Lancer un « Manifeste pour un renouveau de l’exportation française »* en pleine crise sanitaire, le 25 janvier, comme le fait le Think Tank la Fabrique de l’exportation peut paraître surprenant. Mais c’est la vocation d’un Think Tank de lancer des réflexions sur un temps plus long que les urgences, alors que la Covid-19 a déjà bouleversé bien des pratiques du commerce international. Pour les auteurs, le moment est peut-être, au contraire, bien choisi, car le sujet, c’est rien de moins que la PME exportatrice du futur. Revue de détails.
« Le plan de relance export fournit une réponse tactique aux besoins des entreprises pour se maintenir dans le jeu. Mais il faut aller plus loin, aider les exportateurs à prendre conscience que les règles du jeu changent, à faire face aux transformations profondes qui affectent le commerce international, à s’y adapter très vite » pose d’emblée Etienne Vauchez, fondateur de la Fabrique de l’exportation et ancien président de l’OSCI, la fédération des professionnels de l’accompagnement export et du négoce. Une figure de l’écosystème de l’accompagnement export français, côté privé.
« L’absence d’export devient plus risquée que l’export »
Une chose est certaine, selon cet ancien président de l’OSCI : « L’absence d’export devient plus risquée que l’export, car le marché domestique n’apporte plus la résilience qu’il a pu fournir par le passé ». Une conviction partagée par les experts qui ont planché avec lui sur ce document (téléchargeable à la fin de cet article).
Pour lui, l’idée que l’on se fait de la PME exportatrice en France doit changer drastiquement : « L’archétype de la PME ou l’ETI exportatrice, ancré dans notre culture française, à savoir une entreprise qui fait entre 10 et 30 % de son chiffre d’affaires à l’international qui est présente dans deux ou trois pays au maximum et continue à centrer ses décisions essentiellement par rapport à son marché domestique, ne fonctionne plus », estime Etienne Vauchez.
Quelle est donc cette PME exportatrice du futur ?
La réponse est radicale : « Ce sont les entreprises qui prennent leurs décisions en fonction de leur stratégie globale qui s’en sortent le mieux, celles qui sont présentes dans 10 pays et plus, qui savent utiliser non pas un mais plusieurs modes d’entrée, qui apprennent de chaque marché : lors de cette crise elles ont pu s’appuyer par exemple sur les marchés qui repartaient lorsque l’Europe s’est arrêtée, et aujourd’hui ce sont elles qui repartent très fort ; elles incarnent selon moi le modèle de PME ou ETI exportatrice de la décennie à venir ».
Ce manifeste reprend des réflexions déjà engagées lors de l’Université d’été de l’Internationalisation des entreprises (UEIE), dont la Fabrique de l’exportation est le coorganisateur avec des organisations professionnelles (OSCI, Medef International, CCEF, CCI …), et dont la deuxième édition s’est tenue en format 100 % digital en juillet 2020. Fruit de quatre mois de gestation, il a mobilisé un groupe d’une dizaine de professionnels et experts membres de La Fabrique de l’exportation, une vingtaine supplémentaire ayant apporté des commentaires pour l’enrichir et l’améliorer.
L’objectif est de partager une vision, et de susciter la réflexion indépendamment des chapelles.
« L’idée, avec ce manifeste, est de provoquer le débat, de lancer une réflexion stratégique sur la manière dont les entreprises peuvent s’adapter aux transformations en cour du commerce international, explique Etienne Vauchez. Pour retravailler sur le ‘comment’ de notre exportation. Nous avons testé cette idée auprès d’acteurs de l’écosystème de l’accompagnement export, y compris ceux qui participent au groupe de travail Solex, qui a inspiré le plan de relance export : tout le monde a le sentiment que c’est le bon moment ; mais maintenant il faut trouver la solution pour les entreprises soient au cœur de cette initiative, car c’est elles qui doivent s’emparer ce sujet, directement et avec leurs organisations ».
Basculement vers l’Asie, digitalisation, partenariats, décarbonation…
Les changements profonds qu’Etienne Vauchez évoque résultent de l’accélération, durant la crise sanitaire mondiale liée à la Covid-19, de phénomènes déjà à l’œuvre depuis plusieurs années. Le Manifeste en dresse les principales manifestations dans son diagnostic de départ :
-le basculement du « barycentre » du commerce international vers l’Asie où les entreprises françaises sont insuffisamment présentes, et le développement de blocs régionaux de commerce,
-la digitalisation massive des pratiques de prospection et de vente internationales,
-la nécessité pour les entreprises de nouer des partenariats pour maintenir leur présence locale dans le contexte de restrictions aux voyages,
-la montée en puissance des préoccupations environnementales et notamment de la question de la décarbonation des chaînes de valeur, dont le projet européen de taxe carbone aux frontières est une illustration.
