Avec ses savoir-faire, sa créativité et ses produits reconnus mondialement, l’agroalimentaire demeure une valeur sûre pour la France. Avec un excédent commercial de 7,8 milliards d’euros l’an dernier, cette filière a encore occupé le deuxième rang dans les échanges de l’Hexagone dans le monde, derrière l’aéronautique.
Pour autant, selon le président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), Jean-Philippe Girardin (notre photo), « la France se fait grignoter année après année ». Depuis trois ans, sa « capacité à exporter est plus ou moins stable, alors que le potentiel est beaucoup plus important », regrettait-il ainsi lors de la conférence de presse, organisée le 2 avril, sur les performances 2014 et perspectives économiques de l’agroalimentaire.
L’an dernier, les exportations du secteur ont perdu 0,7 % à 43,3 milliards d’euros, pendant que les importations ont gagné 0,5 % à 35,5 milliards. D’après l’Ania, « ce recul en valeur s’explique par l’effet prix lié à la déflation des produits alimentaires, par un repli des exportations des boissons vers l’Asie de 300 millions d’euros et par les effets directs et indirects de l’embargo russe ».
Au-delà des chiffres, ce qui frappe c’est la concentration des exportations françaises, d’abord géographique – plus de 68 % étant réalisées en Europe – et sectorielles – les boissons à elles seules dégageant 11 millions d’euros d’excédent commercial. Derrière l’Europe, l’Asie comptait pour à peine 13 %. Or, « les marges de manœuvre vers des pays comme la Chine sont importantes », soulignait Jean-Philippe Girard.
Des PME qui doivent se regrouper et être mieux accompagnées à l’export
Reste à persuader les entreprises, à 98 % des TPE-PME, qui, faute de moyens et parfois de culture de l’export, se concentrent sur les pays voisins, voire le marché domestique, en profitant d’une dynamique d’achat qui reste positive. De fait, la consommation domestique s’est un peu redressée en 2014 à + 0,2 % en volume, ce qui est mieux que dans les autres pays européens, comme l’Italie (- 0,3 %), l’Espagne (- 0,4 %), l’Allemagne (- 0,7 %), la Grèce (- 1,3 %), les Pays-Bas (- 2,4 %) et le Royaume-Uni (- 2,8 %), d’après l’Institut de recherche et d’innovation (Iri).
« C’est une consommation innovante qui est valorisée, au profit des marques nationales et au détriment des marques de distributeur. Et cette tendance va perdurer en France », a précisé Olivier Humeau, directeur général de l’Iri.
L’Ania estime que les regroupements de sociétés sont indispensables pour opérer à l’étranger. L’organisation professionnelle demande aussi au gouvernement « de faciliter davantage l’accompagnement des entreprises à exporter, notamment au-delà des frontières de l’Union européenne». Aujourd’hui, deux entreprises françaises sur dix livrent à l’étranger, contre 8 à 10 en Allemagne et les deux tiers de l’export dans les industries agroalimentaires sont générés par des entreprises d’au moins 250 salariés. Or, d’après Agreste, l’organisme de statistique, d’évaluation et de prospective du ministère de l’Agriculture, sur un total de 15 789 sociétés agroalimentaires en 2012 (derniers chiffres disponibles), seuls 16,6 % affichaient plus de 20 salariés.
Interrogé par Le Moci, qui lui faisait remarquer que le précédent gouvernement avait créé le Club agroalimentaire Asie et la famille de produits prioritaire « mieux se nourrir », Jean-Philippe Girardin s’est défendu de manquer d’initiative auprès des membres de l’Ania, répondant que l’association sur le terrain « est de plus en plus active dans les régions » devenues les pilotes en matière de commerce extérieur. Mais il reconnaissait aussi que c’était aux entreprises de faire la démarche de l’export. Pour ce faire, « il faut déjà se sentir fort chez soi », faisait-il valoir.
Or, la guerre des prix, qu’il qualifie de « mortifère », entre les producteurs et les distributeurs dure, « cet argent ne pouvant être injecté dans l’innovation, l’export et la modernisation ». Globalement, l’investissement est faible. Cette année, l’Ania anticipe un taux de croissance de 1 %, soit le maximum attendu en 2014 (le chiffre exact n’est pas encore connu).
Baisse des défaillances d’entreprises, l’euro, un plus
Concentration de l’export aussi dans les secteurs : les boissons, produits laitiers et glaces, produits du travail des grains sont les seuls grands postes du commerce extérieur à dégager un excédent en 2014. A l’opposé, toute une série de domaines ont accumulé des déficits, à l’instar de la boulangerie-pâtisserie, la viande et surtout les huiles et graisses végétales, les produits à base de fruits et légumes, les préparations et conserves à base de poisson. « Ces cinq domaines doivent être notre défi pour les cinq à dix ans à venir. Il faut les faire monter en gamme, passer à un stade d’élaboration pour générer de la valeur ajoutée et partir à l’export », commentait ainsi Jean-Philippe Girardin.
Parmi les bonnes nouvelles de 2014, figurent la très légère croissance de l’emploi (+ 0,2 % à 493 272 emplois) et, d’après le cabinet Ellisphère, la diminution des défaillances d’entreprises, passé de 376 en 2013 à 273 (notamment dans la viande). A côté de l’investissement, l’innovation et l’export, l’enjeu de l’emploi est considérable, a soutenu le président de l’Ania. Si l’on met bout à bout les effectifs de la filière, ceux des fournisseurs, des clients et les emplois induits par les activités des Administrations publiques (traitement des taxes…) et les besoins des ménages (en matière de santé, d’éducation…), « nous sommes parvenus à plus de 2,5 millions d’emplois totaux », indiquait Arnaud Florentin, directeur Études & Metrics du cabinet Utopies.
Tout en se félicitant de la baisse du nombre de défaillances, Jean-Philippe Girardin s’est inquiété que « des entreprises de plus en plus importantes » soient défaillantes, alors même que « ce sont à priori celles qui sont les mieux organisées ». Interrogé sur l’évolution des cours des matières premières et de l’euro, le patron de l’Ania a assuré qu’il n’y avait pas de fléchissement significatif des prix des matières premières comme des coûts de production, qui restent élevés. S’agissant de la monnaie européenne, « c’est globalement un plus pour l’avenir », a-t-il reconnu, tout en minimisant son impact actuel.
Prenant l’exemple d’Eurogerm, la PME d’ingrédients, de correcteurs et d’améliorants pour la filière blé-farine-pain qu’il a créé, Jean-Philippe Girardin a expliqué qu’un grand client au Mexique « voulant être payé dans sa monnaie, il avait gagné 10 % avec l’euro sur le change ». Sa société de moins de 80 millions de chiffre d’affaires annuel possède aussi huit implantations dans le monde. « Ce sont à chaque fois plusieurs emplois créés pour la France », a-t-il soutenu. L’Ania a entamé une étude sur le poids des implantions d’entreprises françaises à l’étranger en terme économique et social. Un rapport qui est attendu avec impatience.
François Pargny