C’est une industrie aéronautique et spatiale en pleine forme que le Premier ministre indien Narendra Modi, en déplacement officiel en France les 10 et 11 avril, va découvrir le 11 avril, lorsqu’il ira à Toulouse visiter les sites d’Airbus et du CNES (Centre national d’études spatiales). Marwan Lahoud (notre photo), le président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), a qualifié de « solide » l’exercice 2014, qui s’est soldé par une croissance de 2,9 % à 50,7 milliards d’euros du chiffre d’affaires de la profession, lors de la présentation des résultats de l’année passée, le 9 avril à Paris.
« Une fois de plus, nous avons prouvé que nous sommes un pôle d’excellence, tant sur le plan économique que technologique », a-t-il encore souligné, précisant, à cette occasion, que le carnet de commandes, avec 73 milliards d’euros, a égalé le record de 2013. « Il va encore continuer à croître », a encore estimé le directeur général délégué à la Stratégie et à l’international d’Airbus Group, également président d’Airbus Group SAS, ce qui justifierait, selon lui, la décision de la filière d’accroître les cadences de production.
Airbus, en l’occurrence, a annoncé que la cadence de l’A320ceo (ceo pour current engine option) sera portée à 50 avions par mois début 2017. De nouveaux programmes sont lancés, à l’instar du gros porteur A350, et d’autres sont en « transition rapide », comme l’avion de ligne moyen courrier A320 et le moteur CFM56, remplacés respectivement par l’A320neo (neo pour new engine option) et le Leap.
Ce sont aujourd’hui le marché civil et l’export qui tirent la croissance économique de la première industrie française en termes de solde commercial (+ 23,6 milliards d’euros). Les exportations ont été réalisées à 82 % et les commandes passées à 78 % à l’étranger. L’an dernier, les livraisons hors de l’Hexagone ont ainsi décollé de 6 % à périmètre constant, permettant de compenser un marché domestique en recul de 2,8 %. De façon générale, tous les acteurs, constructeurs, équipementiers et PME sous-traitantes, ont bénéficié de la demande continue sur le segment des appareils civils, qui a représenté en 2014 77 % du chiffre d’affaires global et 84 % du total des commandes.
Les PME doivent renforcer leur envol à l’international
« Il y a une grande diversité de la supply chain, ce qui permet de concevoir, d’assembler, de maintenir des aéronefs complets », s’est félicité Emmanuel Viellard, qui préside au Gifas le Groupe des équipements aéronautiques et de défense (Gead). Pour autant, d’après une étude de la Banque de France, si le taux d’exportation des équipementiers atteignait 42,7 % en 2013, il tombait à moins de 27 % s’agissant des PME, « un niveau qui s’améliore, mais qui n’est pas encore suffisant », reconnaissait-on au Gifas.
« La baisse de la part du militaire va se poursuivre », pense Marwan Lahoud. Alors que la diminution du budget des Armées en France s’est déjà traduite par un recul de 5,1 % en 2014 des ventes sur le marché de la défense, le déséquilibre des comptes dans la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 inquiète le Gifas, qui parle d’un « trou de trois milliards d’euros pour la seule année 2015 ». « Quand vous êtes Airbus, Safran, Thales, Dassault Aviation, vous savez passer du militaire au civil, mais comment est-ce possible pour une PME à dominante militaire ? », s’est interrogé Marwan Lahoud, avant de pointer un autre risque : que « les gros », sur un marché de plus en plus civil, sacrifient, de leur côté, leur ancrage en France pour « des territoires plus attractifs ».
La bonne affaire du décollage du Rafale à l’étranger
Le militaire peut offrir de belles perspectives à toute la filière, comme le montre la signature officielle du contrat d’achat de 24 Rafale par l’Égypte, le 16 février dernier. Cette première affaire de l’avion de combat emblématique de Dassault Aviation vient ainsi s’ajouter à un carnet de commandes global bien fourni, correspondant à plus de six années de production.
