« Il faut que les produits français repartent à la conquête du monde ». En martelant cette phrase, Bruno Le Maire a voulu rappeler avec force, le 21 février, dans son intervention en clôture de la plénière de Bercy France Export, que la croissance des exportations est bien un objectif prioritaire pour le ministère de l’Economie et des finances. L’export « est au cœur de la stratégie économique que nous avons développé avec le président de la République et la majorité » a développé le ministre, clairement « une stratégie d’offre », qu’il s’agit de « muscler » et de « faire monter en qualité ». « L’export est le débouché naturel de notre stratégie économique » a-t-il encore affirmé.
Le moment était bien choisi : plus de 600 participants s’était pressés cette année à cet événement phare pour l’écosystème du commerce extérieur français, où l’on dresse le bilan des dispositifs d’aide à l’export, où l’on annonce les nouveaux objectifs, et où l’administration se met à l’écoute des attentes des exportateurs. Cette année, il s’agissait en l’occurrence de faire un point d’étape sur la mise en œuvre de la nouvelle stratégie pour le commerce extérieur lancée presque un an jour pour jour par le Premier ministre Edouard Philippe à Roubaix, le 23 février 2018, avec un train de réformes touchant tout autant le dispositif d’accompagnement que les outils financiers.
C’était d’ailleurs tout le sens du changement sémantique introduit dans le titre de l’événement pour cette 5ème édition : Bercy France Export au lieu de Bercy Financement Export. Une façon aussi de mettre les orientations suivies par ce ministère en cohérence avec la stratégie de la nouvelle équipe de France de l’accompagnement export –« Team France Export »– dans le cadre du plan Philippe. Une table ronde a d’ailleurs été consacrée à un bilan d’étape de cette réforme en fin de matinée, avec notamment Bertrand Dumont, directeur général adjoint du Trésor, Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, Pedro Novo, directeur exécutif export de Bpifrance, Renaud Lassus, chef du service économique régional à Washington et Clémentine Gallet, P-dg de la PME industrielle Coriolis.
Banquiers, assureurs, institutionnels, opérateurs… De nombreux responsables d’entreprises, avaient donc répondu massivement à l’invitation, obligeant les organisateurs à refuser du monde. L’horaire avait été spécialement aménagé –commençant plus tard dans la matinée – pour permettre à davantage de PME venue de province de pouvoir y assister sans avoir à assumer les frais d’une nuit d’hôtel.
Un contexte favorable, une PAC volontariste
Le contexte est favorable : le commerce extérieur français donne des signes d’amélioration, certes encore timides, mais réels. Le déficit commercial qui se stabilise en-dessous des 60 milliards d’euros (-59,9 Md EUR), comme l’a dévoilé le 7 février le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Jean-Baptiste Lemoyne, et un déficit hors pétrole qui est en recul (-28 Md EUR au lieu de -32 Md EUR). La contribution des exportations à la croissance du PIB français a été positive pour la seconde année consécutive avec +0,6 point en 2018 (+ 0,1 pont en 2017) a rappelé Bruno Dumont, en début de matinée. De fait, avec des taux de croissance de 4,5 % en 2017 et 3,8 % en 2018, les exportations ont progressé plus vite que les importations ces deux dernières années.
La volonté de maintenir une politique de soutien à l’export très volontariste et très ouverte est manifeste dans le discours mais aussi dans la carte de la politique d’assurance-crédit (PAC) export 2019, en ligne sur le site Internet de la DG Trésor et désormais interactive, avec la possibilité d’obtenir le détail des capacités et des conditions d’un simple clic sur le pays.
Restrictions sur 4 pays, assouplissement sur 7 pays
Sur une carte assez largement dominée par le vert (ouverture sans restriction) et le jaune (ouverture sous conditions), rares sont les pays frappés du rouge, où aucune garantie d’Etat n’est possible. Seul Etat à avoir rejoint, en 2019, cette catégorie, où figure des pays comme la Corée du Nord, la Syrie ou l’Afghanistan : le Nicaragua, en raison d’une situation politique, économique et financière fortement dégradée.
Trois autres pays se voient appliquer des restrictions moins sévères : l’Equateur et la Sierra Leone, ouverts pour les acheteurs souverains et non-souverains sous condition de cofinancement multilatéral ; et l’Ethiopie, qui a atteint sa limite d’endettement non-concessionnel (ouvert au non-souverain mais pour le souverain, que sous condition de cofinancement multilatéral).
Mais sept pays ont vu leurs conditions assouplies : Arménie (ouvert mais avec vigilance) ; Népal (ouvert au souverain et non-souverain sous condition de cofinancement multilatéral) ; Mauritanie et Niger (déjà ouvert au non-souverain, désormais ouverts aux acheteurs souverain sous condition de cofinancement multilatéral) ; et enfin Guyana, Jamaïque et Rwanda (ouverts sans condition).
La politique d’aide-projet (prêts directs du Trésor, fonds de financement d’études FASEP) est également très ouverte : si elle est fermée sur le Nicaragua et est désormais restreinte sur l’Equateur et l’Ethiopie, elle s’est ouverte ou assouplie sur 5 pays : Suriname, Mauritanie, Népal, Niger, Sierra Leone.
