« Influence : la France doit se réveiller »
À l’occasion de la sortie de son livre « La France : un pays sous influences », nous avons posé trois questions à Claude Revel, spécialiste en intelligence économique, présidente d’Iris Action et responsable du Centre Global Intelligence & Influence de Skema Business School.
Le Moci. En quoi les États-Unis sont-ils maîtres en influence ?
Claude Revel. Les États-Unis ont su imposer leurs normes et leurs règles via et au sein des organisations internationales telles que la Banque mondiale (un exemple récent, le classement Doing Business), l’OCDE (Organisation pour le développement et la coopération économiques), le FMI (Fonds monétaire international) ou les banques de développement. Ils orientent les actions de ces organisations en imposant au monde entier des normes anti-corruption, de responsabilité sociale ou encore de développement durable. Cette influence s’exerce dès la formation : tous les cours de management sont faits sur le modèle anglo-saxon.
Leur influence se constate également dans la compétition économique internationale avec le rôle central que joue l’Advocacy Center, une structure interministérielle spécifique qui définit une stratégie à partir d’informations recueillies via des relais publics comme privés et qui coordonne l’ensemble des actions à mener. Les États-Unis ont ainsi été très présents dans les pays en sortie de crise comme par exemple après la chute du mur de Berlin où une assistance technique juridique a été proposée pour reconstruire les pays.
Le Moci. Qu’en est-il de la Chine et du Brésil, deux puissances montantes en matière d’influence ?
C. R. La Chine essaie d’avoir une influence à l’instar des États-Unis. Elle a débuté par les pays émergents africains et asiatiques en leur proposant avec succès des aides. Des étudiants chinois ont été également envoyés dans le monde entier. Sur le plan culturel, la Chine a décidé de développer son influence en installant des instituts Confucius. Reste que par rapport aux États-Unis, la Chine demeure un État fermé pratiquant un capitalisme d’État.
Quant au Brésil, c’est un exemple. Une vingtaine de priorités industrielles ont été redéfinies avec une mise en œuvre immédiate (pétrole, aéronautique ou encore éthanol). Le Brésil a également mené une politique d’influence auprès des pays les plus pauvres en proposant un autre modèle de développement que celui des Américains. Résultat : la diplomatie brésilienne compte aujourd’hui. Les Brésiliens ont réussi à persuader l’UE de baisser les droits sur les biocarburants en proposant des certificats de développement durable.
Le Moci. Selon vous, la France est une « belle endormie à réveiller ». Que faut-il faire pour cela ?
C. R. La France a encore une influence malgré elle en raison de son image, de sa culture et d’un réseau diplomatique performant quoique très amaigri. Mais elle n’est pas assez présente sur les questions stratégiques, pour « formater » l’avenir. Il manque une coordination de l’influence pour pouvoir définir des priorités et appliquer des politiques adaptées, comme l’a fait le Brésil. Il faudrait créer une structure légère auprès du Premier ministre ou du Président s’inspirant de l’Advocacy Center américain. Cette structure devrait également travailler en étroite coordination avec des entreprises privées et des professions libérales.
La France doit également agir avec l’Europe. Mais l’Europe manque de volonté politique pour s’imposer en termes
d’influence. Ainsi, elle n’arrive pas à faire des classements des écoles en utilisant ses propres critères pour contrebalancer les autres classements. Autre exemple : j’ai proposé sans succès en 2011, avec la commission Droit et influence des CCEF (conseillers du commerce extérieur de la France), un classement complémentaire au Doing Business, ajoutant des critères à celui de la Banque mondiale, comme le respect de règles anti-corruption et de gouvernance d’entreprise : cela n’a intéressé quasi-personne au sein de l’État français ni à la BEI (Banque européenne d’investissement), seule l’OCDE a souhaité travailler avec nous sur le sujet.
Propos recueillis par Isabelle Verdier
Plaidoyer en faveur du modèle européen
L’influence est un rouage clé du nouvel ordre mondial, explique Claude Revel dans son dernier livre qui vient de paraître. Cette spécialiste de l’intelligence économique créatrice en 2004 de la société de conseil Iris Action et professeur à Skema Business School, sait de quoi elle parle. Certes, elle dresse un constat accablant du déficit de
l’influence française et européenne dans le monde. Mais elle ne s’arrête pas là. Nous avons les moyens et des atouts, estime-t-elle, pour défendre notre modèle européen humaniste et social-démocrate face aux autres modèles (ultra-libéral, chinois ou encore islamiste). Encore faut-il le vouloir, explique-t-elle, et c’est tout l’objet de son livre : convaincre les décideurs français et européens qu’il est temps d’agir…
Pour cela, l’auteur dresse un état des lieux en expliquant tout d’abord quels sont les différentes stratégies d’influence (lobbying, communication, diplomatie économique, marketing d’influence, etc.) et les nouveaux outils utilisés (web 2.0). Avec un constat : le triomphe de « l’anglo-saxonisation » du monde et de l’ordre libéralo-moral. Mais les États-Unis ne sont pas les seuls maîtres en influence : la Chine et le Brésil montent en puissance dans ce domaine avec des résultats très probants. Claude Revel plaide pour un réveil français et européen en utilisant tous les acteurs de l’influence et pas seulement les États, à savoir entreprises, ONG, organisations internationales, think tanks, écoles, clubs, etc.
La France : un pays sous influences ? Claude Revel, Éditions Vuibert, juin 2012, 272 pages, 21 euros.