Taxations douanières américaines et contre-mesures chinoises se sont succédé tout l’été dans la guerre commerciale acharnée que se livrent les États-Unis et la Chine. Le président américain Donald Trump mettant à exécution ses menaces a imposé, dès le 6 juillet, des droits de douane de 25 % sur 34 milliards de dollars de marchandises chinoises, forçant Pékin à répliquer sur un montant identique de biens américains. Cette taxe douanière décidée par l’administration Trump a eu des répercussions indirectes sur un certain nombre de sociétés technologiques françaises et européennes qui font fabriquer en Chine des produits qu’elles importent ensuite aux États-Unis pour les y commercialiser.
Le sujet des taxations américaines mais aussi le Brexit ont été évoqués lors de l’atelier « Accélérez à l’international avec la Douane » organisé par Le Moci avec la Douane (notre photo*), à l’occasion de Bpifrance Inno Génération dont la dernière édition, qui s’est tenue le 12 octobre à l’AccorHotels Arena de Paris, a accueilli 43 000 entrepreneurs.
Cet atelier animé par Christine Gilguy, rédactrice en chef du Moci, a permis de faire le point sur les aspects réglementaires et douaniers que les entreprises, de toute taille et de tout secteur, doivent prendre en compte très en amont lorsqu’elles exportent. Ellen Griffith, spécialiste de la conformité, responsable des opérations import-export de la supply chain de l’entreprise Withings, et Marc Fabre-Garrus, inspecteur des douanes de la cellule-conseil aux entreprises à la Direction régionale des douanes et droits indirects de Paris-Ouest, sont venus témoigner lors de cet atelier de 25 minutes pour expliquer comment la Douane à travers son service gratuit cellules-conseil aux entreprises assiste au quotidien les entreprises mais aussi les jeunes pousses du domaine des objets connectés comme Withings dans leurs procédures douanières pour se développer à l’international.
Choisir le bon code douanier pour sécuriser ses marchandises à l’export
La société française Withings (ex-Nokia Health) conçoit, produit et commercialise des objets connectés avec des applications dans la santé (montres, balances, tensiomètres, babyphones). Son produit phare, une montre connectée qui mesure le rythme cardiaque de son utilisateur pendant l’activité (effort physique…) et durant le sommeil cartonne à l’export. Withings livre ses montres connectées dans toute l’Union européenne (UE) mais aussi hors UE, en Suisse et en Norvège, ainsi qu’en Amérique du Nord (États-Unis et Canada).
Le siège de cette entreprise de 200 employés, fondée en 2008, est implanté au sud-ouest de Paris à Issy-les-Moulineaux où les ingénieurs R&D conçoivent tous les produits. Les montres développées par l’équipe d’ingénieurs sont ensuite manufacturées en Chine où Withings possède des usines de fabrication. De ce fait, les montres intègrent des composants originaires de Chine. La jeune pousse n’a donc pas été épargnée par la taxation de 25 % appliquée le 6 juillet dernier par l’administration américaine sur 818 produits en provenance de Chine, en particulier les biens d’équipement pour l’industrie (robots etc.). Démunie et prise de court face à cette taxation inopinée, la société experte dans la santé connectée a réagi en modifiant les codes douaniers de ses marchandises. « On a réussi à changer les codes douaniers de certains de nos produits pour éviter cette taxation qui est énorme », a ainsi révélé Ellen Griffith.
Recrutée il y a deux ans et demi pour gérer la supply chain de la marque Withings, la jeune femme n’a pas hésité à solliciter sur certaines questions douanières les agents de la cellule-conseil aux entreprises de son département. « On a beaucoup travaillé avec la cellule-conseil aux entreprises de la Douane pour améliorer nos process douaniers », a-t-elle ainsi confié.
Définir le code douanier du produit
Rappel. Également appelé espèce tarifaire, le code douanier est une nomenclature à huit chiffres commune à l’ensemble des 28 États membres de l’UE.
Avant même de fabriquer en Chine ses montres connectées, Withings pense très en amont au code douanier qu’il faut utiliser. Celui-ci, en effet, déterminera la valeur en douane autrement dit la valeur des marchandises à l’entrée dans le territoire douanier de l’Union européenne.
À Issy-les-Moulineaux, Ellen Griffith travaille avec les ingénieurs en mécanique de logiciel embarqué pour comprendre les spécificités techniques du produit et ainsi définir son code douane à huit chiffres. Un détail qui a toute son importance car Withings doit importer en France ses marchandises produites en Chine afin de les commercialiser dans l’UE. « Un code douanier, c’est très important, ça détermine le pourcentage de droits de douane que l’on va payer à l’entrée sur le territoire français », a ainsi prévenu Ellen Griffith.
La définition du code douanier est une étape stratégique pour les entreprises puisque les droits de douane à payer varient en fonction du code douanier de la marchandise.
Ce n’est pas tout, la jeune pousse est confrontée à une autre difficulté, plusieurs codes douaniers existent pour un même produit, impossible donc de déterminer la taxation applicable à ses montres connectées. « C’est une montre, mais c’est aussi un appareil d’horlogerie, et c’est un appareil qui transmet des données. Ce qui fait donc trois codes différents », a détaillé Ellen Griffith. Dans quel code, l’entreprise doit-elle classer sa marchandise ? « C’est une grosse problématique qui se pose », a encore insisté la spécialiste en compliance.
Après avoir choisi un code douane, Withings donc fait valider son choix auprès de l’administration des douanes. Pour ce faire, l’entreprise effectue une demande de renseignement tarifaire contraignant (RTC). Le RTC indique le classement tarifaire d’une marchandise. Délivré par l’administration des douanes, il permet aux entreprises de sécuriser leurs opérations commerciales.
