Les défis de l’intégration régionale économique et commerciale de l’Afrique ont été abordés au cours de la deuxième table ronde (notre photo) sur le thème « L’intégration régionale, moteur du développement du commerce et des investissements intercontinentaux ? » du 9ème Forum Afrique, organisé le 7 février par Le Moci, en partenariat avec le CIAN (Conseil français des investisseurs en Afrique) et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France.
Les échanges intra-africains représentent à ce jour 16,6 % du total des échanges commerciaux du continent. Une part très faible comparée au 68 % de l’Europe. Ces échanges intra-régionaux se répartissent en outre entre huit blocs sous-régionaux, les communautés économiques régionales (CER), reconnues en tant que telles par l’Union africaine (UA) et formant le fameux spaghetti bowl africain.
La mise en œuvre de la future Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), évoquée lors de la table-ronde d’ouverture du forum, s’appuiera sur les CER existantes.
Premier défi : la synchronisation des communautés économiques régionales
Pour Patrick Sevaistre, consultant spécialisé dans les politiques publiques et le développement du secteur privé en Afrique, et membre du comité directeur du CIAN, la première étape du processus de création de la ZLECA, « c’est effectivement la consolidation et la synchronisation » des six grands blocs régionaux existants à savoir : l’Union du Maghreb arabe (UMA) ; la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) ; la CEEAC (Communauté économique des États d’Afrique centrale) ; la SADC (Southern African Development Community) ; la CAE (Communauté d’Afrique de l’Est) et la COMESA (Common Market for Eastern and Southern Africa).
L’objectif est de mettre fin au « bol de spaghetti » formé par la multiplication des accords de libre-échange (ALE) entre les sous-blocs régionaux, et au sein duquel le commerce reste encore très faible.
Deuxième défi : créer des infrastructures pour fluidifier les échanges commerciaux
La deuxième étape pour la mise en œuvre de la ZLEC consiste à supprimer les obstacles qui freinent le commerce intra-africain. Il s’agit surtout de lever les barrières non tarifaires en particulier l’accès aux infrastructures de transport terrestre et maritime.
Aujourd’hui, comme l’a expliqué Patrick Sevaistre, cela coûte « six fois plus cher » de faire circuler un conteneur entre Douala au Cameroun et N’Djamena au Tchad, que de faire circuler le même conteneur entre Shanghai et Douala.
« Depuis plus de dix ans, notre investissement sur l’Afrique s’élève à plus de 300 millions d’euros par an », a révélé Helle Rasmussen, Sales & Marketing Director Africa de Bolloré Logistics. Un montant « significatif ». Et pour cause, le groupe de transport et logistique français a beau opérer dans 16 terminaux à conteneurs sur le continent à travers sa branche Bolloré Ports, il se frotte à l’insuffisance des infrastructures portuaires pour desservir ses clients.
Car les ports africains sont congestionnés. Helle Rasmussen a d’ailleurs cité en exemple la « congestion sans fin » du port de Lagos au Nigeria. Résultat, la sortie des porte-conteneurs est cinq à six fois plus longue en Afrique alors qu’un porte-conteneur met 3 jours pour sortir d’un port sur un autre continent.
Devant ces obstacles, le premier opérateur d’infrastructures portuaires en Afrique, comme l’a confié Helle Rasmussen, « participe financièrement à la création de ports alternatifs » pour servir ses clients et les consommateurs finaux sur le continent.
Poma : aborder le marché africain comme « un ensemble »
L’Afrique constitue un relais de croissance pour Poma qui a déjà réalisé plus de 500 installations en Asie en 45 ans de présence. Pour autant malgré l’existence d’importantes communautés économiques régionales, le spécialiste français des équipements de transport par câble (télésièges, télécabines, téléskis…) n’aborde pas le continent aux 54 nations avec une logique régionale qui, par exemple, le pousserait à se tourner vers l’Afrique de l’Ouest.
Poma n’intègre donc pas le ciblage des zones économiques régionales dans son approche commerciale des marchés africains mais voit plutôt le continent africain comme « un ensemble », a ainsi assuré Mehdi Caillis, Head of Africa & Middle East de Poma.
