Analyser l’évolution du commerce extérieur de la France au premier semestre 2019, c’est un peu comme raconter une histoire de verre à moitié plein ou à moitié vide : tout dépend du point de vue d’où l’on se place. Les chiffres de la Douane et de la Banque de France (trimestriels pour la première, semestriels pour la seconde) ainsi que leur analyse par les services du secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères en charge du Commerce extérieur, Jean-Baptiste Lemoyne, publiés le 7 août, ne dérogent pas à cette règle.
La tendance qui se dégage au premier semestre 2019 est clairement positive, ce qui incite à prendre l’angle du verre à moitié plein.
Les soldes sont mieux orientés grâce à des exportations plus dynamiques dans l’ensemble que les importations, malgré le contexte de ralentissement de la demande mondiale, la guerre commerciale États-Unis / Chine, et la montée du protectionnisme. « On ne voit quasiment aucune trace dans les chiffres publiés par les douanes du ralentissement de l’économie mondiale et du conflit entre les deux puissances » note un article des Echos, qui y voit, à l’instar du secrétaire d’État, un signe de la « résilience » du commerce extérieur français aux aléas de la conjoncture mondiale.
Le fait a été suffisamment rare ces dernières années pour qu’il soit signalé : la contribution du commerce extérieur à la croissance de l’économie française aurait été positive au premier semestre 2019, avec + 0,1 point de PIB en glissement annuel.
Baisse significative du déficit global des échanges
De fait, d’après les chiffres semestriels livrés par le secrétariat d’État à partir des données de la Douane* et de la Banque de France, si le solde des échanges de biens et services est toujours très déficitaire, il se redresse : -9,4 milliards d’euros (Md EUR) au 1er semestre (S1) 2019, soit 0,6 Md de moins qu’au semestre précédent (S2 2018 -10 Md) et 6,4 Md de moins qu’au S1 2018 (-15,8 Md).
Dans le détail, le traditionnel excédent des services est en progression par rapport à la même période de 2018, avec + 12,5 Md EUR au S1 2019 (+11,3 Md au S1 2018). Une performance tirée par la hausse de l’excédent des services financiers et d’assurance à + 3,1 Md EUR au S1 2019 (1,9 Md au S1 2018). L’excédent du négoce est lui en baisse de 30 % (+4,6 Md EUR) par rapport au S1 2018 et celui des voyages (+ 5,7 Md EUR) en repli de 14,9 % sur la même période.
Mais les biens ne sont pas en reste : le déficit commercial est en net recul au S1 2019 à -26,9 Md EUR, ce qui représente 5,2 Md de moins qu’à la même période de l’année précédente (-32,1 Md au S1 2018) et une baisse de 16,2 % en glissement annuel.
Mieux, le solde commercial hors énergie et matériel militaire, qui correspond aux performances de l’industrie civile et de l’agriculture françaises, s’améliore au S1 2019 de 26,8 % par rapport au S1 2018 (-18,7 Md EUR), à -13,7 Md EUR. Et il se maintient par rapport au semestre précédent (-13,7 Md au S2 2018).
« Ce semestre est le meilleur depuis 2016 »
Selon les données trimestrielles de la douane*, le déficit des échanges énergétiques a atteint de -23,4 Md EUR au S1 2019, soit une facture en légère hausse par rapport au semestre précédent (-23,3 Md au S2 2018). Le déficit des échanges de biens manufacturés hors énergie mais incluant le matériel militaire a atteint -14,7 Md EUR tandis que les produits agricoles affichent un excédent de +0,7 Md EUR.
Parmi les produits manufacturés, ceux des traditionnelles filières d’excellence dégagent des excédents aux S1 2019 : +3,4 Md EUR pour les produits des industries agroalimentaires (IAA); +8,4 Md pour les matériels de transports, principalement grâce à l’aéronautique et au spatial (+15 Md EUR) et à la construction navale (+1 Md EUR), le solde de l’automobile étant déficitaire (-6,6 Md) comme celui des matériels ferroviaires roulants ; +2,6 Md pour les produits pharmaceutiques.
Ils ne suffisent toutefois pas à endiguer le déficit d’un certain nombre d’autres produits industriels, comme dans les biens d’équipements mécaniques, électroniques et informatiques (-14,7 Md EUR au S1 2019) mais ils limitent les dégâts.
