« L’export, c’est une forme d’esprit et ça s’apprend. Il faut donc l’enseigner puisque ça s’apprend. Et c’est pourquoi je suis aujourd’hui dans une école de management », a lancé Édouard Philippe dans le grand auditorium de l’Edhec Business School, à Roubaix, le 23 février.
Un choix de portée très symbolique en effet, puisque devant un parterre de 1 300 étudiants et l’essentiel des représentants de l’écosystème du commerce extérieur, le Premier ministre a annoncé une nouvelle « stratégie du gouvernement en matière de commerce extérieur », reposant notamment sur la réforme de dispositifs d’aide existants, et pour la première fois, la formation. Ce plan comporte trois axes essentiels : la formation, l’accompagnement et le financement. Objectif : augmenter le nombre d’entreprises exportatrices et dynamiser leurs exportations.
E. Philippe : l’anglais est devenu la « lingua franca »
L’intervention d’Édouard Philippe clôturait une après-midi commencée par une conférence intitulée « la culture de l’export : formation, jeunes et international » animée par Marie Lebec, députée (Yvelines) La République en marche (LRM) qui préside un groupe de travail transpartisan sur le commerce extérieur et l’attractivité à l’Assemblée nationale *, et Christophe Lecourtier, directeur général de Business France.
Le thème de la formation étant au centre de la nouvelle stratégie de soutien au commerce extérieur du gouvernement, il avait été demandé à plusieurs anciens de l’Edhec de témoigner de leur expérience du volontariat international en entreprise (VIE). Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer a insisté sur la nécessité que le Bac « entre dans le XXIe siècle » et c’est pourquoi, a-t-il encore annoncé, une « certification des langues en référence à des certifications internationales existantes va être définie dans les semaines à venir ».
Le Premier ministre a, pour sa part, insisté sur l’apprentissage de l’anglais, « la lingua franca, selon lui, si l’on veut bouger à l’international et maîtriser son avenir ». Ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal a, de son côté, mis l’accent sur les universités européennes « qui donnent envie d’Europe au jeune pendant ses études ». Elle a ainsi indiqué « travailler avec les établissements d’enseignement supérieur pour consolider les réseaux déjà existants ».
L’Équipe de France à l’export au grand complet
Outre les élus régionaux, comme le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, tout l’écosystème du commerce extérieur était réuni pour entendre le Premier ministre : dirigeants des Chambres de commerce et d’industrie en France et à l’étranger, des opérateurs publics, comme Business France et Bpifrance, et des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), représentants des opérateurs privés, à l’instar de l’OSCI (sociétés d’accompagnement et de commerce international).
Une partie des ministres et secrétaires d’État étaient également présents : outre Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, Jean-Yves Le Drian, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avec son secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne, Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des finances.
Pour l’Assemblée nationale, outre Marie Lebec, étaient également présents deux autres spécialistes de l’export, Jacques Maire (Hauts-de-Seine) et Buon Tan (Paris)**, tous deux députés LRM membres du groupe de travail dirigé par la députée des Yvelines, le premier également vice-président de la commission des Affaires étrangères, le second, membre de cette commission.
« Sur 8 000 étudiants, un tiers est étranger »
Avant l’intervention du Premier ministre, Jean-Yves Le Drian avait insisté sur la nécessité d’acquérir « une culture de l’international ». « On compte sur vous, qui appartenez à la génération la plus mobile et le plus désirant découvrir l’international », avait-il ainsi lancé à l’adresse des jeunes de l’Edhec.
Le choix de son école pour accueillir l’annonce de la réforme a évidemment réjoui son directeur général, Emmanuel Métais, qui s’est déclaré « fier » en rappelant que « sur 8 000 étudiants, un tiers est étranger » et que rien que sur la dernière promotion grande école de 1 000 étudiants « 36 % travaillent aujourd’hui pour des entreprises françaises à l’étranger ».
Pour le volet formation, l’État s’est inspiré du rapport sur le développement de l’offre scolaire internationale signé de la vice-présidente du Conseil régional d’Ile-de-France, Agnès Evren, et du recteur de l’Académie de Versailles, Daniel Filâtre.
