Avec Anne Lamerant, la quatrième génération se prépare à prendre la tête de Linière du Ressault, un producteur de lin de l’Eure, au cœur de la ceinture européenne du lin, qui va de Caen à Amsterdam. Ayant relancé le peignage après dix ans d’interruption, l’entreprise continue à investir pour renforcer son savoir-faire et rester compétitive.
Photo : Vincent Merletti, directeur général de DSV Road, a remis le 23 novembre à Paris lors de la dixième cérémonie du Palmarès des PME & ETI leaders à l’international le prix Savoir-faire exportateur de l’année du Moci à Anne Lamerant, assistante de direction et responsable d’unité de production de Linière du Ressault.
Le fait est méconnu : la France est le premier producteur au monde de lin textile avec 80 % de la production mondiale. Et les débouchés de cette fibre naturelle, dont les déchets sont recyclés dans divers matériaux, sont porteurs : habillement, linge de maison, et de plus en plus, matériaux composites. Décathlon vient de sortir les premières raquettes de tennis à base de lin, c’est dire.
L’un des 23 teilleurs français en activité
Linière du Ressault cultive, mais aussi transforme le lin. Elle est l’un des 23 teilleurs français encore en activité, plus qu’aux Pays-Bas qui en comptent 8 mais moins que la Belgique où l’on en recense 50. Les Lamerant font justement partie de ces migrants belges venus s’installer en Normandie entre les deux conflits mondiaux du siècle dernier, reprenant l’activité des fermes restées à l’abandon. Elle a été fondée en 1919 par l’arrière-grand-père d’Anne Lamerant, qui se prépare depuis cinq ans à prendre la suite de son père Didier, actuel président de l’entreprise. « Pour le moment, je suis assistante de direction et responsable d’une unité de production » dit modestement cette jeune femme de 32 ans, passée par Rennes Business School. « J’ai encore beaucoup de choses à apprendre ».
Pourtant, de la culture du lin à son peignage, son expérience est déjà conséquente. Même si, une fois son diplôme en poche, elle avait avant tout envie de voyager, Anne Lamerant est, comme elle dit, « entrée dans le lin » dès 2010, lors d’un premier poste décroché en tant que VIE chez Saneco, un négociant du Nord-Pas-de-Calais. Pendant deux ans, basée à Suzhou, un centre important de la filature à 80 km de Shanghai, elle s’est occupée du dédouanement et du suivi des cargaisons de lins livrées aux filateurs chinois.
Maîtrise de bout en bout de la chaîne de production
Il n’existe plus qu’un seul filateur en France, tous les autres sont à l’étranger, en Europe centrale surtout et au Maghreb ainsi qu’en Asie. Linière du Ressault, dont la production est expédiée en quasi-totalité à l’export, via des négociants français et étrangers, maîtrise de bout en bout la chaîne de production : la culture du lin – 2 000 hectares, dont 400 loués à des agriculteurs –, le teillage qui vise à extraire la fibre, et enfin le peignage, qui prépare la fibre pour les filateurs. Elle compte trois lignes de teillage en association avec un Belge, dont une installée en 2017, et une ligne de peignage. Le tout emploie 80 personnes à l’année.
Chacune de ces étapes requiert un savoir-faire spécifique, qui nécessite un long apprentissage. La culture par exemple : si cette bande de terre qui va de Caen à Amsterdam, est propice au lin, c’est en raison d’un climat tempéré mais particulier avec la proximité de la mer, qui fait alterner la pluie et le beau temps de façon équilibrée. Juste ce qu’il faut de pluie permet le rouissage du lin, une opération délicate qui consiste à laisser macérer le lin dans l’eau afin que l’écorce se détache de la plante. Trop de pluie et c’est la catastrophe, comme en 2012-2013, ou la moitié de la récolte n’avait pu être rentrée : l’entreprise avait dû licencier 9 personnes sur 50 à l’époque, et Didier Lamerant avait décidé de retarder le recrutement de sa fille.
Reprise du peignage en 2015
Mais depuis, l’activité est repartie de plus belle. Et la chance a même souri à Linière du Ressault au-delà de ses espérances. Le peignage, autre activité qui nécessite un savoir-faire de premier ordre, avait ainsi failli disparaître : délaissé par les négociants, qui s’étaient tournés vers les peigneurs chinois, moins chers, le lin peigné de Linière du Ressault ne trouvait plus preneur. Didier Lamerant avait dont arrêté l’activité en 2005. Mais il avait conservé la machine en espérant un jour reprendre l’activité grâce aux marchés prometteurs du composite. « C’est la Rolls-Royce des peigneuses, une machine qui date de 1989, la meilleure dans ce domaine » souligne Anne Lamerant. Bien lui en a pris. Dix ans après, alors que Didier Lamerant se résigne à vendre la machine, un négociant les contacte et leur propose de la relancer pour fournir un filateur italien. Marché conclu. « Nous avons signé un contrat sur cinq ans, renouvelable et relancé le peignage », relate Anne Lamerant.
Cette dernière est convaincue que face à une offre chinoise imbattable sur les prix, la fiabilité et la qualité de la production de Linière du Ressault fait la différence auprès des filateurs en Europe. « Nous avons 100 ans d’expérience dans le lin et nous avons renforcé notre savoir-faire dans le teillage en augmentant les cadences grâce à de l’innovation, explique Anne Lamerant. Nos employés ont une productivité bien supérieure et nous mettons plus de valeur ajoutée dans nos produits ». La proximité, qui réduit les coûts de transport, est un autre atout pour l’entreprise. Et elle peut se targuer d’avoir la certification qualité européenne European Flax, mise en œuvre pour le lin et le chanvre.
Pour l’heure, les clignotants sont au vert. La demande est forte, « le marché est assez tendu » se réjouit Anne Lamerant. Et en ces temps où les consommateurs se préoccupent davantage de l’impact environnemental des produits, la fibre naturelle qu’est le lin est incontestablement un produit d’avenir.
Christine Gilguy