Le paiement d’avance, méthode qui consiste à facturer le client à l’étranger dès la commande – en particulier dans les pays où les délais de paiement sont différents des usages français – reste une pratique courante des entreprises françaises à l’exportation, notamment lorsqu’elles exportent hors de l’Union européenne (UE) : elle est recommandée par les credit manager pour les ventes court terme lorsque le client est nouveau dans près de la moitié des 110 pays couverts par l’Atlas des risques pays 2017 du Moci. Cependant, cette pratique peut être un handicap pour gagner des marchés à l’international.
Alors comment sortir, aujourd’hui, du paiement d’avance, une pratique cultivée par les entreprises ? Est-ce possible dans les pays à risques élevés comme en Afrique ? Quels outils, quelles solutions peuvent-être utilisés ? Le deuxième atelier (notre photo*) du Forum Moci sur les Risques et opportunités à l’international, intitulé « Les risques d’impayés : comment passer du paiement d’avance à un risque de crédit maîtrisé ? », s’est penché sur la question. En commençant par s’inspirer du témoignage concret d’une ETI française passée maître dans l’art de maîtriser ce type de risque.
La marque Yves Rocher est présente dans 90 pays, « notamment dans des pays qu’on qualifierait ‘à risque’ »
« Nous sommes très, très internationalisés », a indiqué d’emblée Jacek Roznowicz, directeur Europe du Sud, Afrique et Moyen-Orient du groupe Yves Rocher, qui intervenait sur cette table ronde. La marque de cosmétiques réalise près de 75 % de son chiffre d’affaires en dehors de l’Hexagone. La marque est présente dans environ 90 pays, « notamment dans des pays qu’on qualifierait ‘à risque’ », a précisé Jacek Roznowicz.Pour autant, elle a poursuivi son expansion.
En 1991, l‘entreprise française devient l’une des premières marques internationales à investir le marché russe après McDonald’s. Aujourd’hui, l’inventeur de la « cosmétique végétale » a 450 magasins en Russie, un marché pourtant jugé à risque du fait de lacunes persistantes dans l’environnement des affaires. La marque est également présente en Arabie saoudite (55 magasins) et, depuis une trentaine d’années, en Iran, où elle est distribuée à travers les réseaux de pharmacies. L’enseigne est aussi implantée dans les Balkans en Albanie, Moldavie et Bulgarie, des pays « qui sont loin d’être les rois de la transparence », a glissé Jacek Roznowicz, en charge de développer Yves Rocher dans ces pays.
Dans tous ses pays de présence, Yves Rocher pratique le paiement d’avance, une façon pour le groupe de se prémunir contre le risque d’impayés de ses distributeurs. Mais il fait évoluer ses relations progressivement. D’où l’importance de bien choisir son partenaire commercial.
Due diligence et visites terrain
Pour commercialiser ses produits à l’étranger, l’ETI familiale travaille avec des distributeurs locaux, qui importent à leurs propres risques puis bénéficient du support de la marque. « Nous partageons les mêmes intérêts et les mêmes risques », a souligné Jacek Roznowicz, qui a précisé qu’il se doit d’informer son partenaire sur les aspects administratifs et juridiques de ses produits afin de lui permettre de les importer et de les commercialiser facilement. « Le choix du partenaire, souligne-t-il, est vraiment crucial ».
Pour sortir du paiement d’avance, une entreprise qui commercialise des biens ou services à l’étranger doit « bien connaître son interlocuteur », a confirmé pour sa part Stephen Lord, responsable des projets internationaux d’ Ellisphere, société experte dans l’information sur les entreprises. En effet, avant d’imposer à son client étranger le paiement d’avance comme unique méthode de paiement, l’entreprise doit au préalable vérifier la fiabilité de l’acheteur. C’est le métier d’Ellisphere, qui accompagne et sécurise les prises de décision, en France et à l’international, des sociétés en leur délivrant de l’information économique et financière (data, enquête, notation privée, scoring) sur leurs partenaires commerciaux.
Des informations qu’il est toutefois plus compliqué d’obtenir lorsque le client est basé dans certains pays encore déficients en matière d’informations légales sur les entreprises même si la situation s’améliore. « En Afrique, a informé Stephen Lord, il existe un registre d’immatriculation des entreprises pour identifier son interlocuteur ».
Mais des vérifications au plus près du terrain sont aussi indispensables. C’est pour cela que Jacek Roznowicz se déplace sur le terrain pour rencontrer ses futurs partenaires afin de s’assurer de leur fiabilité. Au Moyen-Orient et en Afrique du Sud, Jacek Roznowicz interroge ses réseaux locaux pour se renseigner sur ses futurs partenaires. Il lui arrive même de mener enquête incognito en interrogeant dans les malls des responsables de vente de magasins, susceptibles d’être de potentiels partenaires. Une approche qui a reçu l’approbation de Jean-Claude Asfour, consultant en financements internationaux et auteur de l’Atlas des risques pays du Moci, qui estime lui aussi que le dirigeant doit quitter son bureau pour se déplacer sur place « pour se faire sa propre opinion». Il doit visiter l’usine du partenaire, inspecter le matériel…
Le dirigeant admet qu’il assouplit les règles en acceptant que 70 % du montant soit réglé à l’avance « comme argument commercial ». Mais il applique ces assouplissements généralement après deux années de partenariat. Il lui arrive également d’accorder des délais de paiement selon le profil du partenaire. C’est ce qu’il a fait au Kenya pour un partenaire qui distribue des marques américaines et est porté par des actionnaires puissants. « Sur d’autres marchés, a-t-il renseigné, on assouplit à partir de la troisième ou quatrième commande ».
Ne pas oublier le risque pays
Pour autant, faut-il prendre le risque pays à la légère ?
« Il faut bien connaître son client, mais d’abord bien connaître son pays », a complété Jean-Claude Asfour, citant la règle du « Know Your Customer’s country first ». Car un client, aussi solvable soit-il, ne pourra rien faire si la banque centrale de son pays ne peut ou ne veut transférer en devise le règlement qu’il a fait à son fournisseur étranger via sa banque locale. Le risque de non transfert est l’un des plus grand risques financier pour les exportateurs.
Le consultant préconise qu’avant de s’associer à un distributeur, en particulier dans un pays qu’elle juge « risqué », l’entreprise doit au préalable vérifier les différentes notations des assureurs-crédits, les analyses de la Banque mondiale ou bien s’informer sur le risque de non transfert. Une multitude d’outils existent pour se renseigner sur les risques de paiement dans le pays.
À l’exception de certains pays dans lesquels il est fortement recommandé, le paiement d’avance ne doit donc pas devenir une pratique banalisée par les entreprises françaises à l’export. Elles peuvent s’en affranchir en ayant recours à des outils et services pour se renseigner sur la solvabilité financière de leur partenaire et sur son comportement de payeur et s’informer sur le risque pays.
Venice Affre
*De gauche à droite sur notre photo : Jean-Claude Asfour, Stephen Lord, Jacek Roznowicz et Christine Gilguy
Pour prolonger :
– Forum Moci 2017 / Risques et opportunités : la Loi Sapin II, une réponse aux normes internationales anti-corruption
– Forum Moci 2017 / Risques et opportunités : le commerce reprend, malgré le protectionnisme et la compliance