Business France et Bpifrance, « noyau » de la «Team France»
La nouvelle stratégie gouvernementale compte deux autres axes majeurs : la réforme de l’accompagnement public, avec la constitution d’une «Team France Export», dont Business France et Bpifrance seront « le noyau », a précisé Christophe Lecourtier, auteur du rapport qui a inspiré la réforme du gouvernement ***; et le financement, avec la montée en puissance de Bpifrance comme financeur public pour simplifier le dispositif actuel, fait notamment de garanties export et d’avances remboursables.
Les deux rapports sur lesquels s’est appuyé le gouvernemental ont été complétés par les propositions du sénateur Richard Yung et de l’entrepreneur Eric Kayser, dans le cadre du volet « conquête de l’international » du Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), initié par le ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire****.
Le premier Pass Export en Bretagne
Abordés tour à tour, les axes du financement et de l’accompagnement ont fait l’objet d’un chassé croisé amical entre Édouard Philippe et Jean-Yves Le Drian, sous les applaudissements fournis des étudiants et les rires dans la salle. Très en verve, les deux hommes n’ont pas hésité à se lancer des piques humoristiques.
Le premier, par ordre d’apparition sur la scène, Jean-Yves Le Drian, profitant de la signature du premier Pass Export, un nouveau dispositif de financement export sur plusieurs années, pour rappeler que l’État contractait avec les Chantiers Piriou, « une entreprise bretonne et pas normande », une allusion à peine voilée au fait qu’il est breton (ancien président de Région) et le Premier ministre normand (ancien maire du Havre).
Le Pass Export est la grande nouveauté en matière de financement export des entreprises dans la durée. Delphine Gény-Stephann a expliqué que « le contrat de financement avec Piriou va couvrir plusieurs années et plusieurs destinations », ce qui lui permet « de s’engager en pleine confiance avec l’État ». Le contrat de confiance portera sur une durée de trois à cinq ans et apportera à l’exportateur « une couverture en garanties publiques au maximum permis par les engagements multilatéraux de la France ».
Pascal Piriou, le patron du chantier breton présent pour signer le partenariat de confiance avec Delphine Gény-Stephann, représentant l’État, a salué « une solution compacte et simple », qui va permettre à sa société de s’aligner par rapport à « des concurrents asiatiques qui apportent des financements à leurs clients ».
Un premier guichet unique en Normandie
Prenant à son tour la parole, Édouard Philippe a rappelé que le coeur de la réforme de l’accompagnement serait la mise en place d’un « point unique d’entrée » de l’export – expression qu’il préfère à celle de « guichet unique » mentionné dans la Stratégie – dans chaque région, « regroupant autour des opérateurs publics, CCI et Business France, les autres acteurs ».
Une première déclinaison a été lancée le 23 janvier « non pas en Bretagne, mais en Normandie », a-t-il précisé, déclenchant ainsi une nouvelle salve de rires. Il faisait ainsi référence au nouveau dispositif Xport issu d’un partenariat tripartite Région-Business France-CCI de Région en Normandie****.
Pourtant, le Premier ministre et son ministre n’ont pas caché la lourdeur de la tache. « Il faut qu’on se remue », a reconnu Jean-Yves Le Drian, déçu par « une certaine forme d’incapacité industrielle » de la France. Le déficit commercial de la France s’est creusé l’an dernier, s’élevant à -62,3 milliards d’euros. « En 2017, c’est le plus haut niveau depuis 2012 », a renchéri Édouard Philippe. L’année précédente, la balance commerciale était déficitaire de -48 milliards d’euros.
De notre envoyé spécial à Roubaix
François Pargny
* Commerce extérieur : M. Lebec prend la tête d’un groupe de travail parlementaire
** Commerce extérieur : les propositions du rapport Tan pour doper l’export des PME
***Accompagnement / Export : les propositions du rapport Lecourtier pour la refonte du dispositif
**** Normandie / Aides : Xport, une « opération pilote » pour la future réforme
Pour prolonger :
Commerce extérieur : les 19 mesures de la nouvelle stratégie de soutien à l’export
Pour un éclairage sur le contexte, lire notre dossier paru fin novembre 2017 dans un numéro spécial du Moci (2048-2049) : 200 000 exportateurs en 2022, enquête sur un défi français
Et aussi :
– Commerce extérieur : E. Philippe réunit l’écosystème à Roubaix pour présenter sa stratégie de soutien à l’export
– Commerce extérieur : en attendant de nouvelles « cathédrales industrielles »
– Commerce extérieur : le plongeon du déficit des biens plombe le bilan 2017