Les partis nationalistes et/ou eurosceptiques pourraient remporter un tiers des sièges du Parlement européen (PE) à l’issue des élections européennes qui se tiendront en mai prochain. C’est ce que révèle une étude publiée le 11 février dernier par le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) et intitulée « Les élections européennes de 2019 : comment les anti-européens envisagent de saboter l’Europe et comment les contrecarrer »*. Et le constat est glaçant concernant les conséquences : faute de disposer d’une majorité au sein du prochain hémicycle, ces partis devraient disposer d’un poids suffisant pour enliser l’activité du PE, « compromettre la sécurité et la défense de l’Europe et, à terme, semer des ferments de discorde qui pourraient finir par détruire l’UE », concluent les auteurs du rapport. La politique commerciale est une de leur cible, avec des convergences.
Malgré leurs divisions, ces partis risquent en effet de travailler ensemble pour saper les fondements de certaines politiques européennes unanimement dénoncées par leurs membres. Outre la politique extérieure de sécurité et de défense, le commerce est l’un des principaux secteurs identifiés par les experts du ECFR comme cible potentielle des partis anti-européens.
Qu’ils soient de droite ou de gauche, tous se sont en effet opposés à l’agenda de libre-échange promu par l’actuelle Commission, votant systématiquement contre l’adoption de nouveaux traités commerciaux.
« Si un seul fonctionnaire italien continue à défendre des accords comme le CETA (le traité commercial UE/Canada), il sera renvoyé », a récemment averti Luigi Di Maio, le leader du mouvement 5 étoiles en Italie, membre de la coalition au pouvoir dans ce pays. Même son de cloche à la droite de la droite, où des leaders comme Marine Le Pen et son allié Matteo Salvini, leader de la Ligue membre de la coalition au pouvoir à Rome, reprochent à l’UE d’ouvrir grand ses frontières et ses marchés au détriment des citoyens européens, premières victimes de cette mondialisation qualifiée de sauvage.
« La menace d’un veto parlementaire suffit à façonner les politiques commerciales de l’UE »
« Au cours de la prochaine législature, le commerce est susceptible de devenir un sujet de consensus derrière lequel les membres de ces différents partis pourront afficher une image d’unité », confirme un fonctionnaire de la commission du Commerce international (INTA) au PE. Et face à ce front commun, les partis traditionnels auront toutes les peines du monde « à jeter les bases d’un compromis et, plus globalement, à influencer le travail législatif en cours », ajoute cet expert.
Car depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2007, le PE dispose de pouvoirs élargis en matière commerciale. Si cette politique communautaire est définie par la Commission, les eurodéputés peuvent désormais, à l’instar des États membres, bloquer l’adoption de nouveaux instruments ou l’entrée en vigueur d’un accord de libre-échange.
« La menace d’un veto parlementaire suffit à façonner les politiques commerciales de l’UE », souligne à cet égard Mark Leonard, directeur de l’ECFR. Et si jusqu’ici les eurodéputés ont essentiellement veillé à accroître la transparence de négociations commerciales jugées trop opaques, « les négociations entre groupes ont toujours facilité la définition d’un large compromis avec un objectif partagé : permettre à l’UE de maintenir sa place de leader sur la scène commerciale mondiale ».
Un frein face aux géants américains ou chinois
Au delà des accords de libre-échange, la rhétorique nationaliste risque aussi de nuire à l’adoption de réponses européennes face aux géants américains ou chinois. « Leur influence croissante pourrait également peser sur les négociations pour définir la future relation commerciale entre l’UE et le Royaume-Uni », estime Mark Leonard.
Autrement dit, les anti-européens disposeront de leviers suffisants pour freiner la mise en œuvre de l’agenda commercial européen. De quoi miner la capacité de l’UE à « utiliser le commerce comme l’un de ses principaux instruments pour accroître la prospérité en Europe et poursuivre ses objectifs de politique étrangère », ajoute le directeur de l’ECFR.
Une menace sur la politique étrangère
Mais le travail de sape des anti-européens ne se limitera pas à la sphère commerciale, indique le think tank. Les grands dossiers de politique étrangère pourraient eux aussi faire le frais d’une alliance future entre partis eurosceptiques.
« En réclamant la levée des sanctions contre la Russie, ou en affaiblissant l’OTAN, les anti-européens auront la capacité d’entraver durablement l’action de l’UE », peut-on lire dans le rapport. Ils risquent aussi de mettre en péril la liberté de circulation en Europe, d’affaiblir l’État de droit en Europe ou d’entraver les efforts mondiaux visant à lutter contre le changement climatique, s’inquiètent ses auteurs.
« Ce rapport montre l’ampleur des enjeux et des dégâts que pourraient causer les anti-européens. En plus d’entraver les actions de l’UE qui visent à aider les citoyens européens – des accords commerciaux jusqu’aux actions contre l’agression russe – ils utiliseront leur pouvoir au sein du Parlement européen comme rampe de lancement pour transformer la politique dans toute l’Europe », conclut Susi Dennison, directrice du programme « Europe Puissance » de l’ECFR.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Pour en savoir plus, télécharger le rapport (en anglais) au lien suivant : www.ecfr.eu/page/-/EUROPEAN_PARLIAMENT_FLASH_SCORECARD_online.pdf