La Commission européenne a présenté, mardi 15 décembre, deux textes phares de son mandat censés révolutionner l’organisation de l’espace numérique de l’Union européenne (UE) pour les vingt prochaines années. Car si Ursula Von Der Leyen, la Présidente de l’exécutif à Bruxelles, a d’emblée affiché son ambition de bâtir une Europe plus verte, elle s’est également fixée comme autre priorité, de rendre l’UE « prête pour l’ère numérique », comme elle l’avait promis lors de la présentation de son programme au Parlement européen.
Mettre fin au Far West numérique
Après un an de travail, les deux propositions très attendues sont désormais sur la table. Il s’agit d’une part du Règlement sur les services numériques (Digital Service Act ou DSA) et, d’autre part, du Règlement sur les marchés numériques (Digital Market Act ou DMA).
Il s’agit de « deux législations qui se complètent », précise Thierry Breton, le commissaire en charge du Marché intérieur et du numérique, et qui visent, en résumé, à imposer des règles dans ce qu’il décrit comme « le Far West numérique ». Une nécessité alors que la législation aujourd’hui en vigueur date de juin 2000 (Directive sur les services en ligne et le e-commerce) et n’est donc plus du tout adaptée à un secteur en constante évolution.
L’objectif n’est pas de faire disparaître les grandes plateformes mais de mieux réguler leur fonctionnement, explique-t-on à Bruxelles. Une façon, aussi, de consacrer la souveraineté numérique de l’Europe que le commissaire français appelle de ses vœux. Avec ses deux textes, Thierry Breton espère donc établir « des normes mondiales pour l’économie numérique et s’attaquer aux avantages bien ancrés dont bénéficient les grandes technologies ».
Un objectif que soutiennent les principales familles politiques au Parlement européen. « Non au modèle chinois, non au modèle américain, oui à un modèle européen », s’est félicité Dacian Ciolos, le Président de Renew Europe.
Le règlement sur les services numériques
Le DSA vise notamment la vente en ligne de biens et services illégaux ainsi que les contenus illicites, à caractère terroriste ou pédopornographique, par exemple.
Avec ce texte, la Commission ambitionne de mieux responsabiliser l’ensemble des intermédiaires mais davantage encore les plus grandes plateformes, qui devront disposer des moyens pour modérer voire retirer rapidement les contenus illicites qu’elles accueillent et mieux coopérer avec les autorités en cas de signalement.
Les plateformes qui touchent plus de 10 % de la population européenne, soit 45 millions d’utilisateurs, seront considérées comme systémiques et donc soumises « à des obligations de contrôle de leurs propres risques mais aussi à une nouvelle structure de surveillance », détaille un communiqué de la Commission.
Le règlement sur les marchés numériques
Quant au DMA, il vise uniquement les acteurs dits « systémiques », comme les GAFAM (Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft), agissant comme des « contrôleurs d’accès » sur les marchés numériques.
Du fait de leur taille et de leur toute puissance, ils menacent le libre jeu de la concurrence. Comment ? En utilisant, par exemple, de façon déloyale, des données provenant d’entreprises opérant sur leur plateforme ou en donnant la préférence à leurs propres produits.
Et si nécessaire, la Commission s’est donné les moyens de frapper fort avec des sanctions qui se veulent dissuasives. Celles-ci pourront se chiffrer à 10 % du chiffre d’affaire mondial du contrôleur d’accès. En cas de récidive, des mesures structurelles pourront être mises en œuvre, comme l’interdiction d’opérer sur le marché intérieur voire la cession de certaines activités.
Intense lobbying des GAFAM
Les deux projets de règlement doivent maintenant être examinés par les États membres, au sein du Conseil, et par le Parlement européen.
Une étape cruciale pour les GAFAM qui poursuivront les efforts, déjà entrepris, pour diluer certaines dispositions des textes. Mais leurs pratiques seront certainement scrutées à la loupe à Bruxelles.
Le 12 novembre dernier, Sundar Pichai, le P-dg de Google, a d’ailleurs été contraint de présenter ses excuses à Thierry Breton à la suite de la publication, fin octobre, par l’hebdomadaire Le Point de documents confidentiels. Ceux-ci révélaient la stratégie du géant américain pour « contrer Thierry Breton » et vider le texte de sa substance. « Ce sont des méthodes d’un autre siècle !», s’était alors emporté le commissaire français lors d’une réunion organisée par visioconférence.
Selon l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), Google – n°1 à Bruxelles en budget de lobbying, en 2019 – a été l’entreprise la plus active jusqu’ici pour contrer ces nouvelles régulations, suivie par Microsoft et Facebook.
Les négociations devraient durer au moins un an avant que les deux institutions communautaires se mettent d’accord sur une position commune. De quoi laisser aux géants du secteur le temps de structurer leurs marchés et de faire le deuil d’une auto-régulation en vigueur depuis presque deux décennies.
« Internet ne peut pas être un espace sans loi, ni droit. Le niveau européen est le bon échelon pour être efficaces, pour défendre nos intérêts et nos valeurs, a commenté Clément Beaune, le secrétaire d’État français aux Affaires européennes. La présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022 sera l’occasion de faire aboutir ces règles dont nous avons tant besoin », a-t-il conclu.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour en savoir plus, les liens utiles vers le site de la Commission européenne :
–Législation sur les services numériques (DSA) : garantir un environnement en ligne sûr et responsable : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-services-act-ensuring-safe-and-accountable-online-environment_fr
–Législation sur les marchés numériques (DMA) : garantir des marchés numériques équitables et ouverts : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-markets-act-ensuring-fair-and-open-digital-markets_fr