Le financement est le nerf de la guerre pour réduire les effets du réchauffement climatique. La priorité climat fait totalement partie aujourd’hui des stratégies des bailleurs de fonds, lesquels sont aujourd’hui très attentifs au respect de l’environnement et aux émissions de gaz à effet de serre (GES), comme l’a montré la table ronde sur les financements, organisée, à Paris le 2 février *, dans le cadre du 7e Forum Afrique Moci / Cian, consacré aux enjeux climatiques à l’occasion de la publication du Rapport Cian 2018 « Les entreprises internationales et l’Afrique ».
Le groupe de l’Agence française de développement (AFD), dont les engagements sont passés de 500 millions à 2 milliards d’euros annuels, intègre ainsi la protection de l’environnement dans ses programmes de développement et, en particulier, dans les projets qu’il finance dans la transition énergétique et l’accès à l’électricité.
E. Matz (Proparco) : « il y a une révolution solaire depuis deux-trois ans »
Le 29 novembre dernier, le président Macron a ainsi inauguré la plus grande centrale solaire d’Afrique de l’Ouest, d’une capacité de 33 mégawatts (MW), construite par Cegelec à Zagtouli au Burkina Faso. D’un montant de 47,5 millions d’euros, le financement a été assuré par l’AFD et la Banque européenne d’investissement (BEI).
« Il y a une révolution solaire en Afrique depuis deux-trois ans et nous accompagnons beaucoup l’expertise française », a expliqué, lors du forum, Emmanuelle Matz, responsable de la division Énergie et infrastructure de Proparco, la filiale de l’AFD dédiée au financement du secteur privé, qui a participé au Sénégal au financement d’une centrale de 20 MW près de Thiès. Dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), Proparco a ainsi prêté 36 millions d’euros sur un total de 42 millions. Le fonds d’investissement Meridiam était associé.
« Il a fallu du temps avant de réunir toutes les conditions requises », n’a pas caché Emmanuelle Matz. Il a fallu former le personnel de la Société nationale d’électricité, on avait aussi des questionnements sur le réseau. Nous avons ainsi accompagné la Senelec pour une stabilisation du réseau ».
Aujourd’hui, Proparco étudie des projets similaires dans d’autres pays. Mais Emmanuelle Matz reconnaît que des barrières subsistent : le manque de capacity building (développement des compétences), une rentabilité insuffisante des projets ou encore l’inexistence d’un cadre règlementaire approprié, pourtant indispensable pour favoriser et sécuriser l’investissement privé.
C. Mantel (Terrawatt) : « le secteur privé travaille à la mise en place d’un écosystème »
Les besoins en Afrique et dans le monde sont considérables. C’est pourquoi la France, alors qu’elle accueillait la 21e conférence internationale sur le changement climatique (Cop 21), à Paris en décembre 2015, s’est associée avec l’Inde – reprenant ainsi une idée du Premier ministre indien Narendra Modi – pour lancer l’Alliance solaire internationale (Asi).
Nombre de nations africaines participent à l’Asi : Cote d’Ivoire, Ghana, Somalie, Djibouti, Comores, Rwanda, Sénégal, Burkina Faso, RDC, Éthiopie, Guinée Bissau, Liberia, Madagascar, Mali, Niger, Guinée, Seychelles, Soudan, Tanzanie, etc. L’Asi vise à associer tous les acteurs : pouvoirs publics, bailleurs de fonds, secteur privé et société civile. Une mobilisation qui s’explique par les besoins de financement dans le monde : 1 000 milliards de dollars rien que pour le photovoltaïque d’ici 2035. Pour donner une échelle des besoins à satisfaire, le Fonds vert pour le climat constitué sous l’égide des Nations Unies n’a mobilisé jusqu’à présent qu’une dizaine de milliards de dollars de ressources…
Pour donner corps à la participation de la sphère privée, a également été lancée, au même moment, l’initiative Terrawatt. Cette association internationale créée par de grandes entreprises (Engie, Total, Schneider, IBM, Iberdrola, Blackrock, Sugar Group pour les membres fondateurs), a pour objectif de permettre de fournir à tous une énergie à un prix abordable dans des pays riches en soleil, mais dont les conditions d’accès au financement sont rédhibitoires.
« Le secteur privé travaille à la mise en place d’un écosystème, mais il y aussi des problématiques à régler », a précisé Catherine Mantel, vice-présidente Business Development de Terrawatt Initiative.
D’abord les soucis de réglementation, de régulation. Pour accéder aux terrains, ne faut-il pas, par exemple, constituer des zones économiques spéciales, avec une règlementation spécifique, prévoyant notamment le recours à l’arbitrage international en cas de litige pour rassurer les investisseurs internationaux ?
Deuxième axe de travail, la standardisation des contrats, ce qui permettrait de réaliser des économies, de gagner du temps et d’agréger les contrats.
Troisième problématique, le risque. Une étude de faisabilité est lancée, l’objectif étant de proposer un mécanisme commun d’atténuation des risques. Une plateforme digitale doit permettre d’évaluer les besoins, de mettre en place des bonnes pratiques et d’harmoniser les processus en matière d’appel d’offres et de développement des projets. Enfin, pour être certain d’obtenir des financements, il s’agit d’apporter des garanties aux investisseurs institutionnels et privés.
