Depuis les découvertes de l’anglo-irlandais Tullow Oil dans la région de Turkana (nord-ouest) fin 2012, le Kenya, première puissance économique en Afrique de l’Est, est assuré de bénéficier de la manne pétrolière et/ou gazière dont profitent déjà ses voisins du nord et de l’ouest, comme le Sud-Soudan et l’Ouganda. De quoi booster à terme une croissance, au demeurant en progression continue depuis 1990, qui devrait cette année atteindre encore 5,9 %, selon le Fonds monétaire international (FMI)
La découverte d’hydrocarbures est une chance pour le président Uhuru Kenyatta, grand vainqueur des élections générales du 9 mars 2013. D’autant que le scrutin s’est tenu « dans de bonnes conditions », se réjouissait ainsi Nicole Bricq, la ministre française du Commerce extérieur, le 4 novembre, lors d’un atelier d’information organisé par Ubifrance.
« Le Kenya est engagé dans un processus vertueux éducation-démocratie », confiait, à l’issue de cette manifestation, Pacal Jolly, directeur de la zone Afrique de la société d’ingénierie Egis. Dans ce pays de plus de 43 millions d’habitants, le taux d’alphabétisation atteint 88 %, ce qui permet à un tissu d’entreprises relativement diversifié de trouver une main d’œuvre bien formée.
Une bonne nouvelle dans la perspective des grands travaux qui s’annoncent pour acheminer le pétrole. Principal projet évoqué, le Lamu Port Southern Sudan-Ethiopia Transport (Lapsset) « d’un montant de 20 à 30 milliards de dollars », selon Jean-César Lammert, le directeur d’Ubifrance à Nairobi. Avec un objectif majeur : évacuer le pétrole du Sud Soudan, de l’Ouganda et du Kenya par le port de Lamu, au nord-est du Kenya.
Total lance un appel aux PME sous-traitantes
« Lamu est trop proche de la frontière somalienne », estime Serge Matesco (notre photo), vice-président Afrique orientale de Total Exploration et production (E&P), évoquant ainsi les risques d’attaques par le groupe islamiste des shebab basé en Somalie. La compagnie française serait favorable à un terminal plus au sud entre cette ville et la cité kenyane de Mombasa. Une autre option pour le pétrole kenyan serait de transiter du nord-ouest vers Mombasa via Nairobi.
Pour gagner et exécuter les contrats, Total est conscient qu’il doit ajouter à une main d’œuvre qualifiée un contenu local susceptible de séduire les autorités du pays. D’où la volonté de la compagnie française d’intéresser des PME pouvant agir comme sous-traitants dans le pays. Les investissements dans les ports, les aéroports, les routes et le chemin seront considérables.
« Apprécié des bailleurs de fonds, le Kenya reçoit environ deux milliards de dollars par an d’aide publique au développement, dont deux tiers des multilatéraux et un tiers des bilatéraux », relève Eric Duédal, chef du Service économique régional (SER) pour l’Afrique de l’Est et l’océan Indien. Premier bailleur multilatéral, la Banque mondiale à février 2012 avait engagé 2,8 milliards de dollars et, depuis, son portefeuille d’engagements s’est étoffé avec l’interconnexion électrique Kenya-Éthiopie (684 millions de dollars), le réseau routier (300 millions), la modernisation du système national d’adduction d’eau (280 millions) et le développement du Grand Nairobi (30 millions).
Le défi énergétique : ajouter 5 gigawatts
L’énergie constitue un réel défi. Dans un pays handicapé par des coupures électriques assez nombreuses, l’ambition est d’ajouter 5 gigawatts (GW) pour l’industrie et l’agriculture, alors que la production, à l’heure actuelle, atteint péniblement 1,7 GW, dont 50 % d’origine hydraulique et 17 % géothermique. Le gouvernement a fixé comme date butoir fin 2016 et, l’accès des populations rurales à l’électricité étant faible, il a aussi établi comme autre priorité l’électrification rurale.
Du coup, les possibilités d’affaires sont légion, avec l’essor des centrales à charbon ou à gaz naturel liquéfié (GNL), la géothermie, les petites unités hydrauliques, les projets hybrides solaires-éoliens et les équipements d’infrastructures : transformateurs, lignes, pylônes, etc.
D’autres secteurs sont porteurs, comme le BTP, les mines et carrières, la santé, avec de besoins très importants dans le matériel médical, et les équipements et techniques agricoles qui font l’objet d’un suivi en France de la part de l’Adepta. Mais Jean-César Lammert veut surtout insister sur les télécommunications et la grande distribution.
Dans un pays très avancé en matière de paiement mobile, le premier opérateur, Safaricom, avec une part de marché de 65 % et 20 millions de clients, est, néanmoins, confronté à la concurrence d’opérateurs privés qui, pour s’imposer, sont à la recherche de contenus numériques, de logiciels et d’équipements de gestion de la relation client et d’applications e-farm, e-health, e-learning. S’ajoutent les investissements publics prévus dans la couverture territoriale, la préparation du standard de téléphonie mobile de quatrième génération (4G), la pose de câbles sous-marins, de fibres optiques et l’essor de la télévision numérique terrestre (TNT).
Une classe moyenne exigeante
Enfin, l’expansion de la distribution moderne, qui représenterait déjà 30 % de l’ensemble du secteur, est directement liée à l’émergence d’une classe moyenne, « représentant 5 à 8 millions de consommateurs », selon Jean-César Lammert. Récemment, Pernod Ricard et L’Oréal se sont établis sur place. « Avec l’acquisition de l’usine du groupe Interconsumer Products Limited (ICP) à Nairobi, nous nous sommes dotés d’une offre de produits de qualité, mais avec des marques moins chères et donc plus adaptées au consommateur local », se félicite Joseph Worral, Integration Project Director chez L’Oréal.
En matière de distribution, « les consommateurs sont devenus exigeants », remarque Jean-César Lammert. Cartes de fidélité, service 7 jours sur 7, etc. : la demande des consommateurs explique ainsi l’éclosion des shoppings malls au Kenya. En premier lieu, dans l’agglomération de Nairobi.
François Pargny
Pour en savoir plus :
Lire sur www.lemoci.com « Kenya : la France veut doubler ses exportations d’ici 2017 »