institutions de Bretton Woods, FMI et Banque mondiale*.
Pour ne citer que les grands marchés, les Etats-Unis devraient ainsi afficher une croissance du PIB de 2,5 % en 2016, comme en 2015, et ralentir l’an prochain à 2,4 %. La zone euro devrait être en légère accélération avec + 1,7 % en 2016 (dont Allemagne +1,8 %, France +1,4 %, Italie +1,1 % et Espagne + 2,6 %), après +1,5 % en 2015 alors que le Royaume Uni, pénaliser par les incertitudes autour du « Brexit » ferait + 2,1 % en 2016 (+2,4 % en 2015).
Pour les économistes d’Euler Hermes, tout autant les Etats-Unis que le Royaume Uni sont en fin de cycle de croissance.
Les gros dégâts de la chute des cours des matières premières
Si la chute des cours des matières premières, notamment pétrolières, constitue un ballon d’oxygène pour les pays importateurs, elle continue à faire de gros dégâts dans les pays producteurs trop dépendants de ces revenus.
Selon Ludovic Subran, grâce à la baisse des prix du pétrole, la France a économisé 20 milliards sur sa facture énergétique en 2015, l’Allemagne a gagné 4/10ème de croissance liée à l’augmentation de la consommation, et l’Italie un point de marge sur les prix de ses produits dont les exportations ont soutenu sa croissance.
Le tableau est très différent dans certains pays producteurs, qui font les frais du bras de fer entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Comme en Russie, dont le rouble dévisse depuis l’an dernier par rapport au dollar, dont le gouvernement avait basé son budget sur un baril à 50 dollars pour 2016 alors que celui-ci était descendu jusqu’à 36 dollars il y a quelques jours.
Ou encore l’Arabie Saoudite elle-même qui, pour Ludovic Subran, n’a pas encore instauré une « vraie politique d’austérité » puisque l’évolution de sa monnaie reste liée à celle du dollar –le « peg »- mais dont le déficit budgétaire a atteint 15 % du PIB l’an dernier et est prévu à 9 % encore cette année. A ce rythme, estime l’économiste, les immenses réserve de change que possède l’Arabie Saoudite -30 mois d’importations- seront épuisées en à peine 6 ans…
« A chaque fois que le baril de Brent perd 10 dollars, le rouble perd 5 point par rapport au dollar et la Russie perd un demi-point de croissance, a détaillé le chef économiste d’Euler Hermes. Globalement, 10 dollars en moins pour le baril, c’est 1 à 2 dixième de point de croissance de plus pour les pays importateurs et 1 à 2 dixième de moins pour les pays producteurs ».
Inquiétudes sur les risques souverains et sub-souverains
On ne peut mieux résumer la situation financière désastreuse dans laquelle se trouvent les pouvoirs publics dans certains pays émergents, étoiles montantes de l’économie mondiale mais encore bien vulnérables aux « chocs » économiques externes et à la « volatilité des marchés ». Les économistes d’Euler Hermes les ont regroupés sous l’acronyme « BRuNTS » pour Brésil, Russie, Nigeria, Turquie, Afrique du Sud.
Le Brésil, qui accueillera les prochains Jeux olympiques d’été cette année, sera encore en récession en 2016 avec -2,4 % (après-3,7 % en 2015), ne renouant avec la croissance qu’en 2017 (+1,2 %). Même tendance pour la Russie, avec -0,3 % cette année (après -3,7 % en 2015) et + 1 % en 2017. La Turquie fera + 3,3 % (après + 3,6 % en 2015) et 3,5 % en 2017. L’Afrique du Sud connaîtra une croissance encore molle avec + 2 % en 2016 et 2017 (après + 1 % en 2015.
Compte tenu de la situation des marchés mondiaux des matières premières, les risques souverains et sub-souverains –c’est-à-dire les Etats, et les entités publiques mais non-étatiques(administrations, collectivités locales, sociétés publiques ou à capitaux publics) seront notamment à surveiller de près. « On voit depuis deux ans les arriérés de paiements de la part des débiteurs souverains monter » a observé Ludovic Subran, citant la Grèce ou le Ghana. Mais « ce qui nous inquiète, ce sont les grandes entreprises nationales dont l’activité repose sur les matières premières » a confirmé Ludovic Subran. A l’instar des Pétrobras (Brésil), Pétronas (Malaisie), ou encore Saoudi Aramco…
Christine Gilguy
* Leurs chiffres sont toutefois un peu plus optimistes, a relevé Ludovic Subran, car elles basent leurs calculs sur le PIB réel, corrigé des variations de taux de change et de pouvoir d’achat, alors qu’Euler Hermes utilise le PIB nominal, plus révélateur des « chocs ». Lire notamment sur notre site : Perspectives de croissance 2016 : les prévisions de la Banque mondiale zone par zone
Pour en savoir plus :
L’étude d’Euler Hermes (en anglais) est consultable et téléchargeable au lien suivant : http://www.eulerhermes.com/mediacenter/Lists/mediacenter-documents/Economic-Outlook-the-7-dwarfs-of-global-growth-1222-jan16.pdf