Ce ne sera pas un scoop : le bilan de l’année 2017 en matière de commerce extérieur, dont les chiffres seront publiés début février, sera à nouveau plombé par la dégradation du déficit commercial, qui devrait renouer avec un record, entre – 65 milliards d’euros et – 70 milliards d’euros. Un signe que la reprise économique qui se confirme en France et dans le monde, particulièrement en Europe qui absorbe près des deux tiers de nos échanges, profite davantage à nos importateurs qu’à nos exportateurs et que la reconquête des parts de marché perdues se fait attendre : pour les marchandises, les premières ont progressé de 7,48 % sur les onze premiers mois de 2017 (janvier-novembre) alors que les secondes n’ont augmenté que de 5,17 % sur la même période selon les statistiques de la douane compilées par la base de données IHS Markit Global Trade Atlas. Tout est dit.
Les difficultés de l’appareil productif français à profiter à plein de la reprise des marchés internationaux persistent et la question du redressement de sa compétitivité reste entière, demeurant un chantier de long terme tant les mesures visant à améliorer certains aspects de cette compétitivité mettront du temps à produire de l’effet, qu’il s’agisse de la compétitivité-coût ou hors-prix.
Les résultats de la dernière étude annuelle de l’Institut COE-Rexecode sur le sujet l’attestent. « Aucun rattrapage des pertes de parts de marché accumulées par la France depuis le début des années 2000 n’est amorcé et le recul de la position française s’est même légèrement accentué » constate COE Rexecode dans son 12ème bilan annuel sur la compétitivité française (le document est dans le Pdf attaché à cet article).
La part de marché de la France dans la zone euro au dessous de 13 %
Quatre tendances majeures sont ainsi relevées par l’étude, pas toutes négatives d’ailleurs :
1/ Parts de marchés (PDM) : la France ne parvient pas à rattraper ses pertes de PDM par rapport à la concurrence européenne, et en particulier celle de ses partenaires de la zone euro, elle perd au contraire du terrain : sa PDM dans les exportations de biens et services de la zone euro est passée de 13,2 % en 2016 à 12,9 % en 2017, loin des 17 % de 2000. Certes le nombre de pays membres a augmenté depuis*, mais force est de constater que cela n’explique pas ce repli : l’Allemagne a augmenté sa PDM de 26,5 à 29,2 % tandis que l’Espagne et les Pays-Bas l’on maintenu, selon COE-Rexecode. Seule l’Italie aurait reculé.
Même tendance au niveau mondial : la PDM de la France dans les exportations mondiales de biens, qui s’était stabilisée autour de 3,1 % depuis 2011 (4,7 % en 2000), aurait à nouveau perdu du terrain pour atteindre 3 % en 2017, après 3,2 % en 2016. Enfin, le taux de pénétration des importations sur le marché intérieur, qui s’était stabilisé, est reparti à la hausse avec le rebond des prix des matières premières : 24,4 % en 2017, contre 23,7 % en 2016 (19,7 % en 2003).
Résultat : le déficit de la balance des transactions courantes s’aggrave -1,1 % du PIB en 2017 après -0,9 % du PIB en 2016 et la France passe à côté de gains supplémentaires de croissance : d’après le calcul de COE Rexecode, « le manque à gagner cumulé depuis 2000 est de 1700 milliards d’euros », soit ce qu’aurait engrangé le PIB français si la PDM du pays s’était maintenu à son niveau de 2000.
Progression modérée des coûts salariaux
2/Une récente amélioration de la compétitivité-coût : c’est la bonne nouvelle du bilan annuel de COE Rexecode, mais elle est fragile. D’après l’étude, après une hausse très supérieure à la zone euro et l’Allemagne, les coûts salariaux horaires de la France ont connu une progression modérée depuis 2012 avec + 5,4 % contre + 7,1 % dans la zone euro et + 11,4 % en Allemagne. Entre 2000 et 2017, ils ont progressé au total de 51,9 % (+ 48 % pour la zone euro et + 35 % pour l’Allemagne). Toutefois, nuance COE Rexecode, cette évolution positive « doit davantage aux mesures d’allègement du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité) qu’à une modération relative des salaires ».
