L’annonce par la Commission européenne, le 5 mars, d’une suspension négociée pour quatre mois des taxes américaines et européennes s’appliquant les importations réciproques de certains produits dans le cadre du contentieux Airbus / Boeing redonne espoir aux exportateurs français de vins et spiritueux. Les surtaxes américaines plombaient lourdement leurs exportations vers ce marché clé, comme le constatait une étude des Douanes parue le même jour.
César Giron, le président de la FEVS (la Fédération des Exportateurs des Vins et Spiritueux de France), s’est félicité dans un communiqué de cette décision « qui va apporter un soulagement particulièrement bienvenu aux exportateurs qui, depuis 18 mois, subissent ces taxes injustes issues d’un conflit qui leur est étranger ».
Cette surtaxe a en effet été mise en place le 18 octobre 2019 lorsque les États-Unis, qui reprochaient depuis 2004 à certains pays européens de fausser la concurrence de Boeing en accordant des subventions publiques illégales à Airbus, ont été autorisés par l’OMC à taxer une liste de 158 produits. Parmi les lesquels le vin tranquille en bouteille dont le degré d’alcool ne dépasse pas 14 %, en provenance de France, d’Espagne, d’Allemagne et du Royaume-Uni.
Le le 12 janvier 2021, cette taxe avait été étendue à l’ensemble du vin (hors vin mousseux) et à une partie des spiritueux français (dont le cognac et l’armagnac) et allemands.
Hasard du calendrier, la Douane a publié le même jour que l’annonce de la Commission un bilan des effets de ces sanctions sur les exportations françaises aux États-Unis. Si, entre 2009 et 2019 ces dernières avaient progressé en moyenne de 11,4 % par an, elles ont dévissé de 28 % en glissement annuel avec la mise en place de la surtaxe, entre octobre 2019 et septembre 2020.
Cette chute sans équivalent depuis plus de vingt ans avait été un coup dur sur ce marché qui constituait depuis 2014 le premier débouché en valeur des viticulteurs français.
Un effet d’aubaine pour les vins plus concentrés en alcool
La taxation américaine additionnelle a provoqué un accroissement de 7 % des exportations de vins les plus concentrés en alcool (plus de 13 %) tandis que les ventes de vin d’une teneur en alcool inférieure à 13 % ont diminué de 41 %.
Selon la Douane, cette substitution de vin fortement concentré en alcool à un vin moins concentré s’explique en partie par le champ de la taxe américaine. Cette dernière ne porte en effet que sur le vin tranquille en bouteille ayant un degré d’alcool inférieur à 14 %.
Les catégories de vins distingués par la nomenclature européenne distinguant un seuil à 13 %, il est hautement probable qu’une petite partie des exportations de vin tranquille en bouteille comprises entre 13 % et 15 % dépasse 14 % et ne subisse donc pas la taxe américaine. Les données des douanes américaines indiquent une ainsi hausse de 269 % en valeur des importations de vin tranquille en bouteille originaire de France d’une teneur en alcool comprise entre 14 % et 15 %).
Les variétés de vins les plus alcoolisées ont de ce fait profité d’un écart de taxation favorable.
La surtaxe américaine a fait perdre à la France 11 points de parts de marché
Reste que, au cours des douze mois qui ont suivi l’instauration de cette taxe, les vins français ont subi une perte de compétitivité-prix brutale qui a profité à la concurrence : la France à perdu 11 points de part de marché selon la Douane américaine.
La Nouvelle-Zélande a ainsi augmenté de 10 % ses ventes vers les États-Unis. L’Italie a subi un léger recul (-1 %), mais, à l’inverse des pays européens sanctionnés par la taxe, sa part de marché s’est accrue de 7 points, avec des ventes deux fois supérieures à celles de la France.
Cette dernière devra donc batailler ferme pour reconquérir sa place sur le marché américains, d’autant que, comme le souligne l’étude de la Douane, les acheteurs ont eu tendance à se positionner sur des vins moins chers.
Reports sur d’autres fournisseurs, accentuation du critère « prix », impact de la Covid-19… Le retour à la normale risque d’être long. D’autant que la hache de guerre n’est à l’heure actuelle pas encore complètement enterrée.
Quatre mois de sursis pour négocier une paix définitive
Le compromis auquel sont parvenus les négociateurs américains et européens aboutit non pas à un armistice mais à une trêve : les sanctions commerciales sont suspendues et non tout bonnement supprimées. Mais il s’agit de permettre à Washington et à Bruxelles de résoudre une bonne fois pour toutes le conflit qui les oppose dans l’aéronautique et qui empoisse leurs relations commerciales depuis maintenant plus de 16 ans.
C’est le vœu qu’a formulé Valdis Dombrovskis, le commissaire européen au Commerce, dans un communiqué de la Commission : « C’est une avancée importante. Elle marque un nouveau départ dans la relation avec notre plus grand partenaire économique. Supprimer ces taxes douanières est avantageux pour tout le monde à un moment où la pandémie frappe durement nos travailleurs et nos économies. Cette suspension va aider à restaurer la confiance et nous donnera ainsi l’espace pour parvenir à une solution globale et pérenne ».
Même état d’esprit côté français. Franck Riester, ministre délégué en charge du Commerce extérieur a twitté dans la foulée de l’annonce par la Commission de cette trêve : « Nous allons poursuivre avec Valdis Dombrovskis les discussions avec les Etats-Unis pour résoudre définitivement le contentieux Airbus/Boeing et apaiser la relation commerciale entre l’Union européenne et les Etats-Unis ».
Les Européens devraient bien sûr bénéficier d’un changement de climat politique avec l’arrivée en janvier du nouveau président Joe Biden, beaucoup plus europhile et ouvert à la négociation que son prédécesseur. Pour célébrer son investiture, Marie-Guite Dufay, présidente de la Région Bourgogne Franche-Comté, avait offert au nouveau président deux bouteilles de bourgogne (une de côte de Beaune du lycée viticole de Beaune et un chardonnay du lycée viticole de Montmorot) accompagnées d’une lettre appelant à la fin des sanctions.
Nul ne sait si c’est ce cadeau qui a fait ployer les Américains, mais une chose est sûre : même si l’ère Trump est close et l’ambiance à la discussion, les négociateurs européens pourront compter sur le pragmatisme de leurs homologues et les verront certainement défendre bec et ongles les intérêts des entreprises américaines. Un réflexe protectionniste qu’illustre le nom du décret signé fin janvier par Joe Biden imposant aux institutions de se fournir localement : « Buy American ».
Sophie Creusillet