La mission de bons offices confiée par l’Élysée à l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin arrive à son terme le 31 mai. Ses résultats sont positifs. Le climat des affaires est à la détente.
« Les 430 entreprises françaises présentes en Algérie emploient 35 000 personnes directement et 100 000 indirectement. Avec la mission de rapprochement de Jean-Pierre Raffarin, nous espérons doubler, à terme, cette présence française », se réjouit Marc Bouteiller, chef du Service économique régional en Algérie.
Alors que la France est déjà le premier partenaire commercial de l’Algérie, cet objectif ambitieux pourrait bien être à la portée des ambitions tricolores depuis que Paris et Alger ont décidé, l’an dernier, de mettre de côté les sujets de frictions pour se concentrer sur les dossiers économiques jugés stratégiques de part et d’autre, dont certains étaient bloqués depuis deux ans.
Une affaire avait particulièrement envenimé les relations politiques – déjà sensibles en temps normal – entre les deux pays pendant deux ans : en août 2008, la mise en examen à Marseille du directeur du protocole de la présidence algérienne, Mohamed Ziane Hasseni, détenteur d’un passeport diplomatique, dans l’affaire de l’assassinat d’un opposant algérien en 1987. Il a bénéficié d’un non-lieu deux ans après, le 31 août 2010. Durant toute cette période, les ministres français ont été « boycottés » par les autorités algériennes. De grands contrats et des projets d’investissement sont restés bloqués. Et un coup de froid a suivi l’instauration par les autorités algériennes, en août 2009, de l’obligation faite aux investisseurs étrangers de céder 51 % du capital de leur nouvelle société à des partenaires algériens.
Jean-Pierre Raffarin a fait ses premiers pas en Algérie en 2008, lorsqu’il a inauguré les Journées technologiques françaises organisées par la Mission économique. À l’automne 2010, le sénateur de la Vienne est nommé par le président Nicolas Sarkozy pour mener une mission de rapprochement des milieux d’affaires français et algériens. Son talent de négociateur pragmatique lui a permis de s’engouffrer dans la brèche ouverte par l’extinction du dossier Hasseni, alors que les autorités algériennes souhaitaient elles aussi avancer sur les dossiers concrets. Mohamed Benmeradi, le ministre algérien de l’Industrie de la PME et de la Promotion de l’investissement, a été l’interlocuteur désigné à Alger pour dénouer les nœuds. Dix grands projets d’investissement jugés stratégiques de part et d’autre, notamment parce qu’ils sont « structu- rants » et porteurs de valeur ajoutée pour le pays, avaient été identifiés pour être « débloqués » en priorité (voir encadré page suivante).
Jean-Pierre Raffarin se rend une première fois en Algérie en novembre 2010 dans le cadre de sa mission. Puis une deuxième les 20 et 21 février 2011. C’est à cette occasion que le déblocage de quatre premiers projets a été annoncé : ceux de Macif, d’Alstom, de Cristal Union et de Bretagne International. Trois autres sont sur les rails : « Trois projets devraient être complètement finalisés pour la fin du mois de mai, au moment du Forum de Partenariat Algérie-France : l’usine de médicaments de Sanofi Aventis (80 millions d’euros d’investissement), la reprise par Saint Gobain de l’usine Alver, à Oran, et, enfin, la création par Axa d’une compagnie d’assurances avec un co-actionnariat composé du Fonds national d’investissement (FNI), et la Banque extérieure d’Algérie (BEA), elle-même filiale de la Sonatrach », précise Marc Bouteiller.
Reste les trois derniers, qui concernent Lafarge, Total et Renault. Ils « ne sont pas encore arrivés au stade à partir duquel il ne sera plus possible de revenir en arrière, souligne le chef du SER français. Les discussions se poursuivent entre les différents intervenants algériens et français, et les progrès accomplis sont des plus importants ».
L’arrivée de Lafarge, via le rachat du groupe égyptien Orascom, avait été très mal prise par le président Abdelaziz Bouteflika lui-même car les autorités algériennes n’avaient pas été consultées. Les choses sont aujourd’hui apaisées. Un projet de co-entreprise avec le groupe public Gica est sur la table pour la construction une nouvelle usine d’une capacité de production de 2 millions de tonnes de ciment par an. Ce projet serait accompagné d’une coopération dans le domaine des granulats et du béton prêt à l’emploi.
Le projet pétrochimique Total-Sonatrach a été quelque peu retardé par les récentes perturbations qu’à connues l’entreprise publique algérienne. Le P-dg, Mohamed Meziane, et quatre autres cadres dirigeants viennent d’être condamnés à de la prison pour malversation. Mais l’accord final pourrait intervenir d’ici à la mi-juillet.
Enfin, pour le très emblématique projet d’usine Renault, les derniers points en discussion concernent l’équilibre économique du projet (en particulier les différentes aides dont il pourrait bénéficier), la localisation du site (Alger, Jijel, Mostaganem font partie des sites évoqués) et, enfin, les aspects très importants de la distribution (sachant que Renault possède une filiale commerciale en Algérie). « À un moment donné, il faudra une décision
politique, stratégique, qui appartient aux autorités algériennes », considère un connaisseur du dossier. L’enjeu est important : il s’agit de créer toute une filière automobile dans un marché en plein boom. Plus de 88 000 véhicules ont été importés rien qu’au premier trimestre 2011, un chiffre en hausse de 40 % par rapport à la même période de 2010. « Si le projet Renault se concrétise, il peut donner du travail à une quarantaine de sous-traitants français et algériens, avance Alain Boutebel, directeur de la Mission économique Ubifrance à Alger. Mais il y aura des partenariats bien au-delà des grands groupes. » Un projet similaire serait poussé par l’allemand Wolkswagen.