Face à ces changements, les entreprises ne savent pas toujours comment réagir : « j’ai rencontré lors de réunions organisés ces derniers mois par des fédérations des dirigeants et des responsables export qui ont tout compris, adaptent les pratiques de leurs entreprises et s’en sortent très bien ; mais il y a ceux, assez nombreux, qui hésitent à remettre en cause leur organisation export, ou qui ne savent pas par où commencer pour s’adapter » témoigne Etienne Vauchez.
Et ce constat est partagé par nombre de spécialistes de l’accompagnement export. Les auteurs du Manifeste, pour leur part, estime qu’il faut aider ces entrepreneurs à relever quatre grands défis pour s’en sortir.
Quatre défis à relever
Le document de 39 pages dresse ainsi un panorama synthétique et très concret des actions à mener autour de ces quatre grands défis à relever.
1er défi : « Investir les terrains où se jouera la croissance des années 2021-2030 » avec comme cibles géographiques prioritaires « les pays qui tireront la croissance mondiale » (Asie, Chine et peut être Inde, Etats-Unis, Indonésie, Turquie, Brésil, Egypte, Russie, Japon, Allemagne). Il s’agira aussi d’évaluer « les conséquences de la possible ‘régionalisation’ du commerce mondial », d’explorer « toutes les possibilités ouvertes par la digitalisation », de « gagner le défi des exportations décarbonées » et « adapter ses modes d’entrée à ces nouveaux terrains ».
2e défi : « Monter en gamme dans nos stratégies et nos compétences internationales », notamment en privilégiant des stratégies « qui permettent de se déployer sur un grand nombre de pays », « à plus forte valeur ajoutée », en investissant dans « l’accroissement des compétences internationales des acteurs de l’export » et en créant « un réseau de compétences internationales autour de l’entreprise ». Il s’agit aussi d’investir dans la formation initiale en « International Business”.
3e défi : « Mettre la coopération inter-entreprises au cœur de la démarche d’internationalisation » avec l’objectif que chaque entreprise puisse se positionner entre trois choix : « faire (seul) », « faire faire (par un tiers) » ou « faire avec (un ou des tiers »). Il faut favoriser « le recours à l’exportation collaboratives » et ses outils (et notamment créer un nouveau type de contrat : « contrat d’exportation collaborative »), mais aussi diffuser « le savoir-faire lié à la coopération inter-entreprises dans l’écosystème de l’exportation ».
4e défi : « Construire un récit moderne du commerce international français » en commençant par la redéfinition de « l’archétype de la PME exportatrice» : cette PME exportatrice du futur et, selon le document, « une entreprise positionnée sur une niche, qui agit au niveau mondial, pense et organise son développement en fonction du marché international ». Il s’agit aussi d’améliorer « la reconnaissance sociale des acteurs de l’exportation » et d’activer davantage « la marque France ».
Prochaine étape, des états généraux
Pour les auteurs de ce Manifeste, pas de doute, cette crise sanitaire mondiale crée une opportunité pour les entreprises françaises de reprendre des parts de marché d’autant que, contrairement à certaines de leurs concurrentes, elles bénéficient d’un soutien financier non négligeable de la part de l’Etat et sont donc encore à flots, en termes de cash et de ressources humaines, pour donner un coup d’accélérateur lors de la reprise.
La digitalisation des pratiques est peut-être également une aubaine, même si elle nécessite l’acquisition de nouvelles compétences : « L’internationalisation est devenue plus rapide avec la généralisation des outils digitaux qui permettent de réduire les déplacements, de communiquer et de vendre plus facilement » confirme Etienne Vauchez.
Dans un premier temps, la Fabrique de l’Exportation va diffuser au maximum le manifeste afin de recueillir des réactions, des soutiens et des signatures, « par mail ou via les réseaux sociaux comme LinkedIn ».
Etape suivante : parvenir à l’organisation d’états généraux dans l’année, avec les organisations qui le souhaitent, pour cristalliser les débats et déboucher sur une feuille de route. « Nous souhaitons d’abord que tous les gens concernés, en premier lieu les entrepreneurs, donnent leur point de vue » assure Etienne Vauchez.
A court terme, rendez-vous est pris pour le 2 février, pour une présentation du manifeste au Club des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCE), avec Alain Bentéjac, président des CCE et Alexandre Pébereau, président du Club des CCE.
Christine Gilguy
*Pour télécharger le Manifeste, cliquer sur le fichier attaché à cet article ci-après.