Alors que le Medef se dote d’un nouvel organigramme après l’élection de Geoffroy Roux de Bézieux à sa présidence, Frédéric Sanchez s’apprête à passer la main à d’autres à la tête du pôle Internationalisation de l’organisation patronale après dix ans de mandat pour mieux se consacrer à la présidence du Medef International. Un moment propice pour faire un point avec celui qui est aussi le président du directoire du groupe Fives, leader français dans l’industrie des machines-outils, qui réalise plus de 85 % de son activité à l’international, et un militant de la cause de la « French fab » et de l’Industrie du futur. Sur la guerre commerciale de Trump et son impact sur l’organisation des chaînes de valeur, sur le changement à la présidence du Medef, sur lesréformes des dispositifs publics de soutien à l’export, voici ses réponses au Moci, en exclusivité pour la Lettre confidentielle.
Le Moci : vous avez déclaré que la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump est une opportunité. Pourquoi ?
Frédéric Sanchez : oui, c’est une opportunité si elle permet à l’Europe de parler d’une seule voix. Mais en ce qui concerne plus spécifiquement Fives, je dirais les choses autrement. Un : un industriel comme moi ne peut pas souhaiter qu’une guerre commerciale se développe entre les grands pays ; deux : il faut être lucide. Cette guerre est malheureusement en train de naître et il faut savoir y répondre ; trois : c’est sans doute l’occasion de repenser, pour des entreprises comme la mienne, leur modèle de développement. Je suis en effet convaincu qu’au-delà de bâtir des chaînes d’approvisionnement sophistiquées, aller à l’international c’est d’abord et avant tout pour accéder et pour s’implanter sur d’autres marchés afin de répondre à leurs besoins propres, et accessoirement pour réexporter à partir de ces marchés d’implantation. C’est en tout cas la logique qu’a suivie le groupe Fives que je dirige. En s’implantant sur ces marchés, avec pour principal objectif, de les desservir, on se protège en outre des variations de change qui sont une autre manière de faire une guerre commerciale qui ne dit pas son nom.
«Nous avons relocalisé une partie de nos fabrications en France de façon beaucoup plus volontariste»
Le Moci : votre groupe, qui réalise 2,2 milliards d’euros de CA, a relocalisé une partie de sa production en France pour échapper, justement, aux aléas de cette complexité des chaînes d’approvisionnement internationales. Il emploie aujourd’hui 5 000 personnes en France et y source 80 % de ses achats. Finies les chaînes de valeur internationales ?
Frédéric Sanchez : Fives est d’abord parti à l’étranger pour servir les marchés locaux. Progressivement, ayant constaté que nos bases chinoises étaient compétitives, le groupe a commencé à y localiser la fabrication de composants. Mais, en 20 ans, les coûts, notamment salariaux, ont considérablement augmenté en Chine, les coûts logistiques sont devenus prohibitifs et sont apparus au fil du temps de nouveaux aléas, climatiques, politiques, commerciaux qui font aujourd’hui partie de notre réalité et de notre quotidien.
En conséquence, il y a 3 ou 4 ans, on a décidé de réorganiser nos chaînes d’approvisionnement sur une base davantage nationale ou régionale : en France pour nos bases françaises ; aux États-Unis ou au Mexique ou au Canada pour nos bases nord-américaines ; en Asie, notamment en Chine, pour nos bases asiatiques ; et au Japon pour nos bases japonaises. Tout ce qui est fait au Japon est ainsi quasiment exclusivement vendu au Japon et en Corée du Sud.
C’est une manière d’organiser nos achats qui n’est peut-être pas optimale sur le plan financier, mais qui nous assure une croissance durable, saine, et sécurisée à long terme ; en nous protégeant notamment des variations de change et/ou de la mise en place de barrières commerciales ou non tarifaires brutales.
« Il va falloir poursuivre la mise en place d’un écosystème plus favorable à l’industrie »
Le Moci : cette stratégie est-elle récente ?
Frédéric Sanchez : non, nous avons toujours cherché à nous implanter à l’étranger d’abord pour répondre aux besoins propres des marchés locaux. Ensuite, certains marchés comme la Chine et l’Inde ont pu devenir progressivement, dans certains cas, des bases d’approvisionnement du groupe. Mais nous avons progressivement changé d’approche en nous adaptant aux évolutions économiques des pays dans lesquels nous étions présents.
Historiquement Fives s’est implanté dans les régions côtières chinoises, là où ses principaux clients étaient eux-mêmes installés mais ces régions ont significativement perdu en compétitivité prix en raison, notamment, de la forte augmentation des salaires enregistrés en Chine ces dernières années. En revanche, ces filiales sont un facteur clé de succès pour servir les clients locaux du groupe, en adaptant les solutions techniques développées par le groupe à leurs besoins spécifiques. Elles sont en revanche beaucoup moins compétitives à la grande exportation notamment au regard des conditions de prix que nous pouvons aujourd’hui obtenir en Afrique du Nord, en Europe de l’Est et au Portugal. Pourquoi aller si loin alors qu’on peut trouver à proximité de nos implantations françaises des solutions tout aussi compétitives et beaucoup moins risquées ?
Ces dernières années, nous avons relocalisé une partie de nos fabrications en France de façon beaucoup plus volontariste, car je crois dur comme fer dans la réindustrialisation de notre pays, sous l’effet notamment, des transformations en cours induites par la transition énergétique, et la digitalisation des systèmes de production. Je porte haut et fort ce message. La France a des atouts à faire valoir dans ce nouveau monde qui émerge, et où les cartes seront redistribuées. Mais pour tirer profit de ces atouts (la France dispose d’infrastructures remarquables et d’ingénieurs de très haut niveau), il va falloir poursuivre la mise en place d’un écosystème plus favorable à l’industrie, en particulier en baissant significativement les impôts de production qui pèsent sur cette dernière et qui représentent un surcoût supplémentaire d’environ 50 milliards d’euros pour les industriels français par rapport à leurs concurrents industriels allemands. A nous industriels de convaincre nos hommes politiques de s’engager sur cette voie…
Ceci est un extrait de la Lettre confidentielle du MOCI n° 291
diffusée le 12 juillet 2018 auprès de ses abonnés
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