F. Lesueur (Enekio) : la Bid « ne voulait pas d’un projet pour 75 villages, mais pour 300 »
En attendant, les entrepreneurs doivent faire preuve d’imagination. En 2016, par exemple, Schneider Electric signait pour la vente de huit centrales solaires équipées de batteries pour stocker l’énergie avec huit pays différents (Togo, Bénin, Guinée-Bissau, Niger, Sénégal, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali). Il s’agissait d’appels d’offres communs pour un contrat ainsi mutualisé de 5,4 millions d’euros.
Au Sénégal, pour un projet d’éclairage public, le français Enekio s’est adressé à la Banque islamique de développement (Bid), qui « ne voulait pas d’un projet pour 75 villages, mais pour 300 », a relaté Franck Lesueur, le vice-président des Ventes de cette PME spécialisée dans l’optimisation des système énergétique. « On a choisi des villages avec une activité économique suffisante pour assurer la rentabilité du projet », a-t-il précisé.
Le contrat global a été signé sur 25 ans, avec la garantie du ministère sénégalais des Finances. Au final, la solution retenue – un système électronique intégré à un luminaire pour détecter une présence ou non et adapter le besoin de lumière – doit permettre de réduire des trois quarts la consommation d’électricité. « Elle va avoir un impact conséquent en matière de santé et d’éducation, mais aussi d’activité économique », se félicitait Franck Lesueur.
P. Novo (Bpifrance) : « on a trois ans pour gagner »
D’autres PME françaises (Sunna Design, Fonroche…) ont apporté des solutions innovantes en matière de technologie et de financement. « Les Français ont la meilleure ingénierie au monde, pas les financements ». Cette citation ancienne du président ivoirien Alassane Ouattara a été utilisée par le directeur des Financement de Bpifrance, Pedro Novo, pour rappeler au secteur privé de l’Hexagone que, depuis, cette banque publique avait été créée et qu’elle disposait d’une gamme de produits variée, allant de l’aide à la prospection des marchés au financement de clients étrangers, en passant par la sécurisation financière des exportations et des investissements à l’étranger.
Dans le même temps, Pedro Novo a exhorté les entreprises françaises à ne pas attendre pour s’engager sur le continent, notamment en Afrique de l’Est où elles ne sont pas assez présentes. « La concurrence est maintenant internationale et on a encore trois ans devant nous pour gagner », assurait-il.
Parmi les concurrents actifs, le Maroc, qui mène depuis plusieurs années une offensive fort remarquée au sud du Sahara. Mais le Royaume chérifien est aussi le pays qui a succédé à la France en organisant la Cop 22 à Marrakech en novembre 2016. Casablanca Finance City (CFC) est devenu « la première place financière du continent », avec des ambitions dans la finance verte et le « verdissement des acteurs, banques et assurances notamment », a exposé Lamia Merzouki, la directrice générale adjointe de CFC Authority. Une organisation qu’elle a rejointe en 2010 après avoir travaillé, notamment, sur le plan Maroc Vert au sein du ministère marocain de l’Agriculture.
L. Marzouki (CFC) : adapter les projets et « les structurer en allant jusqu’au financement »
Lamia Merzouki a également rappelé que le Royaume chérifien a lancé l’initiative Adaptation de l’agriculture africaine (AAA), au moment de la Cop 22. C’est également à Casablanca que les ministres de l’Environnement du G7 ont lancé le « réseau des centres financiers verts » pour lutter contre le changement climatique et promouvoir le développement durable.
S’agissant de l’initiative AAA, l’objectif est d’identifier « les projets d’adaptation et de les structurer en allant jusqu’au financement », selon la dirigeante de CFC Authority. Une « équipe fonctionnant comme un groupe de lobbying international pour lever des fonds » a ainsi été constituée. Par ailleurs, trois pays – Côte d’Ivoire, Mali, Rwanda – sont associés à « la programmation stratégique de projets agricoles ».
Lamia Merzouki a encore rappelé que diverses solutions de financement international existaient, comme les obligations vertes, les aides des agences de crédit ou les fonds verts. Sans oublier le fonds Africa50, dédié aux infrastructures et auquel contribuent une vingtaine de nations du continent. Fondé à Casablanca par la Banque africaine de développement (Bad), ce fonds panafricain vise aussi à structurer des projets bancables et à les financer. « Aujourd’hui, a constaté la directrice générale adjointe de CFC Authority, des fonds privés commencent à dupliquer Africa50 ». Une bonne nouvelle pour l’avenir.
François Pargny
* Lire nos trois précédents articles sur le Forum:
– Forum Afrique Moci / Cian 2018 : pourquoi le coût du risque diffère selon les pays
– Forum Afrique Moci / Cian 2018 : risques et opportunités de la lutte contre le réchauffement climatique
– Forum Afrique Moci / Cian 2018 : les grands secteurs porteurs de la transition énergétique
Pour prolonger :
– Afrique / Export : quand l’AFD allie développement et appui aux sociétés françaises
–France / Afrique : Europe, jeunesse, diplomatie économique, trois priorités d’E. Macron
– France / Afrique : E. Macron et R. Kaboré inaugurent la plus grande centrale solaire ouest-africaine
– Énergies renouvelables : le SER et l’Ademe publient une cartographie inédite des réalisations françaises à l’export
Et aussi
–Rapport Cian 2018 / Les entreprises internationales et l’Afrique
– Le Guide Moci « Où exporter en 2018 ? » avec plusieurs pays africains : Maroc, Égypte, Nigeria, Sénégal