Quid du régime douanier pour la réparation des produits ?
Mais dans le cas de Withings une autre problématique se pose. Elle concerne cette fois, non pas la définition du code douanier de ses marchandises, mais leur réparation. Pour être réparés dans ses usines chinoises, les produits doivent être expédiés en Chine, mais après réparation revenir aux clients dans l’UE. Withings doit donc les importer une deuxième fois dans le marché unique des 28. Afin de ne pas payer deux fois les droits de douanes, une première fois pour faire rentrer en France sa marchandise manufacturée en Chine, et une deuxième fois, après leur réparation, Withings fait des demandes d’autorisation de régimes particuliers auprès de la Douane.
« Quand on a un produit qui arrive dans l’Union européenne, si le produit avait déjà été importé, et si on ne fait rien en retour, il est taxé à nouveau », a prévenu Marc Fabre-Garrus. « D’où l’intérêt, a-t-il ajouté, de mettre en place un régime de perfectionnement passif ». Mais ça marche dans les deux sens. « Lorsque le produit est réparé dans l’Union européenne et qu’il repart dans un pays tiers, on appelle ça un perfectionnement actif », a encore expliqué l’inspecteur des douanes de la cellule-conseil aux entreprises de Paris-Ouest. « L’objectif, à chaque fois, a-t-il souligné, est d’éviter une taxation double ».
Mais beaucoup de sociétés ignorent cette facilité. Marc Fabre-Garrus conseille donc aux entreprises de contacter la cellule-conseil aux entreprises de leur territoire en amont de leur projet d’exportation ou d’importation. « Car on peut les aider à intégrer la Douane dans leur business model », a assuré l’inspecteur des douanes de la cellule-conseil aux entreprises de Paris-Ouest. Mais selon lui, mieux vaut agir en amont et contacter la Douane avant, et non pas après, lorsque la marchandise est bloquée.
Bon à savoir. Le régime du perfectionnement passif permet d’exporter temporairement des marchandises communautaires en vue de les faire ouvrer, monter, transformer, ou réparer dans un pays tiers puis de réimporter les produits compensateurs en exonération totale ou partielle des droits à l’importation.
La Douane accompagne aussi les start-up
La Douane accompagne les PME mais aussi les start-up dans leurs démarches douanières. Marc Fabre-Garrus est également référent start-up à la Station F, le gigantesque campus à start-up parisien créé par Xavier Niel, le fondateur de Free. La Douane est en effet présente à la French Tech Central, lieu situé à la station F qui réunit 30 acteurs des services publics (Business France, Bpifrance, l’INPI, la Dirrecte Ile-de-France…), pour être au plus près des jeunes pousses, avec un même objectif : faciliter leur vie pour favoriser leur croissance.
Les start-up peuvent prendre directement rendez-vous avec les cellules-conseil aux entreprises de la Douane présentes à la Station F pour échanger sur leurs projets. Du prototypage à l’industrialisation, en passant par les démonstrations sur les salons à l’étranger, la Douane française accompagne les start-up qui souvent souffrent d’une méconnaissance des règles douanières.
Bon à savoir. La Douane française dispose de 40 cellules-conseil aux entreprises installées au sein des pôles d’action économique des directions régionales des douanes et droits indirects. Les cellules sont réparties à travers tout le territoire et dans les départements d’outre-mer. Elles peuvent aider, accompagner et conseiller les entreprises pour optimiser la gestion de leurs activités douanières.
Liste des 40 cellules-conseil aux entreprises : http://www.douane.gouv.fr/articles/a11053-les-cellules-conseil-aux-entreprises
Les Brexit, « il faut s’y préparer ! »
Le Royaume-Uni est le troisième marché de Withings, pourtant comme beaucoup d’autres entreprises, en particulier les PME et TPE, la jeune pousse experte dans la santé connectée ne s’est pas préparée au Brexit dont l’échéance du 29 mars 2019 approche à grands pas.
Le Royaume-Uni va sortir de l’Union européenne. « Ça veut dire quoi concrètement ? Ça veut dire une nouvelle frontière », a commenté Marc Fabre-Garrus. « Une nouvelle frontière, a-t-il ajouté, ça veut dire une nouvelle Douane, et une nouvelle douane, ça veut dire une déclaration en Douane », a encore prévenu l’inspecteur des douanes.
Brexit ‘dur’ ou Brexit ‘doux’ et qu’un accord soit trouvé ou pas en novembre entre Londres et Bruxelles, une chose est certaine, « il faut s’y préparer ! », estime Marc Fabre-Garrus qui a souhaité lors de cet atelier délivrer un message aux entreprises qui ont des activités commerciales avec le Royaume-Uni. « Prenez contact avec nous [la Douane] pour qu’on vous aide à définir quel type de marchandise vous avez ‘au sens douanier’ ».
Espèce, valeur, origine… La maîtrise des procédures douanières dans les entreprises est un enjeu clef pour être prêt face au Brexit. Peu importe la nature du divorce, « tout ce travail de maîtrise des fondamentaux douaniers, il faut le faire maintenant, ce sera fait au moins pour l’avenir », a conclu Marc Fabre-Garrus.
Venice Affre
*Sur la photo (de gauche à droite) : Ellen Griffith, spécialiste de la conformité, responsable des opérations import-export de Withings, Christine Gilguy, rédactrice en chef du Moci, et Marc Fabre-Garrus, inspecteur des douanes de la cellule-conseil aux entreprises à la direction régionale des douanes et droits indirects de Paris-Ouest
Pour prolonger :
– Brexit / Mode d’emploi : Bercy publie un guide pratique à l’attention des PME et ETI (gratuit)
– Etats-Unis / Chine : la nouvelle escalade tarifaire commence à inquiéter