Comme avec le Pérou qui l’a précédée à Lima avec la Cop 20, la France va collaborer avec le Maroc qui prendra son relais en novembre à Marrakech pour la Cop 22, a expliqué Laurent Fabius, invité le 8 février à s’exprimer au Medef sur l’après Cop 21, en présence de la présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc, Meriem Bensallah-Chaqroun.
Le ministre des Affaires étrangères et du développement international (Maedi) a ainsi voulu mettre en avant « l’esprit » qui anime la France, après le succès diplomatique enregistré en décembre à Paris pour la 21e Conférence des Nations Unies pour les changements climatiques (Cop 21). « L’accord a été accepté par les 195 pays participant et 187 ont déposé leur contribution nationale (INDC), alors qu’au départ nous n’en attendions que 80 à 100 », a-t-il rappelé, prenant à témoin dans la salle le nouveau directeur exécutif de WWF France, Pascal Canfin, qui fut ministre délégué au Développement de mai 2012 à mars 2014.
Une façon aussi de rappeler un bilan plus qu’honorable pour ce ministre annoncé comme partant pour le Conseil constitutionnel…
Un avertissement vis-à-vis du Medef
Mais la mission n’est pas terminé pour autant. Maintenant, il faut passer des intentions aux concrétisations et « comme on ne peut pas mettre en prison les gouvernements qui ne respecteraient pas leurs engagements, il faut une pression des pairs », a aussi estimé le patron du Maedi, notant au passage que «d’ici deux à trois ans, des satellites circuleront au-dessus de chaque pays informant de l’état de la pollution » et qu’outre la pression des pairs, il y aura de plus en plus celle des populations. « Quand j’étais en Chine, il y avait 600 Ppm (parties par millions ou indice de concentration de dioxyde de carbone) à Pékin, quand il y en avait 50 à Paris », a rapporté le ministre français, qui est persuadé que les Chinois réagiront au point « de devenir les premiers du monde dans beaucoup de domaines ».
Des propos qui peuvent être aussi interprétés comme un avertissement à l’égard du Medef. Quelques minutes auparavant, à Gérard Mestrallet, le président du Business Dialogue (instance créée en amont de la Cop 21 pour rassembler les chefs de gouvernements et d’entreprises), qui lui demandait ce qu’attendait d’eux l’État français, le patron du Maedi lui a répondu « de façon un peu abrupte », que « les secteurs, les grandes entreprises » devaient prendre de « véritables engagements » dans la durée « sur cinq, huit, voire dix ans ».
Cette évolution du secteur privé est d’autant plus indispensable que son « sentiment » est que le changement climatique « ira beaucoup plus vite qu’on le dit » et que l’action doit donc être « plus ambitieuse que dans les textes signés ». Des textes qui seraient, au demeurant, « adaptables », et si l’accord de Paris n’est applicable qu’à partir de 2020 », observait-il, voire « 2025 en tirant à la ligne », « il n’est pas possible de jouer la montre, il faut, d’après lui, anticiper ».
Tout en précisant qu’une clause de révision était prévue en 2018, Laurent Fabius a insisté sur la nécessité pour les gouvernements français et marocains « de travailler ensemble » et d’avancer également avec les entreprises.
Les priorités de Laurence Tubiana, désignée « champion » de la France
Le ministre des Affaires étrangères a fixé des priorités à Laurence Tubiana, qui, après avoir été ambassadrice pour les négociations climatiques à Paris, a été désignée par le ministre comme le « champion » de la France jusqu’au passage de relais au Maroc, à Marrakech.
D’abord, l’Afrique qui doit bénéficier d’un programme d’énergie électrique financé principalement pas la Banque africaine de développement (Bad).
Ensuite, ce sont les accords intergouvernementaux ou les partenariats public-privé (PPP) qu’il faut viser. Et de citer l’Alliance solaire internationale fondée autour du Premier ministre indien Narendra Modi, la mission Innovation lancée autour d’Américains comme Bill Gates visant à augmenter de façon substantielle les dépenses de recherche et développement pour créer des technologies nouvelles.
Troisième priorité, pousser à la réalisation d’un système d’alerte pour prévenir les populations lors de cyclones ou d’inondations, un programme de 100 millions de dollars décidé à Paris, dont 80 millions déjà mobilisés en faveur des petites îles.
Quatrième axe majeur, la tarification du carbone, un sujet sensible, mais que Laurent Fabius a réussi à faire mentionner dans l’accord de Paris. Selon le ministre, « les Chinois auront un prix du carbone unifié en 2017, mais les Canadiens ou les Européens ont eux aussi le leur et il faut donc faire converger tout ceci ». Contrairement au carbone, les transports aérien et maritime, qui n’ont pu figurer dans l’accord de Paris devront être traités par Laurence Tubiana. C’est donc une bonne nouvelle pour la présidence française que l’adoption, le 8 février, d’une recommandation pour une norme ambitieuse de certification CO2 des aéronefs par le Comité pour la protection de l’environnement en aviation de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Une norme qui devra, néanmoins, encore « être complétée par un mécanisme de compensation des émissions que l’OACI doit adopter en septembre 2016, lors de son assemblée triennale », précise-t-on au Maedi.
Le financement privé devra être conséquent
Enfin, dernière priorité, les financements, investissements et désinvestissements, Laurent Fabius notant au passage que le Fonds souverain norvégien avait décidé de désinvestir dans les énergies fossiles et que Standard & Poor’s avait décidé d’intégrer dans ses évaluations le risque carbone.
S’agissant du financement, le ministre s’est un moment arrêté sur les 100 milliards de dollars par an promis par les pays développés aux économies en développement à partir de 2020 pour souligner un fait, selon lui, mal compris : « ce ne sera pas seulement du financement public, mais aussi du para-public et du privé » et, s’agissant du Fonds vert basé à Incheon, près de Séoul, qui délivre des subventions, des dons, des prêts très concessionnels et des garanties aux pays en développement, « il ne peut non plus s’agir que de public ».
Pour Laurent Fabius, « les masses comparées avec le privé sont sans commune mesure » et « il faut modifier la logique », ce qui signifie que « les énergies fossiles doivent devenir les mauvaises affaires et les énergies renouvelables les bonnes affaires ». L’ancien Premier ministre en est persuadé : «il va y avoir des désinvestissements des énergies fossiles vers les énergies renouvelables ».
François Pargny