« Les entreprises ont ressenti la nécessité de développer les langues bien avant le système éducatif », commente Laurent Bazin, directeur de l’Institut des langues et des études internationales (ILEI) de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
Résultat, elles mettent la pression au niveau du recrutement. De plus en plus souvent, elles demandent des certifications ou soumettent les candidats à des tests de niveau, comme animer une réunion en anglais ou dans toute autre langue de travail requise par le poste. « La France a longtemps cru qu’elle gagnerait la bataille contre l’anglais. Elle doit mettre les bouchées doubles pour rattraper son retard », indique Laurent Bazin.
C’est le sens de la mission que la présidente de l’université lui a confiée. « Aujourd’hui, que ce soit en formation initiale ou continue, les langues ne sont plus seulement une valeur ajoutée, mais un marqueur de réussite ou d’échec dans le premier emploi. C’est dans cette optique que nous avons créé la licence d’Études européennes et internationales (LEEI) et du master Études interculturelles et mondialisation (EIM), en cours de validation. »
Mais il faut aller plus loin encore. Et d’ajouter : « Travailler à l’international, obtenir un marché, gérer une réunion à l’international, s’implanter à l’étranger… exige non seulement de parler mais de connaître la culture du pays ciblé. Pour travailler avec des Japonais, il faut maîtriser des compétences que ne connaissent pas les Occidentaux et aussi les usages locaux de la langue des affaires. »
Les grandes écoles – à la différence de l’université – l’ont bien compris qui ont fait des langues un facteur de leur internationalisation. Elles ont également facilité l’accès à Erasmus, plébiscité par les étudiants français. Les écoles d’ingénieurs ont également élevé leur niveau d’exigence. David Horner, responsable des langues à Ensae Paristech explique que, dans son école, l’anglais est obligatoire et qu’un niveau de 750 points au TOEIC (Test Of English for International Communication) conditionne l’obtention du diplôme. Et l’école va plus loin en rendant « obligatoire l’étude d’une seconde langue étrangère en première et deuxième années et fortement encouragée en troisième année ».
Au niveau européen également, les entreprises perdent des marchés à cause de leur manque de compétences linguistiques. C’est ce qu’il ressort d’une étude – datée mais très consultée – commandée en 2005 par la Commission européenne : Elan (acronyme anglais pour Incidences du manque de compétences linguistiques des entreprises sur l’économie). Cette remarque se vérifie notamment pour les PME européennes exportatrices : 11 % d’entre elles (sur quelque 2 000 interrogées) ont attribué à un défaut de compétences linguistiques un manque à gagner qui peut dépasser plusieurs millions d’euros. Afin d’accélérer le développement des compétences linguistiques dans les entreprises européennes, la Commission européenne a activé depuis janvier 2011 et pour 24 mois le projet Celan – « Réseau pour la promotion des stratégies linguistiques pour la compétitivité et l’emploi ». Celan réunit les organisations membres de la « Plate-forme des entreprises pour le multilinguisme » que la même Commission a constituée pour appliquer ses préconisations.
De leur côté, les grandes entreprises sont plus nombreuses à avoir intégré la diversité culturelle comme facteur de performance. Mais la question reste d’actualité, comme en témoigne la conférence annuelle de la délégation Bruxelles-Europe de DLF (association Défense de la langue française) qui s’est tenue le 30 novembre 2010 sur le thème : « Des langues pour gagner des marchés, enjeu économique, enjeu social ».
Évoquant à cette occasion la politique des langues dans le groupe Suez qu’il représentait, Jacques Spelkens a démontré comment, avec 200 000 employés répartis dans 60 pays, le groupe gère la diversité linguistique comme un atout de compétitivité plutôt que comme un problème de coût. Il a également mis en avant que l’anglais ne suffit pas pour les implantations à l’étranger car la pratique de la langue locale constitue, non seulement un avantage compétitif, mais aussi une économie en termes de traduction.
Sylvette Figari
La situation en Europe
• Plus de 52 % des entreprises réalisent au moins 50 % de leur chiffre d’affaires avec une clientèle non francophone.
• 40 % des entreprises perdent des contrats par manque de multilinguisme.
• Le travail d’un salarié sur quatre implique de parler ou d’écrire une langue étrangère.
• Le travail d’un salarié sur trois implique de lire et de comprendre une langue étrangère.
• 41 % des PME prévoient d’augmenter leurs compétences linguistiques dans les années à venir.
(Source : Commission européenne, 2005)