Invité à partager son expérience du Brexit lors d’un webinaire organisé par la Chambre franco-britannique, Philippe Girard, le directeur France de l’équipementier anglais JCB, porte un regard positif sur le retour des procédures douanières depuis le 1er janvier, malgré quelques accrocs et imprévus.
Présent dans 150 pays, employant 10 000 personnes sur quatre continents, le troisième constructeur mondial d’engins de chantier, basé à Rocester, dans le centre de l’Angleterre, est pour le moins rompue aux arcanes de la logistique du grand export.
JCB avait soigneusement préparé le retour des formalités douanières au 1er janvier de cette année. Sa filiale française (280 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 40 générés par les pièces détachées), gère un entrepôt à Sarcelles, en région parisienne et le flux de 2 000 camions par an en provenance des usines des Midlands.
Un spécialiste des douanes recruté pour préparer le Brexit
Un spécialiste des douanes avait été spécialement embauché pour prendre en charge toutes les formalités administratives et traiter les quelque 2 800 lignes douanières quotidiennes. Un enjeu de réputation pour l’entreprise : « notre SAV s’engage à livrer des pièces détachées à nos clients le lendemain et ce service fait partie de notre image de marque, explique Philippe Girard. Si un camion arrive à Sarcelles après 7 heures du matin, c’est très difficile de respecter les délais.»
Alors que l’entreprise affiche un taux de livraison en temps et en heure d’en moyenne 93 %, celui-ci est tombé à 80 % en janvier. « Les camions étaient régulièrement contrôlés sur l’autoroute en janvier, entraînant des retards, mais le flux s’est ensuite fluidifié. »
Un Brexit idéal ? Si les camions sont désormais à l’heure, la nature des importations de la filiale française, allant de la simple rondelle aux pièces lourdes, a néanmoins confirmé que le diable se niche dans les détails.
Des catégories de produits encore dans le flou réglementaire
Les supply chain de JCB sont complexes. Le groupe a des usines en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Asie qui produisent des composants assemblés en Angleterre avant d’être importés dans l’UE. Un camion représente pas moins de 180 lignes à traiter.
« J’ai par exemple découvert qu’un pare-brise en provenance de Chine n’avait pas la même référence douanière s’il mesurait plus ou moins d’1,20 mètre de large, témoigne Philippe Girard. Nous n’étions pas habitués à ce degré de complexité et encore aujourd’hui 5 % des pièces continuent à poser problème. »
C’est en particulier le cas des lubrifiants et des huiles hydrauliques. « Ces produits sont soumis à la TIPP [ndlr : Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers] et c’est un peu le bazar à ce sujet en ce moment », rapporte le dirigeant.
Autre sujet d’inquiétude : la disparition en janvier 2021 de la réglementation sur le transport des pièces hors gabarit et de leur classification en catégories 1 et 2. « Nous importons des pièces et des machines allant de 800 kilos à 50 tonnes et ce flou réglementaire a beaucoup perturbé l’acheminement en janvier : tous les produits concernés sont passées en Ro/Ro. »
Le flou réglementaire qui a entouré les convois exceptionnels jusqu’au retour des catégories 1 et 2 en mars a en effet contraint JCB a concentré des flux de 40 à 50 camions sur des navires rouliers ce qui a entraîné d’importantes perturbations.
L’entreprise anglaise va ouvrir un entrepôt aux Pays-Bas
L’entreprise a également dû réajuster son choix de routes maritimes : la république d’Irlande est servie directement depuis Dunkerque et Roscoff et la route des marchandises dangereuses passe par la Belgique et les Pays-Bas.
JCB va ouvrir un gros entrepôt dans les prochains mois à Amsterdam pour gérer la logistique de tous les composants fabriqués au sein de l’UE, dont la France est un maillon important (le groupe travaille avec une soixantaine de fournisseurs tricolores et possède un autre entrepôt européen à Pielsen, en République tchèque).
Incertitudes côté britannique sur le logiciel douanier GVMS
Selon le directeur de JCB France, les douanes et les entreprises françaises, belges et hollandaises étaient bien préparées au rétablissement de la frontière, « mais le processus a été beaucoup plus laborieux côté britannique ».
D’où une certaine circonspection quant au calendrier de mise en service du GVMS (pour Goods Vehicle Movement Service), le logiciel britannique qui doit prendre en charge les formalités douanières au 1er juillet prochain. Philippe Girard reste prudent : « Nous avons pu assister aux premiers tests du GVMS la semaine dernière et il a l’air de fonctionner mais je préfère ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir vu fonctionner en condition réel car toutes les interconnexions ne sont pas encore faites ».
Des PME britannique moins bien préparées
Si le Brexit s’est finalement bien passé pour un groupe aussi internationalisé et habitué aux subtilités douanières que JCB, les PME britanniques, moins préparées à l’export continuent à peiner à exporter vers l’UE. D’autant que le gouvernement n’a pour l’instant pas prévu de campagne de communication qui leur soit spécialement destinée.
Les reports annoncés en mars dernier de la mise en place des contrôles sanitaires et phytosanitaires (à octobre au lieu de juillet) et du maintien de la procédure de douane simplifiée jusqu’à janvier 2022 (à la place de juillet), réclamé par les entreprises britanniques, devraient leur permettre de peaufiner leur préparation. La question est de savoir si ce nouveau délai sera suffisant.
Sophie Creusillet