Qu’il n’y ait pas de rupture dans le versement des aides aux agriculteurs européens, telle a toujours été l’ambition affichée de la Commission européenne. S’agissant de la nouvelle politique agricole commune (Pac) pour la période 2021-2027, le commissaire européen à l’Agriculture et au développement rural, Phil Hogan, va devoir rassurer sur cette ambition. Invité le 23 février à l’ouverture du Salon international de l’agriculture (SIA) à Paris, il assistera au discours du président Macron.
Phil Hogan se sait attendu. Car, dans les faits, bien que la Commission européenne pousse à une adoption rapide de la Pac, il va falloir attendre. Le 19 février, la commission de l’Agriculture du Parlement européen a décidé de ne pas voter ses trois rapports sur la réforme de la Pac avant le mois d’avril.
Les députés voteront après le scrutin législatif
Résultat : les textes ne pourront pas être adoptés en assemblée plénière du Parlement avant les élections européennes du mois de mai. Du coup, il faudra attendre la fin des élections européennes, avec un risque d’une nouvelle majorité demandant à revoir les textes. Une perspective à laquelle, visiblement, on ne croit pas à Bruxelles. Les sondages laisseraient penser que la majorité ne changerait pas ostensiblement, ce qui semble moins évident quand on interroge des observateurs à Paris.
De plus, même si le Parlement donnait son feu vert, il faudrait encore que les États membres accordent leurs violons, après le Conseil européen sous présidence roumaine devant se tenir dans la belle ville de Sibiu en juin. Or, rappelons-le, la décision qui doit intervenir au mieux courant octobre doit l’être à l’unanimité.
La France a réuni une coalition de 20 membres
Comme toujours les 27 – le Royaume-Uni étant hors jeu pour cause de Brexit – ne creusent pas le même sillon. La France, première bénéficiaire de la Pac avec 54 milliards de paiements directs aux exploitations et 1,1 milliard en soutien au développement rural entre 2014 et 2020, défend un budget agricole inchangé. Sa position pour la Pac 2020, publiée en décembre, est très claire : « la baisse du budget de la Pac proposée par la Commission, dans un budget européen pourtant en forte expansion, ne peut être acceptée » (voir fichier joint en pdf)*.
De façon concrète, l’exécutif bruxellois a proposé un montant de 365 milliards d’euros, en recul de 5 % en euro courant sur la période actuelle. La Pac représenterait alors 28,5 % d’un budget total de l’Union européenne (UE) de 1 279 milliard d’euros pour 2021-2027.
L’agriculture, mais aussi les fonds structurels seraient mis à contribution pour financer, d’une part, la sortie de l’UE du Royaume-Uni, deuxième ou troisième contributeur jusqu’ici selon les années, et, d’autre part, les nouvelles priorités auxquelles tous les États membres adhérent : immigration, défense, nouvelles technologies et digital.
A l’heure actuelle, les positions sont figées. La France, qui a réalisé 63 % de ses exportations agroalimentaires dans l’UE en 2017, a réussi à réunir autour d’elle vingt autres États membres. Une déclaration franco-allemande a également suivi la position commune des 21 États membres.
A l’inverse, d’autres nations sont clairement favorables à une réduction du budget. C’est le cas des Pays-Bas. Les pays scandinaves et de l’Est seraient plutôt neutres. Les premiers ne s’opposeraient pas à une hausse, si elle était raisonnable, les seconds aussi, à condition que les fonds structurels ne soient pas ponctionnés.
Des progrès à faire en matière d’environnement
Le débat au sein de l’UE tourne ainsi autour des montants en jeu et peu sur l’architecture globale. Sur les 365 milliards proposés par la Commission européenne, 286,2 milliards seraient attribués au Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), dont 265 milliards aux paiements directs, et 78,8 milliards au développement rural (pour la France, les montants seraient respectivement 50 milliards et 11 milliards d’euros).
Le stand de la Commission européenne au prochain SIA sera mis sous le signe de l’alimentation durable. L’environnement – défense de la biodiversité, lutte contre le changement climatique – est clairement le sujet où on reconnaît à Bruxelles que l’on doit faire mieux dans la Pac.
En revanche, de façon globale, on estime que la politique agricole commune a fait ses preuves. Depuis 2013, l’UE est exportateur net et la tendance à la hausse ne faiblit pas, y souligne-t-on. Elle est devenue la première puissance commerciale agroalimentaire dans le monde (137,6 milliards d’euros d’exportations en 2017).
On reconnaît, néanmoins, que sur le volet des revenus aux agriculteurs, le résultat est plus mitigé, tout en affirmant que la Pac est, à cet égard, meilleure par rapport à des dispositifs libéraux ou subventionnés comme aux États-Unis. La volatilité des revenus serait moindre, grâce au paiement découplé qui joue un rôle de tampon. Les aides découplées sont versées en fonction des quantités produites.
France : 54 % des aides à 20 % de bénéficiaires
Ce système a quand même un inconvénient. En moyenne dans l’UE, 20 % des bénéficiaires accumulent 80 % des aides, ce qui s’explique par le fait qu’ils sont propriétaires de nombreuses terres. La France se distingue dans la mesure où 20 % de ses bénéficiaires ne reçoivent que 54 % des aides, un taux très inférieur donc à certains pays où cette dernière proportion peut dépasser la barre des 95 %.
Dans la nouvelle Pac, à côté de la simplification administrative, la Commission européenne prône que les États membres ciblent mieux les aides, de façon à ce que les petites et moyennes exploitations soient mieux servies. Des intentions qu’il reste encore à concrétiser.
François Pargny