Au Pakistan, le sixième pays le plus peuplé du monde (200 millions d’habitants), le poids de l’Hexagone ne cesse de diminuer, ce qui inquiète les autorités françaises. « Nous perdons des parts de marché sur nos concurrents. Même la Belgique et les Pays-Bas y exportent plus que nous aujourd’hui. Nous sommes le seul pays européen à ne pas envoyer de délégations d’affaires, alors que, chaque semaine, prospectent des sociétés italiennes, allemandes, chinoises », déplorait ainsi Eric Noitakis, conseiller économique à l’ambassade de France à Islamabad, lors d’un atelier d’information, organisé par Business France, le 17 mars, au lendemain de la commission mixte franco-pakistanaise à Paris.
Ainsi, en 2014, la France a-t-elle exporté pour un peu plus de 434 millions d’euros au Pakistan, son 74e pays client, dont plus de 66 millions d’euros dans le poste navigation arienne et spatiale. « Nous sommes présents depuis quarante ans et présents partout, de l’avion civil aux fournitures à l’Armée en passant par les hélicoptères. C’est donc un partenariat de long terme que nous avons noué avec l’Administration et le secteur privé, qui nous paient », a insisté Pascal Lesaulnier, vice-président du groupe Airbus en charge du Moyen-Orient
Il est possible de voyager entre les grandes villes
« Environ 400 sociétés au total vendent au Pakistan », a précisé Martine Dorance, l’ambassadeur de France qui était encore, il y a quelques mois, en poste en Malaisie. Dans cet autre État asiatique, bien moins peuplé (30 millions d’habitants), les exportations françaises se sont élevées à 2,39 milliards d’euros en 2014, soit cinq fois et demi le montant réalisé au Pakistan.
Mais si l’image de la Malaisie, nation encore mal connue des PME françaises, doit être encore développée dans l’Hexagone, celle du voisin de l’Inde est carrément catastrophique depuis le déclenchement de la guerre en Afghanistan. Et pourtant, si « la sécurité n’est pas totalement sous contrôle dans tout le pays », selon Martine Dorance, « il est possible d’y voyager, notamment entre les grandes villes ». C’est pourquoi « une mission française au niveau gouvernemental, associant le Medef pour les entreprises, va être organisée en octobre prochain à Karachi, peut-être à Lahore », a dévoilé Pierre Lignot, directeur du bureau régional de Business France.
Islamabad souhaiterait bénéficier du savoir-faire et des investissements de l’Hexagone, en particulier dans les domaines énergétiques et ferroviaires. Par exemple, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa (PKP), trois centrales hydroélectriques (Sharmai, Shogo-Sin, Shushgai) devraient faire l’objet de partenariats privé-public (PPP).
Mais c’est surtout dans les énergies renouvelables que les autorités pakistanaises souhaitent susciter l’intérêt des opérateurs français. « En matière de technologie, dans le solaire, nous commençons par le photovoltaïque, mais n’avons pas encore fait de choix définitif unique », livrait à Paris Asjad Imtiaz Ali, président de l’Agence de développement des énergies alternatives. Des incitations ont été mises en place, détaillait-il : « des PPP, avec des garanties d’achat, la protection contre les risques politiques et les changements législatifs ». Il « n’y a pas non plus de droits à acquitter pour importer des équipements, pas de taxe, le rapatriement des capitaux et dividendes est livre et il est possible de convertir la monnaie locale en dollars ».
L’AFD se concentre sur les énergies renouvelables
Selon Eric Noitakis, l’Agence française de développement (AFD) engage entre 40 et 70 millions d’euros chaque année, principalement dans l’énergie verte – efficacité énergétique et hydroélectricité – pour aider une nation qui ne peut satisfaire que la moitié de la demande d’électricité. Implantée depuis 2007 à Islamabad, l’agence finance en particulier la réhabilitation ou la réalisation de centrales hydro-électriques, une énergie dont est riche le Pakistan mais qui n’est pas utilisée. Sur une capacité estimée à 55 000 mégawatts (MW), seuls 6 800 MW sont exploités, d’après l’AFD.
De son côté, Proparco, la filiale dédiée au financement du secteur privé de l’AFD, investit 20 millions de dollars pour soutenir un nouveau parc éolien dans la province de Sindh. « L’investissement de Proparco, y explique-t-on, dans Gul Ahmed Wind Power, un producteur d’énergie indépendant, permettra à la société de construire et d’exploiter l’installation de 50 MW située au nord-est de Karachi. Le projet devrait contribuer à renforcer l’approvisionnement en électricité du Pakistan, où les fréquentes coupures de courant entravent le développement social et économique, et coûtent au pays l’équivalent de deux pour cent du produit intérieur brut. Environ 130 GWh par an devraient être ajoutés au réseau national».
