Nouvelle attaque de l’organisation Corporate Europe Observatory (CEO) contre l’opacité qui, selon elle, entoure les négociations commerciales menées par la Commission européenne avec certains pays tiers. Principale cible de cette campagne déclenchée le 26 août sur le site de cette organisation non gouvernementale (ONG) ? Le lobby de l’industrie du tabac qui suit de près les pourparlers de libre-échange engagés par l’UE avec les États-Unis mais aussi avec le Japon. Dans un souci de transparence et conformément à la loi sur la liberté d’information, « mais également aux règles en vigueur au sein de l’OMC » – précise un responsable de CEO – l’organisation a exigé la publication des documents rendant compte des rencontres, à Bruxelles, entre certains membres de la Commission européenne et des représentants des cigarettiers.
Le résultat se passe de commentaires. Mis en copie sur le site de l’ONG*, les textes envoyés par l’exécutif européen (voir lien ci-dessous), sont quasi-intégralement noircis. Dans une lettre de 14 pages, envoyée à la Commission par des responsables de British American Tobacco, moins de 5 % du texte reste lisible. Dans un autre document, résumant une rencontre au siège de l’institution, avec Philip Morris, « même la date de la réunion a été dissimulée et il n’est fait nulle part mention des négociations commerciales dont il était question pendant la rencontre », déplore CEO sur son site Internet. « Il s’agit pourtant de clarifier les relations entre les membres de la DG Commerce et l’industrie du tabac », insiste l’ONG.
Selon Alexander Winterstein, porte-parole à la Commission, les effacements visent simplement à protéger des informations commerciales sensibles. « Les documents n’ont rien à voir avec le TTIP », insiste-t-il dans une interview accordée au site Euractiv. Pourtant, dans une réponse adressée à CEO par l’ex-secrétaire générale de la Commission, Catherine Day, celle-ci justifie la censure des documents parce qu’ils « contenaient des éléments liés à la position de la Commission sur le tabac dans les négociations bilatérales en cours en vue d’accords de libre-échange avec les États-Unis et le Japon ». Une contradiction dans la stratégie de communication qui illustre l’embarras des négociateurs européens.
Car en toile de fonds de ces nouvelles révélations figure bien sûr l’épineuse question du système de règlement des différends investisseurs/États (ISDS), prévue dans le TTIP, mais dont une portion croissante de l’opinion publique européenne réclame l’exclusion pure et simple. Si ce mécanisme était accepté en l’état il donnerait la possibilité, à de grandes entreprises, de contester des politiques publiques en matière de santé ou d’environnement par exemple. Un recours dont a d’ailleurs usé Philip Morris, à plusieurs reprises par le passé. Pour freiner l’adoption de nouvelles lois en Australie – où le gouvernement voulait mettre en place des paquets de cigarettes sans logos – ou en Uruguay – pour sa politique de lutte contre le tabagisme – le géant du tabac a notamment fait appel à des tribunaux arbitraux afin d’obtenir des compensations financières. Si la Commission assure que de tels débordements ne seront pas autorisés par le TTIP, les organisations de la société civile – à l’instar de CEO – restent mobilisées contre la clause relative à l’ISDS prévue dans le traité de libre-échange. Le poids du lobby du tabac est un autre motif d’inquiétude. En 2014, la société Philip Morris est arrivée en tête de la liste des entreprises ayant dépensé le plus d’argent dans le lobbyisme européen, dépassant même le géant pétrolier ExxonMobil.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Pour consulter les documents mis en ligne par CEO : http://corporateeurope.org/international-trade/2015/08/black-out-tobaccos-access-eu-trade-talks-eerie-indication-ttip-threat