Le secteur automobile va mal, et le phénomène est mondial. Les immatriculations mondiales de véhicules neufs devraient reculer de 4,5 % cette année à 90,8 millions d’unités vendues, soit 4,3 millions de moins qu’en 2018, d’après la dernière étude sur les perspectives du secteur de la société d’assurance-crédit Euler Hermes. Pour 2020, le marché automobile mondial devrait être stable avec 91,2 millions de nouveaux véhicules immatriculés, prévoit le spécialiste du recouvrement de créances commerciales.
« Nos prévisions à long terme ont été revues à la baisse », a annoncé Maxime Lemerle, responsable des analyses sectorielles et expert automobile chez Euler Hermes, qui dévoilait le 12 septembre, lors d’une web-conférence, ses projections pour l’industrie automobile à l’échelle mondiale. Ainsi, le cap des 100 millions de nouveaux véhicules commercialisés « en un an », ne sera pas atteint avant 2026 selon la société d’assurance-crédit.
L’évolution des normes de pollution est un des facteurs frappant mis en exergue par cette analyse. Euler Hermes s’intéresse aux trois principaux marchés automobiles du monde : la Chine, les États-Unis et l’Union européenne (UE).
La Chine, les États-Unis et l’UE calent
– En Chine, premier marché mondial, les ventes de véhicules neufs devraient reculer de 9 % cette année à 22,2 millions d’unités vendues avant de repartir modérément (+2 %) en 2020, estime la filiale du groupe Allianz qui relève que les consommateurs chinois retardent leur achat. L’accélération, l’été dernier, de la mise en œuvre de normes anti-pollution plus drastiques par Pékin a en effet incité les ménages à décaler leurs achats dans le temps.
– Aux États-Unis, après une croissance de 0,9 % en 2018, les immatriculations de nouveaux véhicules devraient baisser de 2,5 % cette année et 1,5 % en 2020, d’après les prévisions d’Euler Hermes.
– Dans l’UE, les ventes de véhicules neufs devraient afficher un repli de 3 % cette année et 1 % en 2020. Le marché européen peine à se remettre des perturbations liées à l’entrée en vigueur des normes européennes d’émissions, dites normes « Euro », juge le spécialiste des solutions d’assurance-crédit. Les normes antipollution Euro 6 imposent aux véhicules des seuils de rejet de pollution à ne pas dépasser. La norme antipollution Euro 6.2 est entrée en vigueur en septembre 2018 pour tous les types de véhicules. Elle implique des coûts supplémentaires de production.
« La demande demeure trop sensible aux prix de vente », a exposé Maxime Lemerle. De plus, les industriels risquent des pénalités financières (amendes) en cas de non-respect des objectifs d’émission de CO2 fixés par Bruxelles d’ici à 2020. « Cette contrainte réglementaire constitue une vraie menace pour les constructeurs », a ajouté l’économiste.
L’électrique se développe mais le marché est limité
« La bonne nouvelle, c’est que le marché mondial du véhicule électrique est en forte croissance », a déclaré Maxime Lemerle. La croissance des ventes mondiales de véhicules électriques devraient ainsi avoisiner les 30 % cette année à environ 2,6 millions de véhicules électriques commercialisés.
« Sur le marché chinois nous attendons 1,5 million de véhicules vendus », a révélé l’analyste. La Chine est de loin le premier marché mondial en termes de ventes de véhicules électriques, devant les États-Unis (410 000 véhicules en circulation) et l’Europe, tirée par l’Allemagne (96 000), la France (64 000) et le Royaume-Uni (44 000).
Malgré la croissance à deux chiffres du marché, des faiblesses demeurent. À commencer par le prix d’acquisition. Celui-ci est trop élevé en comparaison avec les tarifs des véhicules traditionnels (+14 % en moyenne).
Viennent ensuite les doutes des consommateurs qui subsistent concernant l’autonomie des véhicules électriques mais également la densité des bornes de recharge et leur efficacité. « Ces doutes pèsent sur l’acte d’achat des consommateurs », a assuré Maxime Lemerle.
Autre aspect négatif, « la faible disponibilité de l’offre de véhicules électriques pour les consommateurs », a complété l’économiste. Le marché de l’électrique est en effet très concentré, peu de constructeurs automobiles ayant investi ce segment.
Une certitude néanmoins, le haro sur le diesel (« dieselgate », règlementation, réchauffement climatique…) reste d’actualité. « À ce jour, le principal bénéficiaire de ce recul du diesel, c’est le véhicule à essence car le consommateur est réticent à passer à l’acte en achetant un véhicule électrique », selon l’économiste.
Brexit et Trump, deux incertitudes qui pèsent sur le marché
La filière automobile en Europe reste par ailleurs fortement exposée à deux chocs commerciaux : la sortie britannique de l’UE et « la rhétorique protectionniste de l’administration Trump ».
« La première incertitude concerne toujours et encore le Brexit », a affirmé Maxime Lemerle. Déjà, depuis le référendum de 2016, certains constructeurs étrangers ont quitté le Royaume-Uni et relocalisé leur production dans d’autres pays européens.
Pour Maxime Lemerle, l’impact du Brexit sera important pour le consommateur britannique. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes », a-t-il lâché. En valeur, 80 % des véhicules commercialisés au Royaume-Uni sont importés, dont deux tiers depuis l’UE. Un Brexit sans accord, le « no deal », réintroduirait des taxes à la frontière britannique pour les véhicules et pièces détachées en provenance de l’UE des Vingt-sept, et in fine un prix d’achat plus élevé pour le consommateur.
« La deuxième incertitude qui demeure concerne ‘l’incertitude Trump’ sur les droits de douane », a poursuivi l’économiste. Cela fait maintenant plus d’un an que les autorités américaines menacent d’augmenter leurs taxes à l’importation sur les voitures européennes à 25 %. La menace est toujours sur la table, et elle a de quoi inquiéter les constructeurs européens.
Près de 10 % du total des exportations de voitures européennes a pour débouché le marché américain. « Les États-Unis ont importé pour 300 milliards de dollars de véhicules en 2018, c’est 20 % du total des importations mondiales de véhicules », a également précisé le responsable des études sectorielles d’Euler Hermes.
Si une taxe de 25 % était appliquée à l’importation, Euler Hermes estime que le coût moyen d’un véhicule européen importé aux États-Unis augmenterait d’environ 6 500 euros. Cela se traduirait également par 270 000 voitures européennes de moins exportées vers les États-Unis cette année, soit un manque à gagner de 14 milliards d’euros pour l’industrie automobile européenne, dont 7 milliards d’euros pour l’Allemagne. Les exportateurs français « seraient pour l’essentiel épargnés », estime Euler Hermes, car ils sont finalement peu présents outre-Atlantique.
Pour Maxime Lemerle, les défis qui se dressent sur la route des acteurs de l’automobile sont nombreux. L’industrie automobile mondiale vit actuellement une période charnière de son histoire. Elle est contrainte de se transformer pour répondre aux enjeux écologiques, et mise sous pression par les turbulences commerciales.
Venice Affre