Les Français sont réputés moins bons que leurs homologues anglais ou allemands pour faire du lobbying à Bruxelles. Mais ils se soignent…
Cette formule illustre bien l’évolution de la pratique du lobbying par les Français. Depuis une dizaine d’années, ceux-ci semblent s’être peu à peu adaptés à cette discipline d’origine anglo-saxonne, longtemps décriée au sein de l’Hexagone. « Depuis 2000 il y a eu un tournant avec l’arrivée à Bruxelles de représentants d’entreprises françaises venus là par choix et qui sont restés », confirme Stéphane Desselas. Il cite, à titre d’exemple, le bureau de LVMH dans la capitale européenne dirigée par une lobbyiste professionnelle, espagnole et ancienne employée chez eBay, « preuve que certains groupes ont compris comment agir à Bruxelles ».
Et même les entreprises publiques sont aujourd’hui mieux armées pour peser sur le processus décisionnel européen. C’est le cas notamment de la Poste qui a ouvert sa représentation dans la capitale belge dès 1993. « Toutes les décisions qui ont changé notre groupe, ces dernières années, ont été prises à Bruxelles », commente Catherine Coppo, à la tête de l’antenne bruxelloise de l’entreprise. La Poste a donc su s’adapter aux exigences du fonctionnement à 27, intégrant la logique d’alliances et tissant des réseaux auprès des autres opérateurs des pays membres de l’UE. « La création d’alliances est une condition de notre efficacité », explique Catherine Coppo soulignant le rôle majeur joué par la fédération PostEurop au sein de laquelle sont rédigées et défendues les positions communes de ses membres.
A Bruxelles depuis huit ans, Philippe Eydaleine représente quant à lui les intérêts d’Air France auprès des institutions européennes. Son secret ? Un bon réseau d’informateurs au sein des différentes instances de l’UE « qui m’alertent lorsqu’un sujet, important pour nous, est sur le point d’émerger ou de ressortir ». Tous ces lobbyistes vantent, enfin, un atout de taille dans leur travail quotidien : l’efficacité de la Représentation permanente (RP) française auprès de l’UE. « Elle est souvent une alliée et un acteur essentiel de notre lobbying », insiste Catherine Coppo. Mais si ces professionnels ont aujourd’hui intégrés la logique du jeux à 27, ils ne sont pas toujours suivis par leurs collègues travaillant au siège de leurs entreprises. Philippe Eydelaine, par exemple, évoque le « coup de force » de son Président lors de la création de son poste à Bruxelles. « Je passe 50 % de mon temps à expliquer, au siège, que les attentes qu’ils formulent sont irréalistes », confie-t-il. Mêmes difficultés au sein de La Poste, dont la culture internationale est « quasi nulle », estime la représentante du groupe à Bruxelles, rappelant que seul 16 % de son chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger.
Et ce qui est vrai pour les entreprises l’est aussi pour les partis politiques. « Au sein de l’UMP on ne me connaît pas », ironise Jean-Paul Gauzès, eurodéputé français et coordinateur du groupe PPE au sein de la très influente commission « Affaires économiques et monétaires ». Travailleur acharné, il admet avoir une plus grande notoriété au sein des institutions financières ou des fédérations bancaires du fait de son influence sur ces questions au sein du Parlement européen.
Pourtant les eurodéputés français ont fait, selon lui, des progrès manifestes ces dernières années, mais « les médias s’intéressent plus à ceux qui ne travaillent pas comme Rachida Dati, Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen » regrette-t-il, précisant enfin : « Il y a deux types de députés. Ceux qui conduisent des listes, qui sont connus et qui disparaissent, et ceux qu’on connaît moins mais qui travaillent et défendent leurs dossiers ».
Kattalin Landaburu à Bruxelles
Les leçons de lobbying d’un français à Bruxelles
Comment faire du bon lobbying à Bruxelles ? La question sert de fil rouge au nouvel ouvrage de Stéphane Desselas et Natacha Clarac intitulé « les règles d’or du lobbying » (1). Dans ce livre, ces deux experts des rouages institutionnels bruxellois, décrivent les étapes clés d’un bon lobbying (phase de préparation, puis de positionnement), les actions à mener et le déploiement d’une campagne (arbitrage, stratégie de visibilité, organisation du travail en interne), ainsi que les instruments (réseau, outils d’influence et de communication) nécessaires aux professionnels à chaque stade de leur travail.
« Un bon lobbying doit reposer sur deux axes : efficacité et transparence », souligne Stéphane Desselas, Président du cabinet Athenora Consulting à Bruxelles, pour qui le second paramètre reste néanmoins primordial. Déjà auteur, en 2007, du livre « Un lobbying professionnel à visage découvert : enquête sur l’influence des Français à Bruxelles », ce grand défenseur d’un code éthique dans la profession, met en exergue les différences entre le système de prise de décision en France, et celui de Bruxelles. « Ici c’est la culture de l’argumentation qui prime, pas celle de l’autorité », avertit-il, ajoutant : « les Français ont tendance à s’adresser d’abord au sommet de la hiérarchie, or c’est plus l’expertise qui compte à Bruxelles ». Autre conseil à l’adresse de ses compatriotes : intervenir bien en amont, c’est-à-dire anticiper l’adoption des textes par la Commission.
K. L.
(1) « Les règles d’or du lobbying ». Stéphane Desselas et Natacha Clarac. Éditions du Palio (21 euros).
www.editionsdupalio.com