D’après l’Agence d’investissement (BOI) du Pakistan, dans l’éolien, « le pays a un potentiel d’environ 340 000 MW » et en particulier le corridor Gharo-Keti-Bander dans le sud de « près de 50 000 MW ».
Les Français sont attendus dans le train
Autre domaine dans lequel Islamabad souhaiterait que Paris prenne le train de l’investissement, le rail. A Paris, Syed Mazhar Ali Shah, directeur général du Plan au ministère du Chemin de fer, mentionnait quatre possibilités : travailler avec la compagnie publique Pakistan Railways Freight Transport Corporation (PRFTC), fondée en décembre 2014 ; répondre aux appels d’offres, notamment pour les systèmes de signalisation et le matériel roulant ; contribuer au développement de la ligne Quetta-Taftan entre le Pakistan et l’Iran (« 732 km avec seulement un train tous les 15 jours », selon le Service économique à Islamabad) ; ou encore créer des partenariats pour développer des unités de production, comme les usines de fabrication de locomotives à Risalpur (25 par an) et de wagons à Islamabad (150 par an).
Selon Muhammad Saleem Sethi, le secrétaire de la division des Affaires économiques qui pilotait la délégation pakistanaise à Paris, « la priorité donnée à l’énergie induit des opportunités pour les sociétés françaises dans les infrastructures », y comprend les aéroports, les ports ou les routes. « Nous avons aussi besoin d’eau propre, d’exporter notre textile-habillement, notre riz et de diversifier nos ventes. C’est pourquoi nous demandons votre aide », plaidait l’ambassadeur du Pakistan à Paris, Ghalib Iqbal. « Il ne faut surtout pas oublier la téléphonie mobile, a renchéri Pierre Lignot. Environ 70 % des Pakistanais possèdent un mobile et 30 % disposent d’un accès à Internet, ce qui peut offrir de nombreuses opportunités dans les services à valeur ajoutée ».
Un corridor avec la Chine qui s’inscrit dans le projet de Route de la soie
Souvent le Pakistan se présente comme une porte d’entrée sur l’Asie centrale et un carrefour régional. D’où les ambitions énergétiques d’Islamabad, aujourd’hui engagé dans projet géant d’énergie entre le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde (Tapi). Par ailleurs, le grand projet de corridor économique entre le Pakistan et la Chine (CPEC) « offre des opportunités certaines dans les routes, le fer, les autoroutes, le transport d’hydrocarbures ou la coopération électrique », pointait Eric Noitakis. Avec un montant de 696 millions de dollars en 2013-2014, « la Chine est le premier investisseur étranger dans mon pays », s’est félicité, à son tour, Falak Sher Kalas, directeur général du BOI (notre photo).
Malgré l’appui de la Banque asiatique de développement (Basd), le Tapi rencontre des difficultés. Et pas seulement parce que ce chantier de 1 800 kilomètres implique les frères ennemis que sont le Pakistan et l’Inde. En fait, l’investissement est gigantesque (10 milliards de dollars) et aucun grand opérateur ne veut remplacer le français Total qui s’est retiré du projet, en raison de dissensions avec le Turkménistan. C’est du champ turkmène de Dauletabad que doit partir le gazoduc, qui devrait en fin de course au terminal de Fazilka en Inde livrer jusqu’à 33 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an.
Le CPEC paraît plus simple, dans la mesure où il s’inscrit dans le cadre de la Route de la soie que veut développer le pouvoir à Pékin. Il s’agit de relier Urumqui dans l’ouest chinois aux grandes métropoles du Pakistan, Lahore, Islamabad et Karachi, avant d’aboutir au sud-ouest au port de Gwadar. Lors de la visite du Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, à Pékin en novembre 2014, les entreprises et banques chinoises ont promis d’investir 45,5 milliards de dollars au cours des six années à venir dans l’énergie et les infrastructures liés au CPEC. Les deux États sont déjà reliés depuis 1977 par une autoroute de 1 300 km entre Kasghar (Chine) et Abbottabad (Pakistan) et par plusieurs liaisons aériennes, mais le CPEC donnerait aussi à la Chine un accès direct au Moyen Orient et à l’Asie centrale. Une voie stratégique pour Pékin.
François Pargny