Jean-Baptiste Lemoyne n’a pas boudé son plaisir : « Ce qu’on voit, c’est que ce semestre est le meilleur depuis 2016 » a-t-il déclaré sur FranceTvInfo, le 7 août. « Nous avons un déficit commercial qui est en baisse de 5 milliards d’euros, c’est considérable lorsqu’on sait que la facture énergétique continue à surenchérir, et donc ça veut dire que cette performance est arrimée sur des fondamentaux solides ».
En cumul sur les 12 derniers mois, à fin juin 2019, le déficit commercial atteint – 54 Md EUR. A comparer aux -59,2 Md EUR dégagés en 2018, après – 58 Md EUR en 2017.
Des exportations en forme
Motif de satisfaction supplémentaire, pour ce verre à moitié plein, le principal facteur d’amélioration vient des exportations de biens et services, plus dynamiques que les importations. A 392,2 Md EUR au S1 2019, elles affichent une progression de 4,3 % par rapport à la même période de 2018, et une quasi-stabilité par rapport au S2 2018 (+0,1 %) alors que les importations progressent moins vite à 401,6 Md EUR (+ 2,4 % sur le S1 2018, et stagnation sur le S2 2018).
Faut-il en remercier les « gilets jaunes », dont les manifestations hebdomadaires ont freiné les activités des commerces et le tourisme fin 2018 et début 2019, donc les importations de biens et de services ?
Quoiqu’il en soit, ce sont les exportations de biens qui tirent la tendance : avec le niveau record de 256,3 Md EUR enregistrés sur le S1, elles affichent une belle progression de 6,1 % par rapport à la même période de 2018. Au contraire, avec 122,8 Md EUR au S1 2018, les exportations de services accusent pour leur part un léger recul (-0,4 % par rapport au S1 2018, et – 2,5 % par rapport au S2 2018).
Du coup, la France maintient sa part de marché dans les exportations mondiales de biens et services à 3,5 %, et pour les seuls biens à 3 %.
Les produits en formes
Par grands secteurs, une dizaine de produits sont particulièrement en forme, issus des filières d’excellence comme le luxe, l’aéronautique, la chimie-cosmétique et l’agroalimentaire. Selon le document du secrétariat d’Etat, 11 produits ont ainsi eu une contribution positive sur l’évolution des exportations de biens entre le second semestre 2018 et le premier semestre 2019 :
–biens d’équipements + 1,3 Md ;
–IAA + 1 Md ;
-textiles + 0,8 Md ;
–chimie-cosmétiques + 0,7 Md ;
–bijouterie + 0,6 Md ;
–véhicules automobiles + 0,5 Md (ce sont les équipements qui chutent) ;
–pharmacie + 0,5 Md ;
–matériels militaires + 0,5 Md ;
–produits agricoles + 0,2 Md ;
–construction navale + 0,2 Md ;
–aéronautique et spatial + 0,1 Md.
Des montants record d’exportation ont été atteints par la chimie (30,2 Md EUR au S1) et les IAA (24,7 Md EUR), grâce, pour ces dernières, aux boissons (8,9 Md EUR), dans lesquels ont retrouve les vins et spiritueux.
En revanche, d’autres produits ont eu une contribution nettement négative à l’instar du matériel ferroviaire roulant et de la métallurgie (-0,1 Md chacun), des équipements automobiles (-0,5 Md) et les produits pétroliers raffinés (-1,1 Md).
D’autres enfin ont eu une contribution nulle : produits de l’édition ; bois, papier, carton ; objets d’art ; hydrocarbure naturels.
La France semble profiter des accords commerciaux
Toujours au chapitre du verre à moitié plein, les tendances des échanges de biens par zones géographiques laissent apparaître des motifs de satisfaction, même si des faiblesses persistent.
En particulier, au vu de leurs performances entre le second semestre 2018 et le premier semestre 2019, les exportateurs français semblent avoir su tirer partie jusqu’à présent des ouvertures créées par l’Union européenne (UE) à travers la négociation de nouveaux accords commerciaux.
