L’annonce par le président français François Hollande d’un prochain rapprochement de l’Agence française de développement (AFD) avec le groupe de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a plutôt été bien accueillie dans les milieux d’affaires français engagés sur les marchés internationaux. « Ca me paraît une bonne idée si c’est bien pour renforcer les moyens de l’aide au développement, a confié au Moci Alain Bentejac, président du Comité national des Conseiller du commerce extérieur de la France (CNCCEF). Mais cette réforme devrait être l’occasion de bien réfléchir à notre politique d’aide au développement afin que les entreprises françaises en bénéficient davantage, compte tenu de la rareté des financements internationaux ».
C’est dans son discours sur les priorités diplomatiques françaises, prononcé à l’Elysée pour l’ouverture de la semaine des ambassadeurs, le 24 août, que le président a en effet annoncé cette « réforme importante ». En prenant pour modèle la puissante banque publique fédérale KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau), impliquée tout autant dans le financement de l’économie allemande que dans l’aide au développement et les financements internationaux, l’objectif est de renforcer la solidité et les moyens d’action de l’AFD : « l’agence s’appuiera sur la puissance financière combinée de la Caisse des Dépôts et de l’Etat, a précisé François Hollande. Nous aurons ainsi, comme d’ailleurs d’autres pays l’ont fait avant nous, – en Allemagne, en Italie – une véritable agence de financement, qui sera mieux dotée, mieux équipée, et qui sera en plus liée aux collectivités locales et aux entreprises, à l’exemple de ce que fait déjà pour le financement intérieur la BPI ». L’AFD « y gagnera un ancrage, y gagnera également des ressources, et sera dotée d’un nouveau projet, avec de nouveaux moyens, au service du développement de la transition énergétique et du rayonnement de la France » a-t-il insisté.
« Même dans le cadre de l’aide déliée, il y a des moyens de la rendre plus efficace »
Les entreprises françaises sont d’autant plus attentives à cette réforme que l’AFD est un des principaux opérateurs publics de financement internationaux (avec le Trésor et Coface pour les garanties publiques soutenant l’exportation). Le groupe AFD est ainsi l’agence pivot de la France en matière de prêts et de dons pour financer des projets de développement jugés prioritaires, voire des investissements productifs (via sa filiale de financement du secteur privé Proparco) dans les pays en développement et émergents.
L’an dernier, tous instruments confondus, ses engagements ont dépassé pour la première fois 8 milliards d’euros (8,1 milliards exactement), dont 36,5 % pour le continent africain, 15 % pour l’Amérique latine et 15,5 % pour l’Asie. Les projets qu’elle contribue à financer donnent lieu à des appels d’offres intéressant le savoir-faire ou les produits français. Alors que la lutte contre le changement climatique et le développement durable font partie de ses priorités, l’AFD a affecté aux deux secteurs infrastructures/développement urbain et énergie respectivement 27 % et 21 % de ses engagements en 2014. Le secteur productif a reçu 22 % des concours, l’éducation et la santé 9 %, l’eau et l’assainissement 8 %, la biodiversité et les ressources naturelles 4 % et l’agriculture et la sécurité alimentaire 2 %.
C’est pourquoi la perspective de cette réforme intéresse au plus haut point les entreprises tricolores et ranime le vieux débat sur la manière dont elles pourraient mieux bénéficier de cette manne. En tant que membre de l’OCDE, la France applique en effet -comme les autres pays membres- le principe de l’aide déliée, c’est à dire que les financements qu’elle débloque pour l’aide au développement ne sont pas liés à des projets ou des marchés réservés à ses entreprises. Mais l’application de ce principe est jugée trop rigide par les entreprises françaises, face à de nouveaux acteurs comme la Chine, qui, notamment en Afrique, raflent non seulement de nombreux marchés publics sur appels d’offres internationaux, mais en plus financent et réalisent de nombreux projets de construction ou d’infrastructures décidés en toute opacité*.
« Même dans le cadre de l’aide déliée, il y a des moyens de la rendre plus efficace sur ce point, nos concurrents européens le font » estime Alain Bentejac, qui évoque aussi le problème de la « réciprocité » avec des pays qui ne respectent pas les règles que s’imposent la France ou l’Union européenne. « Nous sommes d’accord avec le principe de l’aide déliée à condition que l’on soit sur un pied d’égalité avec nos concurrents » résume pour sa part le président des CCE.
Une réponse au rouleau compresseur chinois
Il y a deux ans, une des recommandations du Rapport « Védrine » sur « Un partenariat pour l’avenir », commandé par Pierre Moscovici pour un Sommet Afrique-France destiné, début décembre 2013, à redynamiser les relations économiques entre la France et ce continent, consistait justement à renforcer les moyens d’action de la France en matière de financements des infrastructures en Afrique et préconisait, notamment, un rapprochement entre l’AFD et la CDC pour créer un nouveau « véhicule »**. Une proposition applaudie par les milieux d’affaires français investis en Afrique, impuissants face au rouleau compresseur chinois.
Dans le cadre de sa nouvelle stratégie de « diplomatie globale », qui doit mettre l’appareil diplomatique et les grands opérateurs de l’Etat au service des intérêts économiques et stratégiques de la France de façon plus systématique, Laurent Fabius a d’ores et déjà impulsé, avec son collègue des Finances Michel Sapin, un rapprochement entre l’AFD et d’autres opérateurs d’Etat pour améliorer leur coopération et les échanges d’information : l’AFD a ainsi signé plusieurs conventions de coopération cette année, dont avec Bpifrance et Business France***. L’AFD a même signé des conventions de coopération avec des chefs de files de filières sectorielles tels que la Ratp dans les transports urbains et le Ser dans les énergies renouvelables.
Des progrès salués par les milieux d’affaires français qui souhaitent néanmoins aller plus loin : « Cette réforme pourrait être l’occasion de remettre à plat notre dispositif et d’aller un peu plus loin », résume Alain Bentejac. Les CCE, qui veulent faire entendre leur voix sur ce sujet, sont, à cet égard, en train de constituer un groupe de travail sur le sujet des financements internationaux qui sera animé par Gilbert Canaméras, le directeur des financements et des assurances du groupe Eramet, par ailleurs ancien président de l’Amrae (Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise. Ils ont bien l’intention de faire des propositions concrètes.
Du pain sur la planche pour Rémy Rioux, secrétaire général adjoint en charge des Affaires économiques au Quai d’Orsay, qui a été chargé de mener la mission de configuration de ce rapprochement AFD/CDC pour une mise en oeuvre en 2016. Il bénéficie de l’atout de connaître déjà ce dossier et ses principaux acteurs : ancien directeur de cabinet de Pierre Moscovici lorsque celui-ci était ministre de l’Economie et des finances, il avait suivi de près l’élaboration du Rapport Védrine et les débats du Forum d’entreprises organisé par Bercy en marge du Sommet Afrique-France.
Christine Gilguy
**Lire : Afrique-France : les nouvelles pistes du rapport « Védrine » pour redynamiser les échanges franco-africains
*** Lire : Commerce extérieur : après Bpifrance, l’AFD signe un partenariat avec Business France
**** Lire : Energies renouvelables/Export : l’AFD et le SER vont coopérer à l’international