Pour les PME, le plus difficile est de suivre la cadence dans une industrie qui engage en moyenne 14 % de son chiffre d’affaires global en recherche et développement et en investissement de production. Certaines PME doivent injecter un an de chiffre d’affaires pour suivre les cadences. Le président du Gifas a assuré que « la décision d’augmenter la cadence a été prise avec circonspection », tout en reconnaissant qu’il y aura « des moments difficiles pour les PME, notamment en termes d’investissement ». Mais pour lui, « les difficultés financières » seraient du passé et les financements « disponibles ».
La filière a aussi engagé le programme Performances industrielles aéronautiques (PIA), qui doit permettre d’identifier les goulots d’étranglement dans 14 régions de l’Hexagone et d’aider les PME-TPE à passer le cap dans le cadre d’un partenariat financier État-industrie. Il s’agit de « partager notre savoir faire » et « former aux même outils de gestion de la production, aux mêmes procédures les grands maîtres d’œuvre, les équipementiers et les PME », a exposé Marwan Lahoud. Quelque 400 très petites et moyennes entreprises sont ainsi inscrites à ce jour pour un total de 4 100 jours de formation, représentant un coût d’environ 23 millions d’euros sur trois ans (2014-2016).
La formation est un défi majeur pour la profession. Le marché de l’emploi devrait être stable cette année et de nombreux postes qualifiés ne sont toujours pas pourvus (ajusteurs, monteurs, soudeurs, chaudronniers…). Marwan Lahoud racontait ainsi le cas d’un équipementier qui, faute de personnel local pour piloter des machines à commandes numériques, avait dû faire appel à des opérateurs polonais et tunisiens. D’où l’importance des rapprochements avec des écoles d’ingénieurs, lycées ou centres techniques.
La baisse de la parité de l’euro donnera un avantage sur la durée
A un peu plus de deux mois du Salon international du Bourget (15-21 juin), numéro un mondial des salons du secteur avec 2 200 exposants de 42 pays attendus (26 pavillons nationaux), Marwan Lahoud a estimé que « sur la durée, la baisse de la parité de l’euro donnera forcément un avantage, mais que pour 2015, c’est difficile à prévoir ». D’une part, parce que certaines sociétés possédant des couvertures de change, « l’impact compétitivité prix est forcément atténué ». D’autre part, « l’effet immédiat peut être atténué par le cycle commercial ». « Une décision, a précisé le patron du Gifas, c’est quatre à cinq ans. Et donc, le client se pose la question de savoir quel sera l’avantage concurrentiel dans quatre à cinq ans ».
S’agissant du marché spécifique des hélicoptères, en difficulté depuis trois ans, Marwan Lahoud a noté un redressement fin 2014-début 2015 du marché militaire, comme le montre le contrat de 1,5 milliard de dollars sur 20 ans signé, le 16 mars, par Airbus Helicopters avec Korea Aerospace Industries (KAI), portant sur le développement et la fabrication de 214 hélicoptères militaires d’attaque (LAH) et d’une centaine d’appareils légers civils (LCH).
Le Gifas affiche aussi un optimisme mesuré concernant le lanceur Ariane 6 et les satellites à propulsion électrique. Reste que plus de 800 millions de dollars manqueraient pour boucler le financement d’Ariane 6, affirmait récemment le P-dg d’Airbus Safran Launchers, Alain Chameau. « On a dit qu’on mettra un peu de notre poche, mais alors la responsabilité de la conception, la commercialisation, la production et des opérations doit être entre les mains de l’entreprise privée », a prévenu Marwan Lahoud. Et le dirigeant du groupe Airbus d’enfoncer le clou. « Si on reste dans une approche d’armement, d’agence publique », dit-il, sans citer l’Agence spatiale européenne (ESA), « on fera une fusée, mais elle ne sera pas compétitive, ce que nous disons depuis juin 2014 ». A ce sujet, les industriels espèrent un accord avec les États membres de l’ESA d’ici mi-2016.
François Pargny