Les entreprises veulent des cadres à forte coloration internationale, capables de conduire des projets avec des équipes multiculturelles. Le marché de la formation a intégré cette évolution.
Areva, EADS, Siemens, Framatone, Vallourec… rares sont les acteurs de la coopération franco-allemande à ne pas être passés entre les mains de Jean Pateau, dirigeant-fondateur du cabinet Pateau Consultants. Lorsqu’il crée sa société de conseil dans le domaine interculturel en 1992, il ne se doute pas qu’il prend une avance énorme sur ce marché. Le cabinet a été porté à la fin des années 1990 par la vague des grandes fusions industrielles franco-allemandes. Il poursuit aujourd’hui son travail avec les mêmes clients mais, cette fois, pour les amener à collaborer avec de nouveaux partenaires : la Chine, l’Inde, l’Europe de l’Est. Ou les États-Unis que le taux de change euro/dollar a rendus plus accessibles. En juillet dernier, il a accompagné Vallourec – son client depuis 1997 (fusion avec Mannesmann) – outre-Atlantique où le groupe a racheté trois sociétés américaines. Une trentaine de cadres du management ouvriront le feu pour être formés au management interculturel. Le reste des équipes suivra plus tard, mais seulement « celles qui, au quotidien, devront sortir de leur confort pour avancer ». Car, selon Jean Pateau, les entreprises sont très attentives au retour sur investissement et il ne s’agit pas de faire de l’interculturel à tout crin.
Elles veulent recruter « des cadres à forte coloration internationale, capables de conduire des projets et de travailler avec d’autres cultures », comme le constate Jean-Michel Viot, directeur de l’Institut catholique d’arts et métiers de Toulouse (Icam). « De nos jours, constate-t-il, envoyer un étudiant à l’étranger ne suffit plus à le préparer à l’international. » C’est pourquoi, après 25 ans passés à mettre en place des partenariats avec ses homologues à l’étranger – une trentaine d’universités à ce jour –, l’École d’ingénieurs de Toulouse est passée à la vitesse supérieure en nouant des partenariats en Afrique centrale, en Pologne et tout récemment avec le très réputé Collège de Loyola en Inde. Ce dernier a carrément débouché sur la création conjointe d’une école d’ingénieurs, le Loyola College of Engineering and Technology (LCET), dans la province du Madurai. Ce projet vise l’échange de professeurs et d’étudiants de deux pays. En effet, « depuis cinq ans, les responsables pédagogiques de notre établissement ont réalisé que les cursus en commun étaient beaucoup plus solides car, pour créer des programmes communs, nous avons dû préalablement apprendre à nous connaître. » Quand un étudiant est intégré pendant trois ans dans un établissement qui a noué des partenariats forts, cela rejaillit sur la culture même de l’établissement et bénéficie à l’étudiant pendant toute la durée de sa scolarité. Le nouvel établissement auréolé de la réputation de professionnalisme de l’Icam et de qualité académique de Loyola propose des programmes de type bachelor (en quatre ans en Inde contre trois en France). « Certains de nos étudiants français vont passer là-bas deux semestres, en immersion parmi les 600 élèves indiens, dont 60 viendront passer deux années en France pour obtenir notre grade de master (diplôme d’ingénieur). » « Nous répondons ainsi à la demande des entreprises en formant chaque année une trentaine (sur 600 diplômés) d’ingénieurs français connaissant la culture indienne et une soixantaine d’ingénieurs indiens connaissant la culture française, tous formés à l’entreprise et capables de travailler ensemble. »
Ce croisement des cultures va dans le sens préconisé par Marie Mériaud-Brischoux, directrice depuis 2001 de l’Institut de management et communication interculturels (Isit), anciennement Institut supérieur d’interprétariat et de traduction : « Toutes les entreprises se trouvent dans l’obligation de faire travailler ensemble des équipes multiculturelles. Mais derrière l’utilisation de la langue véhiculaire, les cultures des différents pays sont toujours là. C’est pourquoi nos étudiants apprennent à traduire l’implicite », indique-t-elle. Cette réalité a conduit les métiers traditionnels de la traduction à évoluer en s’invitant dans des fonctions de marketing, de négociation ou de management auxquels ils ont apporté une nouvelle dimension. Un dépoussiérage en règle des métiers de la traduction et de l’interprétation, que l’Isit a entériné en changeant de nom.
C’est sous son impulsion que le master européen en traduction spécialisée (METS) a vu le jour, en partenariat avec six autres écoles : Institut supérieur de traducteurs et interprètes (Isti) de la Haute école Communauté française de Bruxelles, Institut libre Marie Haps (ILMH) de la Haute école Léonard de Vinci, Lessius Hogeschool, institut de langues vivantes (IPLV) de l’Université catholique de l’Ouest, Universität Leipzig et Universitat Pompeu Fabra. Ce cursus propose aux étudiants traducteurs une année de spécialisation et de professionnalisation interculturelle sous la forme d’un programme original garanti par les critères d’« exigence qualité » établis par les partenaires. La formation se déroule sur un an sous la forme de deux semestres dans deux des universités partenaires à condition qu’ils soient situés dans deux pays différents : 21 possibilités de parcours ont été recensées. De quoi répondre aux demandes les plus fines des recruteurs.
Sylvette Figari