En résumé, comme un marché unique de 1,3 milliard d’habitants qui représente des opportunités commerciales importantes.
Bien que l’ETI iséroise dispose d’implantations en Algérie, au Maroc et en Égypte, elle n’a pas uniquement ciblé l’Afrique du Nord. Elle a également dans sa ligne de mire l’Afrique subsaharienne où beaucoup de pays offrent des possibilités de développement en raison du boom de l’urbanisation.
Air France : rester un acteur majeur du marché du transport aérien en Afrique
Partenaire stratégique de l’Afrique, Air France relie le continent africain à l’Europe depuis plus de 85 ans et dessert 50 métropoles africaines dont 39 en Afrique subsaharienne. « Aujourd’hui, un siège sur cinq qu’offre Air France sur un long-courrier va vers l’Afrique », a souligné Michael Ruet, directeur Business Development France chez Air France.
À l’instar de Poma, dans son approche commerciale des marchés africains, la compagnie n’aborde pas le continent avec une stratégie de ciblage des zones économiques régionales. Elle aborde le continent dans son ensemble.
« L’enjeu pour nous, il est très clair : c’est de rester un acteur majeur de ce marché qui est en fort développement », a ainsi soutenu Michael Ruet. Car comme il l’a rappelé, « le transport aérien en Afrique, c’est moins de 3 % du transport aérien mondial ». Certes, un taux marginal mais « il y a un énorme potentiel de développement », a conclu le dirigeant d’Air France.
Bolloré Logistics : créer des hubs logistiques
Le groupe français Bolloré Transport & Logistics en Afrique a adopté une stratégie d’investissements régionale. « Notre volonté, c’est évidemment avec cette création de zone de libre-échange de pouvoir créer des vrais hubs logistiques dans les régions », a relaté Helle Rasmussen.
Bolloré Transport & Logistics a inauguré en septembre dernier à Abidjan, son nouveau hub logistique multimodal baptisé « Aerohub » pour accompagner son développement en Afrique de l’Ouest et maintenir son leadership dans les offres de services logistiques dans la région.
L’opérateur du transport et de la logistique à l’international est en effet positionné sur le continent à la fois sur des opérations portuaires, ferroviaires et de logistique. Son objectif est donc de mutualiser et de combiner l’ensemble de ses opérations à travers ces hubs « pour mieux servir nos clients et les consommateurs », a expliqué Helle Rasmussen.
Poma : identifier des zones régionales
Poma a également adopté une stratégie régionale pour aborder le continent. « Il est important de faire la distinction entre les sous-régions, de manière à avoir des actions ciblées, c’est le parti que nous avons pris », a ainsi livré Mehdi Caillis.
L’entreprise française spécialisée dans la fabrication de systèmes de transport par câble a notamment ciblé cinq zones. « Ce sont les zones traditionnelles », a glissé Mehdi Caillis à savoir Afrique du Nord, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique de l’Est et Afrique australe. Dans ces zones, « les besoins sont immenses », a-t-il souligné.
Air France : créer un « ciel unique » africain
En Afrique, du fait de l’absence d’intégration régionale dans le transport aérien, Air France est présent « sur des micro marchés », a précisé Michael Ruet.
Le faible développement au niveau régional du transport aérien est notamment dû « à l’absence d’infrastructures mais aussi à l’absence d’accords de ciel ouvert entre les États africains », a développé Michael Ruet.
Comme il l’a rappelé, le marché unique du transport aérien en Afrique (MUTAA) est un projet né en 1999 et qui a été renouvelé en 2018 par 23 pays. « De 54 pays signataires en 1999, on est passé à 23 pays signataires il y a deux ans », a-t-il regretté. Certes, le projet de MUTAA a du mal à prendre son envol. Toutefois, « ça reste une opportunité de développement extraordinaire pour les compagnies africaines qui en sont les premières bénéficiaires », a conclu Michael Ruet.
La future zone d’intégration commerciale de l’Afrique qui verra le jour avec la mise en œuvre de la ZLEC va offrir des opportunités aux entreprises françaises qui souhaitent participer au développement du commerce intra-africain.
Venice Affre