Briser les liens entre l’extraction des minerais, le commerce des produits qui en sont composés et le financement des conflits armés : telle est la visée du texte adopté le 20 mai par le Parlement européen (PE) réuni en plénière à Strasbourg. Ce projet de règlement vise à limiter les financements des groupes militaires et armés, dans les zones de conflit – principalement en Afrique – via le commerce et l’extraction de certains minerais tels que l’étain, l’or, le tantale ou le tungstène. Ces produits, qualifiés de « minerais du sang », sont utilisés pour la fabrication de biens d’équipement et produits high tech comme les téléphones portables ou les tablettes.
Avec ce vote, qualifié d’historique par de nombreuses ONG, les eurodéputés espèrent rendre obligatoire un système européen de certification pour tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Des fondeurs et raffineurs, aux importateurs, en passant par les entreprises de la filière, devront déclarer l’identité de leurs fournisseurs directs.
« Ce vote est une excellente nouvelle pour toutes les populations victimes des conflits alimentés par les minerais de sang, notamment en République Démocratique du Congo et dans la région des Grands Lacs », s’est félicité Yannick Jadot (Verts, France), vice-président de la Commission ‘Commerce international’ (INTA) du PE. « C’est une bonne base de négociation et nous espérons que le Conseil saura à son tour prendre ses responsabilités face à ce trafic de la mort », souligne Guy Verhofstadt, Président des Libéraux et Démocrates (ALDE) au PE, dont le groupe a joué un rôle clé dans l’issue du vote à Strasbourg.
Car l’adoption du texte était loin d’être joué d’avance. Les députés étaient divisés quant à savoir si le système de certification obligatoire devait s’appliquer à tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement ou aux seuls importateurs, fonderies et raffineries, comme le proposait la Commission européenne dans son projet initial, présenté au printemps 2014. Plutôt que de contraindre les entreprises à indiquer d’où proviennent les minerais utilisés, l’exécutif européen – soutenu par les partis du PE à droite de l’échiquier politique, dont une partie des libéraux – prônaient une traçabilité simplement facultative.
«Une contrainte minimale sans surcharge bureaucratique» selon Louis Michel
D’abord voté au sein de la commission INTA le 14 avril dernier, la proposition d’un système contraignant avait d’ailleurs été rejeté à une courte majorité (22 voix contre, 16 pour et 2 abstentions). Chose rare : le rapport de force a été bousculé lors du vote en plénière, au grand dam du rapporteur, Iuliu Winkler (PPE, Roumanie) pour qui « l’antagonisme entre l’approche obligatoire et volontaire de la régulation est un faux problème. Le vrai défi concerne l’élaboration d’une réglementation efficace et viable ».
Même son de cloche du côté des lobbies industriels. « Nous regrettons ce vote basé sur l’émotion », a immédiatement réagi Markus J.Beyrer, Directeur général de BusinessEurope. Pour le patron des patrons européens, le projet de règlement générera des coûts additionnels pour les opérateurs « sans apporter de solutions concrètes aux conflits sur le terrain ».
Un argument rejeté par les défenseurs du système, en particulier par l’eurodéputé libéral Louis Michel (ALDE, Belgique) très impliqué sur ce dossier des « minerais du sang ». Fin connaisseur de l’Afrique, en particulier de la RDC, cet ancien ministre belge des affaires étrangères, qui fut ensuite commissaire européen en charge du Développement, s’est voulu rassurant à l’égard des acteurs du secteur. « Il suffira que les entreprises déclarent l’identité de leurs fournisseurs directs. On ne leur demande ni audit ni rapport. C’est donc une contrainte minimale sans surcharge bureaucratique. Il y a une raison économique majeure à imposer au minimum un devoir d’information à toutes les entreprises: cela permet de créer un marché européen des minerais propres », a t-il déclaré à l’issue de la plénière.
Mais si les partisans d’un système global contraignant ont remporté cette bataille, ils n’ont pas encore gagné la guerre. Le texte amendé de la Commission doit désormais être discuté en trilogue entre représentants de l’exécutif européen, du Parlement et des Etats membres. C’est seulement à l’issue de ces négociations que le nouveau règlement pourra être définitivement adopté et mis en oeuvre au sein de l’UE.
Kattalin Landaburu à Bruxelles