Quoi qu’il en soit, le déblocage de ces dossiers sensibles a incontestablement détendu l’atmosphère. La nouvelle Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF), qui attendait le sésame des autorités depuis fin août 2010, a obtenu son agrément le 21 février, date de la deuxième visite à Alger de Jean-Pierre Raffarin. « Il y a un retournement… », confirme Jean-Marie Pinel, président de la CCIAF dans l’entretien exclusif qu’il nous a accordé.
« On sent vraiment, depuis janvier 2011, qu’on est entré dans une dynamique positive. Il y a un an, je ne vous aurais pas tenu ce discours », confirme de son côté Laurent Dupuch, président de la section algérienne des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) et patron de BNP Paribas El Djazaïr.
Alors que la concurrence s’exacerbe, la France a de réels atouts : la langue, la proximité géographique, les nombreux ponts qui existent entre les communautés d’affaires des deux pays, et des savoir-faire qui correspondent aux besoins algériens (infrastructures, logements, énergie, eau…). En 2010, la France a exporté, selon les statistiques des douanes françaises, pour 5,2 milliards d’euros en Algérie, conservant son rang de premier fournisseur extérieur du pays avec 15 % de parts de marché. Et ce malgré la montée en puissance de la concurrence venue d’Europe (Italie, Espagne, Allemagne, Turquie), des États-Unis et d’Asie. Les graphiques ci-dessus et ci-dessous, réalisés à partir des données du Centre national d’information statistique (CNIS) d’Algérie, présentent des différences avec les statistiques douanières françaises, mais ont l’avantage de permettre une comparaison avec d’autre pays.
Fait plus significatif encore, non seulement les grandes entreprises remportent des grands contrats en Algérie mais les PME y sont des acteurs majeurs des échanges. « 9 000 entreprises françaises ont exporté vers l’Algérie de façon significative en 2010 et les trois quarts sont des PME, confirme Marc Bouteiller. Ces PME génèrent un peu plus de la moitié des recettes d’exportation de la France vers l’Algérie. » Toutefois, au-delà des réelles opportunités commerciales que présente le marché algérien, les entreprises françaises, grandes et petites, sont attendues sur le terrain des investissements. « Les autorités algériennes veulent que les Français investissent et cessent la vente comptoir, martèle Alain Boutebel, directeur de la Mission économique Ubifrance à Alger. Elles veulent des partenariats entre les entrepreneurs algériens et français. » Le message semble en tout cas bien passé des deux côté de la Méditerranée.
Cent vingt-deux PME françaises sont attendues de France au Forum de partenariat co-organisé par Ubifrance et les autorités algériennes les 30 et 31 mai, ainsi que 380 participants algériens. Jean-Pierre Raffarin, dont beaucoup dans les milieux d’affaires français espèrent que la mission sera prolongée au-delà de son terme, prévu le 31 mai, y est attendu pour ce qui doit être son dernier déplacement à Alger en tant que « Monsieur Bons offices ».
Christine Gilguy
Les dix dossiers prioritaires de la mission Raffarin
• Création d’une compagnie d’assurance par la Macif en partenariat avec la SAA, la BADR et la BDL algériennes.
• Usine de construction de rames de tramway par Alstom à Annaba, en partenariat avec EMA (Entreprise du métro d’Alger) et Ferrovial (Alstom est par ailleurs chef de fil du consortium Mediterrail – avec l’italien Todini et l’algérien ETRHB – qui a remporté le contrat de livraison clés en main du tramway d’Alger, dont le premier tronçon a été inauguré le 8 mai).
• Construction d’une raffinerie de sucre par Cristal Union, en association minoritaire (35 %-65 %) avec le groupe privé La Belle (famille Dahmani), à Ouled Moussa.
• Accord de coopération entre Bretagne international et l’institut technique d’élevage (ITE) pour le développement de la filière laitière (signé en février 2011).
• Création par Sanofi Aventis d’une troisième usine de produits pharmaceutiques, détenue à 100 %, pour produire, à terme, 80 % des produits actuellement vendus par le groupe français sur le marché algérien (contre 25 % actuellement).
• Création par Axa d’une compagnie d’assurance-vie et dommage (le pacte d’actionnaire associe le FNI algérien et la BEA, filiale de Sonatrach).
• Rachat, dans le cadre d’une privatisation, du verrier Alver par Saint Gobain, à Oran.
• En partenariat avec le Gica, extension des capacités de production de Lafarge (environ 8 millions de tonnes actuellement), acquises via le rachat de l’égyptien Orascom Cement en 2007 (à Msila, sur les Hauts plateaux, et à Oggaz, près d’Oran) via une nouvelle cimenterie d’une capacité de 2 millions de tonnes par an.
• Construction d’un vapocraqueur d’éthane par Total, en partenariat avec la Sonatrach, visant à lancer une production de polyéthylène, première étape vers la création d’une filière plasturgie.
• Usine de production d’automobiles par Renault (75 000 unités dans une première phase, le double à terme), pour le marché domestique et l’export, avec des modèles bon marché (type Symbol) adaptés au pouvoir d’achat algérien ; le taux d’intégration locale pourrait, à terme, atteindre 50 % si les sous-traitants sont encouragés.
C. G.