C’est le cas avec le Canada, alors que l’accord CETA – AEGC est en vigueur depuis septembre 2017 sur le plan commercial, où leurs ventes ont bondi de + 8,2 % (à 1,9 Md EUR) au S1 2019. Avec le Japon, pour lequel l’accord JEFTA est en vigueur sur le volet commercial depuis le 1er février 2019, les exportations françaises connaissent une poussée de +20,5 % (à 4,1 Md) au S1.
Vers d’autres partenaires prioritaires de la politique commerciale européenne, la tendance est également à la hausse : le Mexique (+ 10,6 % à 1,8 Md), et même le Mercosur (+ 4,6 % à 2,7 Md EUR).
En revanche, la France peine toujours à rééquilibrer ses échanges avec l’Asean : ses exportations y ont reculé de 3,8 % (8,1 Md EUR) sur la même période alors que ses importations bondissaient de 5,5 % (9,3 Md EUR).
Meilleurs résultats avec les pays tiers
Au total, l’UE est toujours, au S1 2019 le premier partenaire commercial de la France avec 59 % de ses exportations et 67 % de ses importations, suivie des États-Unis et de la Chine. Mais les meilleurs résultats en termes de soldes sont obtenus avec des pays tiers.
Au cours du S1 2019, les excédents commerciaux ont ainsi atteint un niveau record de 4,4 Md EUR avec l’Amérique du nord, grâce au Canada.
Ils sont également en progression avec le Proche et Moyen-Orient (1,4 Md, soit +0,3 % sur le S2 2018) et l’Amérique du sud (1 Md, après 0,7 Md). Ils sont en revanche en baisse avec l’UE hors zone euro (2,7 Md, après 3,8 Md au S2 2018).
Les déficits ont en revanche tendance à se creuser avec les autres zones géographiques. Il atteint -14,6 Md avec l’Asie (-13,4 au S2 2018), le seul déficit avec la Chine et Hong-Kong représentant 81,5 % de ce montant.
Il s’aggrave également avec la zone euro avec -20,2 Md au S1 2019 (après -20 Md au S2 2018), ce qui pèse sur le déficit global avec l’UE (-17,5 Md EUR, après -16,2 Md EUR au S2 2018).
Les soldes déficitaires se redressent toutefois avec l’Europe hors UE (-3,9 Md EUR, après -5,9 Md), où le poids de la Russie sous sanctions pèse, et l’Afrique, avec laquelle on approche de l’équilibre. Le déficit est ainsi passé de – 0,4 à -0,1 Md EUR avec l’Afrique subsaharienne entre le S2 2018 et le S1 2019, et de -0,9 à -0,4 Md EUR avec l’Afrique du nord.
Des signes de ralentissement
Au total, ce verre à moitié plein est plutôt rassurant alors que les perspectives du commerce international s’assombrissent. Il confirme l’idée, partagée par de nombreux économistes, que le commerce extérieur de la France, grâce à des spécialisations sur des produits moins cycliques que ceux de l’industrie lourde, est moins sensible que celui de certains de ses voisins comme l’Allemagne aux aléas de l’économie mondiale, et, particulièrement en ce moment, aux marchés asiatiques, particulièrement chinois.
Mais ce positionnement à son revers. L’Allemagne, qui est le premier client de la France, est à la peine, touchée de plein fouet par le ralentissement du commerce international et le regain de protectionnisme : le déficit bilatéral se creuse (-4,3 Md EUR au 2e trimestre, après -4 Md au 1er trimestre 2019).
Le Royaume-Uni, dont les importations depuis la France avaient été dopées au premier trimestre par les achats britanniques de précaution, est en crise dans la perspective d’un ‘Brexit’ sans accord au 31 octobre : de + 3,8 Md EUR, l’excédent trimestriel a été ramené à +2,5 Md au 2ème trimestre.
L’UE ralentit, les États-Unis et la Chine également. Une conjoncture qui devrait avoir des répercussions sur les opérateurs français dès les prochains mois. Déjà au deuxième trimestre 2019, selon les chiffres de la Douane, les exportations de produits manufacturés se sont contractées de 0,2 % par rapport au premier trimestre. La courbe s’est notamment inversée vers l’UE et l’Europe hors UE. Pas sûr que les accords commerciaux suffisent à endiguer la tendance. C’est le côté verre à moitié vide…
Christine Gilguy
*Les données trimestrielles 2019 de la Douane sont dans le document Pdf attaché à cet article