Qualifiée depuis quelques années d’eldorado pour les services informatiques, l’Inde continue d’attirer. Mais, les entreprises françaises doivent désormais mieux cibler leur offre.
D’abord, les chiffres révèlent une effervescence continue des technologies de l’information (Information Technology, IT) indiennes. Malgré le contexte de crise, les revenus de cette industrie en Inde ont atteint 70,5 milliards de dollars en 2008-2009, avec une croissance annuelle de 12 %. Leur taux de croissance moyen a été de 27 % par an entre 2003 et 2008. Sa contribution au PIB de l’Inde atteint 5,8 % (exercice 2008-2009) et les exportations IT-BPO (Business process outsourcing-externalisation de services informatiques) environ 50 milliards de dollars.
Plus de 8 millions de personnes sont employées dans ce secteur, mais la croissance est telle que le marché de l’emploi est proche de la pénurie. La demande de personnel qualifié se serait accrue de 400 000 professionnels dans les IT et de 1,4 million dans les services informatiques pour la seule année 2009-2010. Le réservoir de talents locaux fournit environ 675 000 techniciens diplômés par an, dont 400 000 ingénieurs. D’après l’India Brand Equity Foundation (IBEF), de multiples acteurs internationaux se positionnent durablement sur le marché indien, avec de nombreux salariés : IBM (39 000), Accenture (16 000), EDS (15 000) et Cap Gemini (4 000)…
Malgré ces chiffres, l’Inde est-elle toujours l’eldorado de l’informatique ? « Cela veut tout dire et ne rien dire, tempère Christophe Commeau, responsable sectoriel Ubifrance en poste à Bangalore. On a vu beaucoup d’entreprises françaises investir dans l’outsourcing low cost pour faire développer des services informatiques, et se casser les dents depuis la crise. Certes, l’Inde demeure toujours de 5 à 10 fois moins chère que la France, mais on oublie souvent qu’il existe aussi un réel problème de productivité, et pas de vrai avantage concurrentiel dans le 100 % offshore. »
Asma Aidi, Chief Operating Officer chez Steria (voir témoignage ci-dessous), basée à Noida, considère de son côté que, malgré un fort ralentissement en 2008-2009, dû à la crise, l’offshoring reste porteur : « J’observe surtout un appel d’air important, constate-t-elle. De nombreux segments sont demandeurs de services : les infrastructures de transport, les services financiers, les solutions aéroportuaires, le secteur bancaire et la biométrie, qui est en plein boom. »
L’IBEF conseille, dans un récent rapport, de regarder de près certains secteurs de niche dans l’outsourcing. Ainsi, l’engineering process outsourcing (EPO, services variés et solutions clés en main en ingénierie), devrait, selon lui, grandir et peser 30 milliards de dollars par an en 2015. Il pourrait attirer 25 % de l’industrie EPO mondiale avec un coût de 60 % inférieur à celui existant actuellement aux États-Unis. Bechtel, General Motors, Ford, John Deere, Caterpillar, Silicon Automation Systems et John Brown Engineering sont déjà présents. Le rapport met aussi en avant un « legal process outsourcing » (LPO) (externalisation de certains services juridiques) naissant, mais qui pourrait croître significativement (1 million d’avocats obtiennent leur diplôme chaque année), du fait de leur coût (60 dollars par heure en Inde contre 350 dollars aux États-Unis).
Cléa Chakraverty
Témoignage : Asma Aidi, chief operating officer chez Steria en Inde
« Pour être compétitifs, il nous faut ce back-office en Inde »
Spécialisée dans le conseil-intégration de systèmes, l’infogérance, et l’application management, Steria a réalisé en 2010 un chiffre d’affaires de 1,692 milliard d’euros, à 70 % hors de France. En Inde, le groupe est implanté sur trois sites et emploie 6 000 personnes, soit environ le tiers de son effectif mondial. Comme pour bon nombre d’entreprises implantées en Inde, le turn-over du personnel est son principal souci : « Nous sommes en forte croissance et devons recruter 1 000 personnes cette année. Mais la fuite des talents, suite à la reprise du marché local et aux États-Unis, est un gros problème », confirme Asma Aidi, chief operating officer de Steria en Inde. La pression sur les salaires est forte mais pas au point de mettre en danger les avantages comparatifs du pays. « En Inde, quoi qu’on en dise, le rapport qualité/prix en termes de main-d’œuvre qualifiée existe toujours », précise-t-elle. Même si il « existe un fossé énorme entre les premières entrées sur le marché du travail et les cadres qui doublent leurs salaires en un an, mais sur lesquels on doit aussi compter. On ne peut pas monter une société qu’avec des jeunes diplômés ! » Steria est en Inde pour longtemps. « Pour être compétitifs ailleurs, il nous faut ce back-office en Inde. Ce qui nous permet d’ailleurs de gagner des projets auprès de grosses sociétés françaises » rappelle Asma Aidi. « D’ici trois à cinq ans, nous souhaitons réaliser avec l’Inde un chiffre d’affaires qui représentera 10 % du total que réalise le groupe Steria. » Mais, l’entreprise souhaite aussi développer sa présence sur le marché local en visant des projets plus ciblés.
C. C.