Le Brexit approche. De la TPE au groupe international, quelque 30 000 entreprises françaises commercent avec le Royaume-Uni et plus de 2 000 d’entre elles réalisent plus de 50 % de leurs exportations avec ce pays. Alors que le retour des formalités douanières entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sera effectif au 1er janvier, la CCI Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) publie une étude (voir document attaché à cet article) sur l’impact financier de ce bouleversement sur les entreprises françaises. Il met notamment en valeur les menaces sur les marges pesant sur certains secteurs en cas de mise en place de nouveaux droits de douane alors qu’aucun accord n’est encore signé entre Londres et Bruxelles, plongeant la plupart des entreprises dans l’incertitude.
Incertitude sur le nouvel environnement tarifaire
Or, à un peu plus d’un mois de cette échéance, si les entreprises françaises peaufinent leurs derniers préparatifs pour être opérationnels au 1er janvier, elles ne savent toujours pas à quelle sauce fiscale elles vont être mangées.
En effet, comme le rappelle l’étude, « en l’absence d’accord « zéro tarif-zéro quota », une trentaine de produits ou de catégories de produits fortement exportés de la France vers ce pays pourraient subir des droits de douane à l’avenir, sur la base du tarif publié par le Royaume-Uni en mai 2020 et présenté à l’OMC ».
Pour une dizaine d’entre eux, ces droits seraient inférieurs à 6 % et pour une vingtaine, ils seraient supérieurs à 6 %. Au total, 14 milliards d’euros d’exportations françaises au Royaume-Uni (soit 43 % du total des exportations de la France vers ce pays) seraient concernés.
Mais l’accord peut également être partiel et aboutir à l’introduction de droits de douane ou de quotas sur certains produits seulement. Certaines entreprises pourraient supporter de telles taxes, mais « pour d’autres cela ne pourrait se faire sans répercussion sur le client, avec des risques d’atteinte à la compétitivité, de perte de débouchés et de renoncement à la présence sur ce marché » constate l’étude.
En d’autres termes, tant que cette question n’est pas tranchée cette épée de Damoclès tarifaire plane au-dessus du commerce franco-britannique.
Quelle relation post-Brexit ?
Par-delà les difficultés à court terme créées par un retour de la frontière, le Brexit pose des questions sur l’avenir des relations commerciales entre la France et le Royaume-Uni. Et elles sont nombreuses, selon l’étude.
En effet, quelles seraient les conséquences pour les entreprises françaises présentes sur le marché britannique de l’absence d’un accord sur la nouvelle relation économique ?
Quels sont les intérêts des entreprises françaises à prendre en compte dans un accord de libre-échange qui n’atteindrait pas l’objectif de zéro charges – zéros quotas, que cet accord intervienne dès la fin de l’année ou un peu plus tard ?
Enfin, quelle sera l’évolution du débouché britannique en fonction des conditions de commercialisation sur ce marché ?
L’exposition des entreprises varie selon les secteurs.
Automobile, plasturgie, chimie, cosmétiques très exposés
Si le tarif douanier adopté par le Royaume-Uni en mai 2020 venait à être appliqué, les secteurs phares des exportations françaises seraient diversement touchés, selon l’enquête de perception des entreprises menée dans le cadre de cette étude.
Ainsi, l’automobile serait très fortement impactée. « Dans un communiqué du 14/09/2020, l’association européenne des constructeurs automobiles (ACEA) indique que des tarifs douaniers de 10 % pour les automobiles et de 22 % pour les utilitaires ou poids lourds seraient bien supérieurs à la marge de la plupart des constructeurs, ce qui nécessiterait de les répercuter sur le prix de vente, ce qui réduirait le choix pour les consommateurs et impacterait la demande », rappelle le rapport.
L’ACEA estime que l’introduction de droits à 10 % réduirait de 3 millions d’unités sur 5 ans le nombre d’automobiles produites en Europe et au Royaume-Uni, soit une perte de près de 53 milliards d’euros pour les usines britanniques et de près de 58 pour celles de l’Union européenne.
Pour les produits de la plasturgie, un droit de 6 % est prévu, ce qui peut poser un problème de compétitivité face aux fournisseurs locaux. Début 2020, une enquête de la Fédération française de la plasturgie et des composites a montré que 20 % des plasturgistes étaient préoccupés par l’éventuelle introduction de droits de douane.
Pour la chimie, des droits de 4 à 6 % sont aussi significatifs rapportés à la marge des entreprises.
Toujours selon cette enquête de perception, un droit de 4 % pourraient avoir d’importantes répercussions dans le secteur des cosmétiques dans la mesure où le coût du transport vers le Royaume-Uni est élevé et qu’il faudrait le répercuter sur le client. Une option difficile à prendre hors produits de luxe.
Vins, biens d’équipement, plus résistants
En revanche, les secteurs dans lesquels le facteur prix n’est pas aussi déterminant pourraient absorber d’éventuels droits de douane.
L’étude de la CCI Auvergne-Rhône-Alpes rapporte ainsi le cas d’un exportateur de vins IGP qui considère « qu’un droit de 10 £/hl reste encore acceptable, même si cela s’ajoute à une taxe déjà existante à la bouteille ».
La perception d’un exportateur de vêtements outdoor haut-de-gamme est identique, tout comme celle d’une PME produisant des biens d’équipement. Cette dernière considère que « des droits en-deçà de 5 % peuvent être supportés ».
En outre, l’étude souligne que, que même si un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l’Union européenne permettrait d’aboutir à des conditions préférentielles en termes de droits de douane (exemption ou réduction) pour leurs échanges de biens, les produits bénéficiaires devront remplir les conditions des règles d’origine garantissant qu’une part conséquente de leur production a bien été effectuée sur le territoire de ces parties pour bénéficier du régime préférentiel.
Une perte de compétitivité face aux pays tiers ?
Dans le cadre d’un éventuel accord de libre-échange, il faudra donc analyser ces règles d’origine et le processus de certification du respect des règles d’origine présente un coût pour les entreprises. Résultat : les conditions de ventes à l’export seront moins favorables etces produits deviendraient moins compétitifs face à la concurrence des pays hors UE.
« Le gain de compétitivité pour des exportateurs de pays tiers par rapport aux entreprises de l’Union européenne est en général limité », estime le rapport. Ceci étant, cette question peut s’avérer cruciale pour certains produits où la concurrence-prix est intense. Encore une fois la situation varie en fonction des secteurs.
Dans la chimie, par exemple, dans un contexte de surproduction mondiale, la baisse ou la disparition de droits de douane sur certains produits peut renforcer la volonté d’acteurs de pays tiers d’orienter des flux vers le marché britannique. A condition, bien sûr, que la valeur des produits soit compatible avec le coût du transport sur longue distance.
Dans son communiqué du 14/09/2020, l’ACEA notait que l’introduction de droits de douane sur les composants et équipements pour l’automobile en provenance de l’Union européenne pourrait conduire à plus d’importations depuis des pays tiers. Cet effet serait logiquement encore plus fort si dans le même temps, ces importations des pays tiers connaissent une baisse, même limitée, des droits de douane, du fait de la simplification du tarif britannique.
Après le branle-bas de combat pour se préparer au mieux au retour des formalités douanières qui seront bientôt effectives, les entreprises françaises devront ajuster leur politique commerciale en fonction de l’accord, du non-accord ou de l’accord partiel qui sera finalement mis en place. On n’a pas fini d’entendre parler des conséquences du Brexit.
Sophie Creusillet