Souvent vécue comme une contrainte, la transition énergétique liée à la lutte contre le réchauffement climatique peut être un vecteur d’opportunités sur les marchés africains, comme l’a montré la table ronde d’ouverture du 7e Forum Afrique Moci / Cian, intitulée « lutte contre le changement climatique : comment transformer une contrainte en opportunité pour se développer en Afrique ? », organisée le 2 février * à Paris à l’occasion de la publication du Rapport Cian 2018 « Les entreprises internationales et l’Afrique ».
D’autant plus que la problématique de l’Afrique, continent très faiblement émetteur de gaz à effets de serre (GES), n’est pas de réduire ses émissions mais de s’adapter aux effets du changement climatique et de continuer à développer un accès à l’énergie pour ses centres urbains en plein boom et ses zones rurales coupées des grands réseaux de distribution.
Certaines entreprises l’ont bien compris. Total, le géant pétrolier, a ainsi acquis des actifs (Sunpower/panneaux solaires, Saft/batteries…) et investit dans l’économie verte tout en développant une offre de transition axée sur le gaz. Les PME ne sont pas en reste, à l’instar d’EcoAct, un acteur français de référence dans le secteur de la compensation carbone, notamment au Kenya.
D. Julienne : l’Afrique doit éviter « la case charbon »
En matière de climat, l’Afrique subit ce que Pierre Jacquemot (notre photo) n’a pas hésité à désigner comme « une injustice » : bien que n’étant émettrice que de 1 % à 2 % des GES mondiaux, la voilà qui « paye et paiera encore un lourd tribut au dérèglement climatique », s’est désolé ainsi le président du Gret-Professionnels du développement solidaires, une ONG internationale. Et de citer les inondations qui menacent les bandes côtières du Golfe du Bénin et le risque que fait porter l’élévation du niveau du fleuve Sénégal sur l’avenir de la ville histoire de Saint-Louis.
De façon générale, ce que l’on constate, a indiqué Pierre Jacquemot, « ce sont des rendements agricoles en baisse très sensible, un niveau de la mer qui s’élève ou encore un impact important sur la santé des populations ».
Dans ces conditions, « il faut surtout que le continent évite la case charbon et, parallèlement, accélère son électrification », a jugé Didier Julienne, cadre-dirigeant de sociétés minières et conférencier expert des marchés de matières premières minérales et métallurgiques. Selon lui, pour apporter de l’électricité, il faut d’une part, prévoir « des mini-réseaux adaptés à la ruralité africaine » et, d’autre part, « s’engager dans l’électrification de masse ».
Dans le premier cas, on peut imaginer des mini-réseaux hybrides avec une partie solaire. Dans le deuxième cas, précisait Didier Julienne, « nous devons imaginer ce que seront les villes modernes, les cités de plus de 10 millions d’habitants. On verra des villes intelligentes. Et l’énergie qui sera utilisée proviendra de l’hydroélectricité et du gaz ». Pour autant, a-t-il ajouté, « il ne faut pas oublier que ce n’est pas seulement le soleil et le vent qui font l’électricité, mais aussi les métaux utilisés dans les turbines, les moyens de transport et de stockage, et donc toute une série de batteries et d’appareillages ».
C. Le Blan (Total) : « donner accès à un gaz pas cher »
En attendant, les entreprises françaises adaptent d’ores et déjà leur offre et leur stratégie. Total s’est ainsi engagé à éliminer à terme le torchage de routine. Mais pas seulement. Elle mise sur la promotion d’un mix énergétique dont le gaz, moins polluant que le pétrole, pourrait faire partie. « Nous voulons donner accès à un gaz pas cher pour battre le charbon et livrer des solutions pour le transport qui est onéreux. On prévoit ainsi de doubler la capacité électrique en dix ans en Afrique et, pour respecter le niveau de sécurité de deux degrés [NDLR : qui est la limite du réchauffement climatique mondial, établie à Paris lors de la Cop 21], de créer de la capacité en énergie renouvelable – hydroélectricité, géothermie ou solaire – et en gaz », a expliqué Christophe Le Blan, Project director gas & renewable power du groupe pétrolier français.