« Je suis un ministre de l’Economie qui prend beaucoup de risques à l’export » a estimé Bruno Le Maire. Ce volontarisme dans le soutien aux projets export des entreprises françaises se confirme donc dans la carte de la PAC 2019.
Le lien entre industrie et export
S’étant peu exprimés jusqu’à présent sur la stratégie en matière de soutien à l’exportation, l’occasion de Bercy France Export était rêvée, pour les ministres de Bercy, de rappeler qu’ils y sont plus qu’attentifs.
Car il est un fait que la loi Pacte, que Bruno Lemaire a porté toute l’année 2018, comporte peu de mesures spécifiques sur l’export : elle valide simplement une réforme de l’accompagnement (les « guichets uniques » de la Team France Export) qui avait été initiée dès l’été 2017 sous l’impulsion du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en charge du Commerce extérieur, avant d’être validée par ce dernier et son collègue de Bercy, en novembre. Et c’est le Premier ministre lui-même, Edouard Philippe, qui avait lancé les réformes fondamentales de la stratégie de soutien au Commerce extérieur en février 2018, qu’il s’agisse des « guichets uniques » ou des nouveaux instruments financiers de Bpifrance.
Il fallait donc raccorder plus clairement la politique de Bercy aux priorités du commerce extérieur. La secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, Agnès Pannier-Runacher, a précédé Bruno Lemaire dans cette voie à la tribune, en évoquant le lien entre la politique de ré-industrialisation des territoires mise en œuvre actuellement par son ministère, et l’export : « Nous sommes trop habitués à ce que le mot France ne rime plus avec export », a-t-elle déploré. Face au mouvement des « Gilets jaunes », il faut « réimplanter de l’emploi », « réindustrialiser les territoires », et c’est « de l’emploi qui doit être porté par l’exportation ».
A coup de mesures d’allègement des coûts et de politique de soutien à l’innovation et à la modernisation de la production, il s’agit de faire redécoller les exportations industrielles françaises grâce à «des offres plus compétitives ».
Le Pass Export « est un échec »
Une fois cette cohérence stratégique rappelée, reste l’action concrète. Bruno Le Maire a également été clair sur sa vision des priorités : « nous sommes à votre service, nous sommes là pour vous simplifier la vie » a-t-il lancé à l’attention des dirigeants de PME présents dans la salle. Et concernant l’arsenal des aides financières de Bercy, « je ne regarderai que les résultats » : balance commerciale, nombre d’entreprises accompagnées, développement des PME françaises à l’international.
Sans entrer dans le détail des différents instruments, le ministre a néanmoins décerné ses bons et ses mauvais points aux nouveaux dispositifs lancés depuis son arrivée à la tête du ministère, entre ceux qui « marchent bien » et ceux qui « ne marchent pas ».
Au chapitre des bons points, il a cité les prêts du Trésor et les procédures de garanties export gérées par Bpifrance Assurance Export. Bons points encore décernés aux accélérateurs de la maison-mère de cette dernière, Bpifrance, à qui il a demandé de doubler la mise en portant de 2000 à 4000 l’objectif du nombre de PME et ETI accélérées à l’horizon 2022. Bon point enfin décerné au nouveau dispositif d’accompagnement Team France Export déjà cité, qui, rappelons-le, s’appuie sur le rapprochement des Régions, des opérateurs d’Etat (Busines France, Bpifrance) et des Chambres de commerce et d’industrie (CCI) pour créer des « guichets uniques ».
Mais mauvais point décerné au nouveau Pass Export, lancé en février 2018 : « ça ne marche pas », a asséné le ministre, « deux signatures, c’est un échec ».
Ciblé sur de grosses PME et ETI industrielles, le Pass Export est un contrat de confiance avec l’administration sur 3 à 5 ans : l’administration propose une facilitation de l’accès aux garanties d’Etat et aux financements export grâce à une simplification du calcul de la part française exigée dans ses produits et services (celle-ci doit être d’un minimum de 20 %), qui est lissée sur la totalité de la période du contrat et non plus calculée pour chaque opération d’exportation ; en contrepartie, l’entreprise s’engage à faire des efforts de valorisation de cette part française, en interne ou via ses sous-traitants sur le sol français.
Mais en un an, seulement deux contrats ont été signés : l’un au moment du lancement, avec le chantier naval breton Piriou, et l’autre le jour même de l’événement à Bercy, avec Suez, ciblé sur son activité dédiée aux unités compactes modulaires de production d’eau potable (UCD), qui s’exportent dans les pays en développement et émergents, notamment en Afrique. De quoi s’interroger sur la pertinence de cette nouvelle procédure et ses chances de décollage.
« Je ne me satisfais pas de deux signatures en grande pompe. Les signatures en grande pompe, c’est souvent l’arbre qui cache la forêt. Moi je m’intéresse à la forêt ». Appelant les entreprises à dire ce qui ne va pas dans ce dispositif, Bruno Le Maire a insisté : « ce n’est pas l’administration qui décide, c’est le ministre ». Le sujet a sans aucun doute été abordé lors d’un déjeuner qui a réuni, le jour même à Bercy, sa secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher et une douzaine de dirigeants de PME conviés, en marge de l’événement de Bercy.
