« Développer une influence normative
internationale stratégique pour la France » : le titre du rapport que
Claude Revel a remis officiellement hier 31 janvier à Nicole Bricq,
ministre du Commerce extérieur, est en lui-même explicite de son ambition (voir
le pdf du rapport en pièce attachée). Car pour cette infatigable militante d’un
réveil de la France sur cette question de l’influence qu’est Claude Revel,
consultante spécialisée sur les stratégies d’influence, auteure de nombreux
ouvrages sur ce sujet, il y a une urgence.
« L’influence sur les règles et normes internationales, c’est-à-dire sur
les règles du jeu économique, est
une composante
essentielle quoique peu visible de la compétitivité des entreprises et des
États, écrit-elle dans son rapport. Les
régulations internationales ne sont jamais innocentes, elles déterminent
des marchés, fixent des modes de
gouvernance, permettent à leurs auteurs de devancer la concurrence, ou de la
freiner, ou d’exporter leurs
contraintes ». Tout est dit ici côté enjeux. On nage dans l’intelligence économique la plus pure.
Un exemple concret, repris par Nicole
Bricq : la prise de position récente de la Commission européenne
en faveur des standards allemands pour les prises des véhicules électriques en
est la dernière illustration. Autre exemple, citée par l’auteure : la
Commission européenne est en train d’élaborer des normes définissant les
qualifications professionnelles sans que, selon elle, les Français ne s’en
préoccupent outre mesure…
«Nous avons ce qu’il faut, mais nous souffrons de division, de
manque d’intelligence collective»
« J’ai vu la
règle et la norme au sens le plus large du terme : du règlement ou de la
directive européenne aux normes Iso, en passant par tout ce qui relève de la
softlow ou encore des normes de gouvernance, confie-t-elle au Moci. Qui crée ces règles ? Comment, à son tour, la
France peut-elle les influencer au lieu de les subir ? ».
En l’occurrence, le
pays ne manque pas d’atouts mais il semble pêcher par manque d’organisation : « J’ai vu plus de 150 personnes, experts, hauts
fonctionnaires nationaux et internationaux, cadres d’entreprises et
d’organisations professionnelles et j’ai été frappée par la quantité d’expertise
et de compétences dont nous disposons », souligne Claude Revel, qui n’a pas
manqué, au cours de son enquête, de faire le tour des grandes institutions internationales
comme l’OMC (Organisation mondiale du commerce), Iso, la FAO (Organisation
mondiale de l’alimentation), l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ou encore le BIT (Bureau international du
travail). « Nous avons ce qu’il faut, mais nous souffrons de division, de
manque d’intelligence collective, et aussi d’une difficulté à traiter les
sujets en transversal, estime-t-elle. Il faut mieux s’organiser ».
Le rapport
s’efforce de fixer des priorités d’action et émet des propositions pour
améliorer la situation, sans d’ailleurs proposer la création d’une énième
structure sur ce sujet : « J’ai fait très attention à proposer des
solutions qui n’engagent pas de dépenses publiques, souligne Claude Revel. Il
s’agit surtout de faire travailler les gens ensemble. Par exemple, pourquoi ne
pas trouver des coordinateurs parmi les hauts fonctionnaires ou les cadres
dirigeants des entreprises privés qui sont très compétents mais en fin de carrière et relativement
disponibles pour des missions de ce type ».
La ministre du
Commerce extérieur a promis de s’emparer de ce sujet :« Le rapport de Claude Revel
soulève des enjeux essentiels et formule des propositions précises, qui doivent
faire l’objet d’un examen attentif. Il nous faut absolument réinvestir le
terrain de la normalisation. La bataille économique, c’est aussi la bataille
normative ». Il n’est que temps.
Christine Gilguy
Les sept priorités d’actions du rapport
Revel :
1-Mobiliser les entreprises dans les institutions normatives
internationales, en renforçant la lisibilité du dispositif et en
alignant le crédit d’impôt normalisation sur le crédit d’impôt recherche ;
2-Pousser
au sein des enceintes internationales trois sujets stratégiques majeurs :
les exigences françaises en matière de responsabilité sociale et
environnementale, de propriété intellectuelle et de réciprocité ;
3-Agir en
amont de la règle pour ne pas
se la faire imposer. La coopération technique et l’aide au développement peuvent
contribuer à promouvoir nos règles et normes à l’international.
4-Peser
sur les normes des marchés futurs dans l’agroalimentaire(hormones de
croissance, clonage du bétail et traçabilité numérique agricole), la ville durable(réseaux
intelligents et aménagement durable) et la
transition écologique (affichage environnemental et obsolescence programmée
des produits) ;
5-Peser sur les accords de libre échange internationaux. L’accord de libre échange Union européenne / Etats-Unis sera fondamental
par sa portée juridique car il orientera les règles du commerce mondial ;
6-Mettre
en place une ingénierie d’influence professionnelle par l’intermédiaire de
formations à l’intelligence économique et à la négociation dans les instituts
de formation de l’administration mais aussi dans les écoles publiques comme
l’ENA ou Polytechnique ;
7-Renforcer la place accordée aux normes dans le pilotage de
l’intelligence économique pour favoriser l’alerte,
l’impulsion et le suivi de stratégies d’information, de sécurité et d’influence
à une échelle interministérielle.
Pour prolonger :
Lire la dernière interview de Claude Revel au Moci : cliquez ici