Reste tout de même que toujours selon l’étude, les coûts salariaux unitaires dans l’ensemble de l’économie, tenant compte des gains de productivité, ont pour leur part augmenté de 29 % entre 2000 et 2017, un rythme légèrement inférieur à celui de la zone euro (+ 30 %) quoique encore très supérieur à celui de l’Allemagne (+ 18,9 %). Depuis 2012, les mesures d’allègement ont permis de ralentir le rythme de hausse à 1, 9 % (+ 5 % dans la zone euro et + 10,5 % pour l’Allemagne). Mais ce n’est pas suffisant pour combler l’écart qui s’est accumulé, notamment entre la France et l’Allemagne (celui si ne s’est réduit que de 25 %).
L’érosion de la base industrielle se poursuit
3/ Recul de la base industrielle : COE Rexecode alerte, dans ce bilan, sur l’érosion continue de la base industrielle de la France depuis 2000, qui se poursuit donc malgré les efforts récents faits sur les coûts salariaux. La hausse des coûts « a progressivement éliminé les entreprises industrielles les moins productives » constate l’Institut, « les autres, plus productives, ont pu contenir leurs coûts salariaux unitaires », et ces derniers ont même « légèrement baissé par rapport à leur niveau de 2000 ». Mais ceci a été réalisé au prix d’une érosion des marges et de la capacité à investir, ce qui n’est pas bon pour l’avenir.
La encore, la comparaison avec l’Allemagne, qu’affectionne COE Rexecode, est édifiante : le poids des marges de l’industrie dans le PIB a diminué de 5,9 à 4,2 % en France alors qu’il a progressé en Allemagne de 7,4 à 9 % du PIB. Pour l’institut, le recul de la PDM de la France est justement étroitement lié au déclin de l’industrie manufacturière hexagonale : la valeur ajoutée manufacturière française dans la valeur ajoutée manufacturière de la zone euro a ainsi régressé de 17,3 % en 2000 à 13,6 % en 2017. Un véritable « cercle vicieux » s’est installé, entre la baisse des débouchés et la baisse des capacités exportatrices.
4/ Compétitivité hors prix : d’après les résultats d’un sondage annuel réalisé par COE Rexecode auprès de 500 importateurs européens, la compétitivité hors prix de la France est loin de pouvoir compenser ses faiblesses sur les coûts. « Les biens d’équipement et intermédiaires français continuent d’occuper une position médiane sur les critères hors-prix, avec notamment une dégradation concernant le contenu en innovation, précise l’Institut. Ils sont surtout placés en retrait concernant le critère prix et sont jugés chers au regard des critères ‘hors-prix » (qualité, contenu en innovation, services associés…) ».
COE-Rexecode, qui est proche du patronat, conclut en recommandant la poursuite des efforts en matière d’amélioration de la compétitivité-coût, tout en notant que « certaines mesures récentes (baisse du taux de CICE en 2018, transformation du CICE en allègements de cotisations en 2019 qui se traduit en fait par une hausse de prélèvement d’environ 5 milliards d’euros sur les entreprises) ne vont pas dans le bon sens ». Il appelle également à des mesures structurelles à plus long terme dans des domaines tels que la formation et l’innovation…
Christine Gilguy
*La zone euro compte 19 membres aujourd’hui : les 11 membres fondateurs en 1999 (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal) ont été rejoints par Chypre, l’Estonie, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Slovaquie et la Slovénie.
Pour prolonger :
–Vin / Etats-Unis : la France grignotera des parts de marché à l’Italie et l’Australie
–Relations bilatérales : la France gagne encore des parts de marché en Corée du Sud
–Maghreb : les parts de marché françaises s’érodent (Douanes)
–Spécial maritime : la France face aux enjeux de compétitivité (Le Moci)