Papy boom et explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication stimulent la demande de jeunes diplômés multilingues qualifiés. Des gisements d’emploi existent dans les instances internationales et les entreprises.
« Rien que pour la Commission européenne, 200 interprètes de conférence de langue maternelle française devront être recrutés dans les prochaines années, estime Marie Mériaud-Brischoux, directrice générale de l’Institut de management et de communication interculturels (Isit). »
La direction générale de la traduction de la Commission européenne a donc créé un réseau d’écoles et d’universités labellisé European Master in Translation (EMT, niveau bac + 5) pour former leurs futures recrues. Seules 34 formations européennes – soit un tiers des candidatures – ont répondu à ses exigences qualitatives, la France représentant le plus gros contingent avec huit programmes (voir encadré ci-dessous).
En effet, les institutions de l’Union européenne, traditionnellement gros recruteurs de traducteurs et d’interprètes, perdront près de la moitié de leurs interprètes de conférence francophones d’ici à 2020 du fait des départs à la retraite. Face à cette pénurie annoncée, la Commission européenne, le Parlement européen et la Cour de Justice de l’Union européenne ont sensibilisé à tour de bras dans le secondaire en 2009-2010. « Les enjeux pour la France sont considérables, rappelle Marie Mériaud-Brischoux. Car si on manque d’interprètes et de traducteurs francophones de haut niveau, le français sera de moins en moins utilisé dans les grandes organisations internationales. Tout sera alors véhiculé par la culture anglo-saxonne, avec les risques de déperdition culturelle et économique que cela implique. » Or, il faut cinq années pour former un traducteur et huit pour un interprète de haut niveau.
De même, l’ONU a mis en place un mémorandum de coopération renforcée avec 18 universités dans le monde afin de remédier au sous-effectif de traducteurs au secrétariat des Nations Unies. En France, deux écoles de traduction, l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (Esit) et l’Isit ont été sélectionnées par l’organisation. Celle-ci leur détache des professionnels pour préparer les étudiants aux spécificités onusiennes – notamment une langue diplomatique très codée – avant de les accueillir en stage de pré-recrutement.
« Il y a cinq ans, je croyais que les débouchés dans les métiers de la traduction et de l’interprétation allaient diminuer, et que l’anglais éclipserait les autres langues. Mais ce n’est pas le cas », indique Isabelle Dujet, responsable de la filière traduction spécialisée et interprétation de liaison (Tsil) au sein de l’École supérieure de traduction et relations internationales (Estri, école professionnelle au sein de l’Université catholique de Lyon). C’est justement pour répondre à la demande des entreprises que l’Estri a développé cette filière, sachant que l’interprétation de liaison – typiquement utilisée lors des réunions d’affaires et des visites à l’étranger –, implique une
maîtrise parfaite des deux langues. En deux ans après la licence (bac + 5), les jeunes diplômés sont donc formés pour être traducteurs-interprètes à partir de deux langues (anglais-allemand, anglais-espagnol ou anglais-italien) vers le français et dans divers domaines de spécialité (technique, juridique, médical, financier, multimédia…). Ils sont ensuite recrutés par les agences de traduction et les services communication ou marketing des entreprises ou travaillent en free-lance.
La recherche offre également un créneau, car la traduction apparaît de plus en plus comme un facteur clé de compétitivité. À ce titre, le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, a annoncé, le 2 février 2011, sur le salon Expolangues, la mise en place en partenariat avec le CNRS d’un programme massif de traduction des revues de sciences humaines françaises vers
l’anglais afin «d’améliorer la visibilité internationale de notre production ».
« Nous avons décidé de nous adapter au marché du travail et, chaque année, nous faisons le point, explique Isabelle Dujet. Dès la rentrée 2011-2012, l’offre de formation de l’Esri s’enrichira. Ainsi, le parcours Management interculturel et communication événementielle (Mice, niveau master, bac + 5), destiné à former des chargés de projets dans cette spécialité, se déclinera en version anglais-arabe, complétant celles qui existaient déjà : anglais-allemand, anglais-espagnol et anglais-italien. Autre nouveauté, également au niveau master, le parcours relations publiques franco-chinoises (RPFC) formera des conseillers avec spécialité anglais-chinois.
Les nouvelles spécialisations de la traduction (qu’elle soit technique, juridique ou financière, médicale, littéraire ou
spécialisée, par exemple rédactionnel, sous-titrage, marketing, etc.) et la localisation web – adaptation pour un marché local de logiciels et d’applications (voir « Trois questions à » ci-dessous), en pleine expansion, procurent de plus en plus d’emplois. Là comme ailleurs, l’expertise culturelle est requise. « Une langue commune peut être une source d’erreur, prévient Marie Mériaud-Brischoux. Tout le monde pense parler anglais, mais le même mot ne recouvre pas la même signification selon que c’est un français ou un allemand qui l’emploie. »
Une ombre hypothèque toutefois l’avenir des jeunes diplômés, dénonce un professionnel du secteur : le recours à moindre prix et au détriment de la qualité, notamment par de grandes agences internationales, à des équipes localisées dans les pays émergents.
Sylvette Figari
Les masters européens en traduction (EMT) labellisés par la Commission européenne en France
Les universités et établissements d’enseignement supérieur ci-dessous proposent une formation en traduction de niveau master conforme aux critères de qualité fixés par la Commission européenne. Les formations satisfaisant à ces critères deviennent membres du réseau EMT.
• Industrie de la langue et traduction spécialisée, université Paris Diderot Paris 7, UFR EILA
• Master en management, communication et traduction, Isit, Institut de management et de communication interculturels (Paris)
• Master en traduction spécialisée multilingue : technologies et gestion de projets (TSM), université Charles-de-Gaulle Lille 3, UFR des langues étrangères appliquées
• Master en métiers de la traduction-localisation et de la communication multilingue et multimédia, université Rennes 2, UFR Langues, centre de formation des traducteurs-localisateurs, terminologues et rédacteurs
• Master professionnel, spécialité : traduction éditoriale, économique et technique, Esit, université Sorbonne nouvelle – Paris 3
• Master professionnel traduction interprétation, université de Toulouse-Le Mirail, IUP traduction interprétation
• Master traduction spécialisée multilingue, université Stendhal-Grenoble 3, UFR de langues et civilisations étrangères