Un bilan d’étape encourageant pour la nouvelle Assurance prospection
Malgré tout, au regard des données qui ont été dévoilées par le Trésor le 21 février, le bilan des dispositifs financiers de soutien à l’export n’est pas si mauvais, tant sur le plan de la performance que du calendrier de mise en œuvre des réformes.
Côté bilan, Bpifrance, devenu le principal opérateur des aides financière export d’Etat depuis le transfert à sa filiale Bpifrance assurance export de la gestion des garanties publiques pour le compte de l’Etat (assurance-crédit, garantie et cautions, assurance change, assurance prospection), avait déjà livré l’essentiel lors de la présentation de son rapport d’activité le 31 janvier. Claire Cheremetinski, chef du service des Affaires bilatérales et de l’internationalisation des entreprises (Sabine), n’a donné que quelques tendances axées sur la mise en œuvre du plan Philippe, et notamment les efforts accrus de distribution auprès des PME.
Selon ces données, pour un volume de demandes d’assurance-crédit acceptées de l’ordre de 15 milliards d’euros, la progression du nombre de contrats avec des PME et ETI a été de 15 %. En 10 ans, le nombre d’assurés aurait cru de 60 % et sur les 12 000 en portefeuille, 95 % des bénéficiaires seraient des PME.
Produit phare du soutien aux PME, l’assurance prospection (AP) a été réformée en 2018 : un système plus proche de l’avance de trésorerie a été substitué à un système assurantiel. L’entreprise peut désormais recevoir 50 % du budget de prospection garanti par Bpifrance assurance export dès signature du contrat, mais elle devra rembourser un minimum incompressible de 30 % du financement, que la prospection soit une réussite ou un échec.
La nouvelle formule d’AP, qui avait été accueillie avec un certain scepticisme par certains observateurs des milieux d’affaires inquiets de la baisse de la part de subvention dans la nouvelle procédure, a été lancée le 2 mai 2018 et semble avoir trouvé son public : 703 contrats pour la nouvelle AP ont été signés entre mai et décembre 2018, portant à un total de 1342 le nombre de contrat d’AP pour l’ensemble de l’année 2018, en progression de 16,7 % sur 2017 (1147). En valeur, le montant global des budgets pris en garantie a augmenté de 33,9 %, à 226 millions d’euros (dont 103 pour la nouvelle AP).
L’aide projet en progression
Enfin, les deux instruments de l’aide-projet gérés directement par la DG Trésor sont en progression :
-les prêts directs du Trésor, relancé en 2017, dont le nombre est passé de 2 à 5 (dont un renouvellement pour la Tunisie), ont représenté un engagement global de 179 millions d’euros dans 4 pays (Indonésie, Mali, Sénégal et Ukraine) ;
-le FASEP, qui octroie des dons pour financer des études de faisabilité ou des démonstrateurs, a engagé un total de 21,6 millions d’euros pour 26 projets dans 20 pays (dont la moitié en Afrique sub-saharienne).
Parmi les projets concrets cités en exemple : la mise en place du financement pour la construction de 22 patrouilleurs rapides pour les garde-côte d’Oman ; la mise en place d’une assurance-crédit et d’un prêt du Trésor pour soutenir des ventes d’hélicoptères à l’Ukraine ; un prêt direct du Trésor de 45 millions d’euros pour un projet de déploiement de la télévision numérique terrestre au Mali ; et enfin la mise en place d’un financement pour la fourniture de 4 patrouilleurs hauturiers à l’Argentine.
De fortes attentes pour l’année 2019
C’est toutefois cette année que les nouveaux instrument devront faire leur preuve. Outre la nouvelle assurance prospection qui va poursuivre son déploiement, une accélération des signatures de Pass’ Export est fortement attendue, quitte à y apporter des améliorations. Plusieurs autres dossiers seraient en cours d’instruction, selon l’administration, et la sortie du ministre a été entendue 5 sur 5 à Bercy. « C’est plus du sur-mesure mais en 2019, nous voulons monter en puissance » a assuré Bertrand Dumont en début de matinée.
Autre instrument qui doit à présent se traduire en projets concrets : la nouvelle Garantie de projet stratégique (GPS), qui vise à soutenir le financement de projets dont le contenu en exportations françaises est faible ou inexistant, mais dont les enjeux pour les savoir-faire français à moyen et long terme sont jugés importants. Ce nouvel instrument est créé depuis le début de l’année, le décret, signé en décembre, est en cours d’examen par le conseil d’Etat. Les premières instructions vont pouvoir être lancées dès cette phase terminée, avec l’objectif, selon Bertrand Dumont « de faire les premiers projets concrets ».
Les entreprises, et notamment les PME, sont, elles, clairement invitées à se saisir de tous ces outils pour les transformer en projets concrets à l’export.
Christine Gilguy