Dans la lutte contre la contrefaçon, montrer du doigt la Chine serait un peu facile, laissaient entendre les représentants de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (Euipo), qui présentaient, le 18 avril à Paris, le rapport intitulé « Trade in Counterfeit and Pirated Goods: Mapping the Economic Impact ». Dans ce document, ont été analysées les données provenant de près d’un demi-million de saisies douanières réalisées dans le monde entre 2011 et 2013 « afin d’établir l’estimation la plus rigoureuse à ce jour de l’ampleur du commerce de faux produits à l’échelle mondiale », précise l’OCDE.
Une valeur de 461 milliards de dollars dans le monde
« Tous les pays sont concernés par la contrefaçon, même si certains le sont plus que d’autres. Il ne faut, d’ailleurs, pas considérer les seuls pays producteurs, mais aussi les économies de transit. Et si finalement la Chine produit le plus de contrefaçons, c’est assez normal, puisqu’on y produit de tout », a ainsi relevé Rolf Alter, directeur de la Gouvernance publique et du développement à l’OCDE (notre photo). En pourcentage des saisies réalisées en 2013, le géant asiatique est arrivé largement en tête, avec une part de 63,2 %, devant la Turquie, avec 3,3 %. Ce sont « généralement des nations à revenu moyen », a encore noté Rolf Alter, comme Singapour, la Thaïlande, l’Inde ou encore le Maroc.
Au total, les biens contrefaits ont représenté une somme globale de 461 milliards de dollars en 2013, soit 5 % des importations mondiales. « Dans l’UE, cette part s’élève à 5 %, soit 85 milliards d’euros », a précisé António Campinos, directeur exécutif de l’Euipo. « Que le pourcentage soit plus élevé en Europe que dans le monde est normal, car ce continent est plus riche et prospère que l’ensemble de la planète où il y a aussi des États pauvres », a commenté Nathan Wajsman, économiste en chef de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi).
Dans l’Union européenne, certaines marchandises sont moins touchées que dans le monde en moyenne, tels que certains articles textiles, les outils à base métallique, mais d’autres, au contraire, le sont plus, à l’instar de ceux des filières tabac et optique, les instruments médicaux et chirurgicaux et les bijoux. Au total, le Top 5 des contrefaçons importées dans l’UE est ainsi composé, dans l’ordre, des montres, des articles en cuir, des chaussures, du tabac et des parfums et cosmétiques. A l’échelle planétaire, ce classement diffère un peu, puisque ce sont les chaussures qui font la course en tête, devant le textile, le cuir, les équipements électriques, etc.
Un problème de santé publique et de sécurité
Au regard des infractions à la propriété constatées en 2013, la première victime est les États-Unis, dont les marques et les brevets représentaient 20 % des copies, devançant ainsi l’Italie, avec 15 %, la France et la Suisse, avec chacune 12 %. Le poids des articles de luxe expliquent en partie, mais en partie seulement ce palmarès, car, selon Rolf Alter, sur les 96 biens étudiés dans le rapport, les deux tiers sont affectés par la contrefaçon. Et ce ne sont pas seulement les fabricants dans le luxe, des grandes entreprises, mais aussi beaucoup de petites ». Or, « les PME n’ont pas forcément les ressources pour lutter contre la contrefaçon et le piratage », relevait à son tour l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’OCDE, Daniel Yohannes.
« Avec la contrefaçon, il y a un problème de santé publique et de sécurité et certains de ces biens illicites sont vendus à des consommateurs qui ne sont pas conscients que ce sont des produits dangereux et contrefaits », a souligné Piotr Stryszowski, économiste principal à l’OCDE, en évoquant les pièces automobiles défectueuses ou les médicaments aux effets néfastes. « Les contrefacteurs profitent de la confiance que nous portons aux marques pour fragiliser les économies et mettre en danger la vie des individus », a encore déclaré le secrétaire général adjoint de l’OCDE, Doug Frantz, pour qui « la contrefaçon, c’est pire que le narcotrafic ».
L’emploi est menacé
Pour combattre la contrefaçon, Daniel Johannes a proposé de multiplier les contrôles dans les pays d’origine des produits, d’améliorer la coopération internationale entre tous les acteurs, publics, privés, les organisateurs de consommateurs, et d’éduquer les consommateurs. « Les jeunes générations sont totalement de ces problèmes, surtout quand il s’agit du piratage », a renchéri António Campinos. Le rapport doit avoir une vertu pédagogique et « les parents, a pointé le directeur exécutif de l’Euipo, doivent expliquer à leurs enfants que lorsqu’on s’adonne au téléchargement illégal, c’est au détriment non seulement de l’État, des entreprises et des contribuables, mais aussi de l’emploi ».
L’OCDE fait encore remarquer que « les envois postaux sont le principal mode d’expédition des copies ; ils représentaient 62 % des saisies entre 2011 et 2013, une proportion qui témoigne de l’importance croissante du commerce en ligne dans les échanges internationaux ». D’après l’organisation internationale, « les produits contrefaits empruntent des itinéraires complexes, qui les font passer par les plus grandes plateformes d’échanges mondiales, telles que Hong Kong et Singapour, et par des zones de libre-échange comme celles des Émirats arabes unis ». Enfin, précise-t-elle « ils transitent également par des pays dotés d’une faible gouvernance ou en proie à une forte criminalité organisée, comme l’Afghanistan et la Syrie ».
François Pargny