Pour remplir de tels objectifs, il convient d’inventer des solutions innovantes moins onéreuses. Des progrès ont déjà été réalisés : le coût d’un terminal gazier qui était de un milliard de dollars en moyenne a beaucoup baissé avec la mise en place de terminaux flottants, au demeurant moins nocifs pour l’environnement.
C’est le cas en Côte d’Ivoire, où le groupe français investit dans un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL). Ce pays a besoin de doubler sa capacité d’ici 2020, alors même que sa production de gaz est en déclin. D’où l’idée d’alimenter les centrales électriques du pays avec un GNL peu cher et moins polluant que le charbon. Total, à la tête d’un consortium international, s’est vu confier la réalisation d’un terminal de stockage et regazéification du GNL. « Le projet est en phase d’étude finale. Le projet ivoirien est de l’ordre de 120 millions d’euros et on va pouvoir fournir en gaz pendant vingt ans les usines ivoiriennes », a encore révélé Christophe Le Blan.
M. Flahault (Air France-KLM) : « 11 % des GES éliminés »
Pour sa part, Air France-KLM développe un plan climat. Étalé sur une quinzaine d’années, il se décline selon quatre axes : réduire la consommation et moderniser la flotte, travailler sur les biocarburants, apporter des progrès dans la protection de l’environnement, par exemple, la reforestation à Madagascar, et mobiliser le personnel autour de ces objectifs.
« Depuis 2011, nous avons éliminé 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Notre ambition est de passer à 20 % d’ici 2020 », a souligné Manuel Flahault, le directeur commercial de la compagnie aérienne. Air France-KLM s’est, par ailleurs, lancé dans la responsabilité sociale et environnementale (RSE).
« Nos partenaires africains sont intéressés par notre expertise dans ce domaine. C’est pour nous un moyen de différenciation avec certaines compagnies aériennes africaines ou du Golfe », a insisté Manuel Flahault. « C’est un must, on est attendu là-dessus », a confirmé Christophe Le Blan, selon lequel il convient d’englober dans la RSE divers domaines, allant de l’éducation à la sécurité, en passant par l’appui aux startups africaines.
D’autres pratiques que la RSE permettent de promouvoir une énergie propre. C’est le cas de la certification, a indiqué Pierre Jacquemot, qui a salué l’engagement du groupe Rougier dans le secteur forestier en Afrique sur ce sujet. La compagnie française, s’est-il réjoui, « a développé un modèle responsable et a été à l’initiative de nombreuses mesures ». Par la certification, Rougier apporte des garanties de légalité et de traçabilité sur l’origine des bois à des clients attentifs.
T. Fornas (EcoAct) : « nous revendons au quart du prix normal »
Un autre système est la compensation carbone dans le cadre du marché des crédits carbone. Le français EcoAct accompagne ainsi 300 000 familles kényanes dans une démarche responsable. En remplaçant leurs foyers rudimentaires par des foyers améliorés en céramique qui limitent la consommation de bois, le projet à permis de réduire aussi de moitié les émissions de CO2.
« Nous sommes allés voir un manufacturier, qui a créé une usine avec 35 personnes. Nous payons la fabrication et revendons aux foyers au quart du prix normal. C’est compensé par le financement de crédits carbone », a relaté Thierry Fornas, cofondateur et président d’EcoAct. Cerise sur le gâteau, cette action, dans un des pays les moins boisés d’Afrique subsaharienne, s’accompagne d’un programme de reforestation.
François Pargny
* Forum Afrique Moci / Cian 2018 : pourquoi le coût du risque diffère selon les pays
Pour prolonger :
– Afrique / Export : quand l’AFD allie développement et appui aux sociétés françaises
–Énergies renouvelables : le SER et l’Ademe publient une cartographie inédite des réalisations françaises à l’export
–France / Afrique : Europe, jeunesse, diplomatie économique, trois priorités d’E. Macron
– France / Afrique : E. Macron et R. Kaboré inaugurent la plus grande centrale solaire ouest-africaine
Et aussi
–Rapport Cian 2018 / Les entreprises internationales et l’Afrique
– Le Guide Moci « Où exporter en 2018 ? » avec plusieurs pays africains : Maroc, Égypte, Nigeria, Sénégal