Dans les couloirs du Parlement les eurodéputés ne décolèrent pas. En visite à Bruxelles hier 23 mars – visite au cours de laquelle le Premier ministre français a rencontré son homologue belge et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission – Manuel Valls a de nouveau exhorté les élus à adopter rapidement le texte visant à créer un PNR (Passenger name record/Registre de noms des passagers) européen afin « de montrer leur engagement dans la lutte contre le terrorisme ». Au lendemain des attentats de Bruxelles la pilule passe mal.
« Les eurodéputés socialistes et radicaux appellent les responsables politiques français et européens à de la retenue, à cesser de mentir aux citoyens, et de les prendre pour des imbéciles : ni les socialistes français, ni les socialistes européens ne bloquent la directive PNR », corrigent-ils dans un communiqué commun. S’ils ont décidé de reporter le vote du texte – à l’instar d’autres élus du groupe des Verts ou de la famille des Libéraux et Démocrates – c’est au nom d’un impératif de cohérence politique, insistent-ils. Leur objectif : favoriser l’adoption concomitante de ce PNR et du paquet relatif à la protection des données.
Ce dernier a fait l’objet d’un accord entre les représentants du Parlement européen (PE) et du Conseil le 15 décembre dernier. Il vise à adapter une législation, datant de 1995, au développement d’internet par lequel transitent aujourd’hui 97 % des données personnelles. Conçu pour maintenir un fragile équilibre entre la protection des droits fondamentaux des citoyens et l’évolution du secteur numérique, le paquet donnera aussi aux entreprises davantage de sécurité juridique en établissant des normes communes au sein de l’UE.
Conjuguer lutte contre le terrorisme et respect de la vie privée des citoyens européens
Dans sa version modifiée, le PNR européen promet lui aussi de conjuguer lutte contre le terrorisme et le respect de la vie privée des citoyens européens. Comme son nom l’indique ce registre des noms des passagers, compilera les données personnelles des voyageurs recueillies par les compagnies aériennes au cours des procédures de réservation et d’enregistrement comme les dates de voyage, l’itinéraire, les informations relatives aux tickets, les coordonnées et moyens de paiement utilisés ou les habitudes personnelles.
Outil jugé essentiel par une majorité d’experts pour retracer l’itinéraire des terroristes, il connaît, selon les eurodéputés qui ont retardé son adoption, un champ d’application trop large, une période de conservation trop longue ou le manque de recours pour les citoyens européens. « D’où l’importance de disposer, en parallèle, d’un autre texte sur la protection des données », précise un fonctionnaire de la commission des libertés civiles au PE. S’ils se sont engagés à voter le texte, probablement lors de la plénière en mai, ils réfutent la version officielle visant à faire du PNR européen la panacée en matière de lutte contre le terrorisme.
« Les auteurs des derniers attentats n’ont pas pris l’avion mais ont emprunté les routes », ajoute Yannick Jadot, eurodéputé du groupe des Verts, qui s’indigne du discours de Manuel Valls « déroulant le tapis rouge à Marine Le Pen en laissant entendre que le Parlement européen est responsable des échecs dans la lutte contre le terrorisme ». A l’instar de ses collègues, il plaide pour une approche globale qui favoriserait notamment un meilleur partage d’informations entre les services de renseignement des différents Etats membres. « La proposition n’est pas nouvelle mais elle tarde à se concrétiser », a confirmé Jean-Claude Juncker dénonçant à demi-mot le souverainisme de nombreux Etats membres en la matière. Autres pistes évoquées : bannir la diffusion de la propagande terroriste sur Internet, mieux encadrer la circulation des armes à feux au sein de l’UE ou s’attaquer au trafic des faux papiers.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles