Internet est devenu un canal de distribution majeur du commerce illicite et en particulier des contrefaçons. Devant l’ampleur croissante de ce phénomène et face aux risques pour la santé et la sécurité des consommateurs, et au préjudice pour les entreprises et industriels, l’Union des fabricants (Unifab), principale association française de lutte anti-contrefaçon, et l’Association de lutte contre le commerce illicite (Alcci), ont publié conjointement un livre blanc* pour dénoncer ce fléau et élaborer des recommandations réalistes. Une première.
Ce livre blanc* a été présenté à la presse le 13 mai à Paris au siège de l’Unifab. Intitulé « Combattre le commerce illicite en ligne des produits réglementés », l’ouvrage de 31 pages dresse un état des lieux du commerce illicite en ligne et dénonce ses impacts sur le consommateur, les entreprises et l’État (pertes de recettes fiscales…). Dans un second temps, des recommandations pour « une lutte efficace » sont proposées. À cet égard, le livre blanc préconise des nouveaux modes de collaboration entre les acteurs privés et publics et la création d’un observatoire dédié à la lutte sur Internet contre le commerce illicite (recel, contrebande, contrefaçon, non-conformité…).
Sites de vente et marketplaces, réseaux sociaux, dark web…
Le commerce illicite se développe en toute impunité dans l’espace numérique, une zone échappant à la législation, devenue le terrain de jeu privilégié des trafiquants et contrefacteurs pour toucher facilement un grand nombre de clients potentiels. « Tous les moyens numériques sont utilisés », déplorait ainsi Philippe Lacoste, vice-président de l’Unifab, lors de la publication du livre blanc. L’essor des plateformes de e-commerce (eBay, PriceMinister, Alibaba…) et des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram…) a permis aux trafiquants d’étendre considérablement leur champ opératoire.
En 2018, 92,6 milliards d’euros ont été dépensés par les Français sur Internet, soit une progression de 13,4 % par rapport à 2017, selon les statistiques annuelles de la Fédération du e-commerce et de la vente en ligne (Fevad). Il n’est pas rare que des consommateurs en France achètent en ligne des contrefaçons en pensant faire l’acquisition d’un produit authentique. Ils sont souvent dans l’ignorance de ce marché illégal auquel ils sont confrontés.
« Ce livre blanc, c’est une pierre blanche », a déclaré Alain Juillet, président et fondateur de l’Alcci, première association en France de lutte contre le commerce illicite, créée en novembre 2017 pour sensibiliser les entreprises comme les pouvoirs publics sur l’étendue et la gravité du commerce illicite. « Il est temps de s’intéresser à ces problèmes de manière sérieuse », s’est insurgé l’ex-directeur du renseignement à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et ancien haut responsable pour l’Intelligence économique en France.
Le commerce illicite de produits licites est omniprésent : pièces de rechange automobile ou prothèses médicales contrefaites ou ne répondant à aucune norme, faux médicaments placebo ou poison… Et, il est partout : distribution de détail, dans la rue, sous le comptoir, et de plus en plus, sur les réseaux sociaux et les sites de vente sur Internet. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un patient dans le monde a 90 % de risque d’être « trompé » en achetant des médicaments sur Internet dont environ 50 % de risque de tomber sur un médicament falsifié. La falsification de médicaments doit aujourd’hui être traitée comme une priorité sanitaire mondiale estime l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM). La prolifération de faux médicaments menace la santé des patients sur les cinq continents alerte l’IRACM. « En Afrique, c’est un fléau majeur. Les médicaments achetés sur Internet font entre 600 000 et 1 million de morts par an », a dénoncé Alain Juillet.
Selon lui, il faut mobiliser tous les acteurs, publics comme privés, sur l’étendue et les dommages de ce phénomène.
A. Juillet : « Nous devons réunir le privé et le public au sein d’un PPP »
« Nous devons réunir le privé et le public au sein d’un partenariat public-privé (PPP) pour être le plus efficace possible », a lancé Alain Juillet. L’État (policiers, gendarmes, agents douaniers, services publics…) et le secteur privé (entreprises, industriels, associations…) doivent renforcer ou revoir leurs modes de collaboration. En outre, pour aller plus loin dans la lutte, l’ancien directeur du renseignement à la DGSE suggère de mobiliser tous les acteurs impliqués dans la chaîne de valeur (fournisseurs d’accès à Internet, plateformes de ventes, réseaux sociaux, banques…). Et, de leur donner la possibilité d’agir dans la lutte contre le commerce illicite en ligne. L’enjeu est d’identifier les trafics et remonter les filières.
Tous les acteurs concernés, État, entreprises, acteurs privés en relation avec la chaîne de valeur, pourraient être réunis au sein d’un observatoire fondé sur une approche coordonnée de la répression entre secteur privé et public, suggère le livre blanc.
Créer un observatoire commun
Sur un plan plus opérationnel, le livre blanc Unifab-Alcci s’inscrit en effet dans la volonté de créer un observatoire doté de dispositifs répressifs en ligne afin de mieux appréhender les trafiquants. « C’est une recommandation très ambitieuse », a reconnu l’expert en intelligence économique. Cet observatoire rassemblerait des policiers, des gendarmes, des agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), des douaniers et des représentants du secteur privé (entreprises, intermédiaires (fournisseurs d’accès Internet, places de marché, plateformes de paiement…), associations…).
L’objectif est que cet observatoire se constitue en groupement d’intérêt public (GIP) sous la tutelle de l’État. Concrètement, l’observatoire aurait pour objet l’échange d’informations entre les différents acteurs et l’identification de filières illicites, pour permettre la mise en place de dispositifs de prévention, de régulation et de répression. Il permettrait par ailleurs, sur le plan juridique, de proposer des évolutions législatives.
Adapter la législation aux nouvelles réalités
Outre la création d’un observatoire, l’Unifab et l’Alcci préconisent dans leur livre blanc une nouvelle législation, la législation actuelle étant considérée « obsolète ». Elle n’est plus adaptée à la réalité du risque et du préjudice pour les consommateurs, les industriels1 et l’État. La directive 2000/31/CE relative au commerce électronique dans le marché intérieur entrée en vigueur le 17 juillet 2000 « crée des régimes spéciaux au profit de certains prestataires techniques », pointe le livre blanc :
– « Le simple transporteur n’est jamais responsable des contenus qu’il transporte dès lors qu’il respecte la neutralité technologique ;
– L’hébergeur n’est pas responsable a priori du fait du contenu illicite qu’il stocke à la demande d’un internaute ».
Quant à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il faudrait également « la revoir » estime Alain Juillet qui faisait remarquer qu’« en quinze ans », le domaine du numérique a beaucoup évolué.
La lutte contre le commerce illicite sur Internet est un défi majeur qui impose un changement de paradigme. Force est de constater que malgré des initiatives multiples, l’organisation de cette lutte reste encore trop fragmentée et manque de vision stratégique pour être efficace. D’où la publication par l’Unifab et l’Alcci d’un livre blanc proposant des solutions concrètes. « On espère que ce premier livre blanc, sera suivi d’autres livres blancs », a conclu Alain Juillet.
Venice Affre
Pour en savoir plus :
*Consulter le livre blanc Unifab/Alcci en fichier PDF ci-dessous