Secteur phare du commerce extérieur français avec un record d’exportations en 2019 à 26,9 milliards d’euros, le luxe a, comme tous les secteurs, été durement impacté par la crise. Il devrait pourtant renouer avec la croissance en grande partie grâce à la Chine. Et à condition de suivre les attentes d’une clientèle plus jeune et plus connectée, en Chine et ailleurs dans le monde.
Fin juillet, le numéro un mondial LVMH (Louis Vuitton, Fendi, Dior, Givenchy, Guerlain…), annonçait un bénéfice net divisé par six au premier semestre 2020. Du jamais vu. Entre avril et juin, le chiffre d’affaires de Kering (Saint Laurent, Balenciaga, Gucci, Boucheron..), autre géant du secteur, s’était pour sa part effondré de 43 %.
Le secteur devrait toutefois se redresser et continuer à soutenir le commerce extérieur sur le reste de l’année. D’après les données de la Douane, entre le deuxième et le troisième trimestres 2020, les ventes internationales d’articles de joaillerie et de bijouterie ont en effet bondi de 149,8 %, celles de la maroquinerie, de la bagagerie et des chaussures de 60 %, tandis que les exportations de parfums et cosmétiques ont enregistré une hausse de 42,4 %.
Autrement dit, après un passage à vide au plus dur de la pandémie de Covid-19, le secteur devrait sortir la tête de l’eau. Et il le doit en grande partie grâce au dynamisme du marché chinois.
Le marché chinois devrait bondir de 45 % en 2020
Ce dernier, avait déjà été en 2019 joué le rôle de locomotive, assurant 90 % de la croissance mondiale, selon une étude de Bain and Co. 35 % des ventes de luxe étaient réalisées dans ce seul pays.
Concernant l’année 2020, alors que le marché mondial du luxe devrait se contracter de 23 %, à 217 Md d’euros, la Chine est le seul pays qui enregistrera une croissance. Alors que les autres marchés asiatiques devraient accuser une baisse de 35 % (- 36 % pour l’Europe, – 27 % pour les Amériques), celui de la Chine devrait en effet bondir de 45 % pour atteindre 44 Md d’euros.
Dans l’impossibilité de voyager à l’étranger, mais ayant bénéficié plus tôt que le reste du monde de la reprise économique qui a suivi la fin des mesures de confinement, les consommateurs chinois se sont rués dans les boutiques de luxe.
HENRY’s, millénniaux et génération Z dictent de nouveaux modes de consommation
Cette montée en puissance des consommateurs chinois, friands de marques françaises, n’est pas nouvelle, mais elle est confortée par la crise qui a, par ailleurs, mis en exergue de nouveaux modes de consommation de biens de luxe, liés à un rajeunissement de leur clientèle. Les HENRY’s (High-Earners-Not-Rich-Yet) sont ainsi désormais dans les radars de tous les professionnels du marketing du secteur.
Ces clients « à revenu élevé mais pas encore riches » (et qui peuvent également être Chinois) ont en moyenne 43 ans et gagnent entre 100 000 et 250 000 dollars par an. Selon une étude de Deloitte, ils devraient rapidement constituer le groupe démographique le plus riche du monde. Leur credo ? Un goût prononcé pour l’authenticité, l’artisanat et le patrimoine.
Pour cette génération, l’objet de luxe est certes toujours un important marqueur social, mais les conditions de sa production sont devenues un fort critère d’achat. « Les acteurs du luxe qui ont compris le désir de consommation durable de leurs clients, sont ceux qui ont le plus grand potentiel de croissance », souligne un récente étude de Mazars. D’où l’importance de développer la ‘circularité’ par la recherche de solutions de recyclage et de veiller à ce que la production soit respectueuse de l’environnement.
L’essor de l’occasion
Cette tendance éthique, conjuguée aux effets de la crise qui a resserré les cordons de la bourse de cette « presque » riche clientèle, a pour conséquence l’amplification de nouveaux modes d’achat.
En atteste l’irruption, en Amérique du Nord et en Europe, de plateformes de revente de produits de luxe d’occasion. Ce marché atteint désormais 30 Md d’euros par an, grâce à une croissance moyenne annuelle de 12 % ces cinq dernières années, selon Mazars.
Autres clientèles à suivre de près selon les spécialistes du secteur, les millénniaux (qui ont connu dans leur prime jeunesse l’apparition des nouvelles technologies) et la génération Z (née alors que les outils numériques étaient bien implantés). Les premiers devraient constituer la moitié des consommateurs du luxe en 2025, d’après une étude du Boston Consulting Group. Quant aux seconds, s’ils représentent encore une part assez faible de la clientèle du luxe (4 % selon Forbes), cette dernière devrait doubler à l’horizon 2025 et impose déjà aux entreprises du luxe d’adapter leurs stratégies marketing.
Les marques développent leur présence sur les réseaux sociaux chinois
Toutes ces catégories de consommateurs ont en commun une aisance avec les outils numériques. D’où l’envolée du e-commerce : alors qu’en 2010 les ventes en ligne de produits de luxe représentaient 4,3 Mds d’euros, elles ont atteint 33,3 Mds d’euros en 2019, selon Mazars. D’où aussi la nécessité accrue, pour les marques, de développer leur présence sur les réseaux sociaux et de nouer des partenariats avec de célèbres influenceurs.
Marque chérie de la génération Z, Gucci l’a bien compris et multiplie les initiatives : présentation d’un modèle de chaussures en 3D sur Snapchat, campagne de publicité diffusée uniquement sur Youtube, création d’un compte Instagram dédié intégralement à ses « activités responsables »…
Longtemps accès sur la tradition, le patrimoine et les savoir-faire, l’industrie du luxe a su s’approprier les nouvelles technologies et affiner ses stratégies numériques. Non seulement pour vendre à distance, mais aussi pour suivre les goûts et tendances d’une clientèle rajeunie, elle a investi massivement dans des plateformes de e-commerce, la 3D, l’intelligence artificielle et le big data.
Pour suivre la demande chinoise, qui va continuer à tirer le marché mondial à la hausse, elle devra à présent davantage s’investir sur les réseaux sociaux locaux.
C’est ce que Louis Vuitton a bien compris en devenant à l’été 2019 la première marque de luxe à s’associer avec Xiaohongshu (« petit livre rouge », en mandarin), la dernière sensation des réseaux chinois. En mars 2020, la marque a même choisi d’utiliser cette plateforme pour lancer sa nouvelle collection en y associant une blogueuse de mode et une célèbre influenceuse chinoise. Résultat : 152 000 pages vues en une petite heure de streaming.
C’est sur ce type de stratégie que les acteurs français du luxe devront parier pour renouer avec la croissance qui n’est cependant pas attendue avant 2022 ou 2023, dates auxquelles, selon Bain and Co, les ventes de produits de luxe devraient à nouveau atteindre celles enregistrées en 2019.
Sophie Creusillet