Initialement apathiques devant les menaces de Donald Trump d’annexer le Groenland, cette immense île rattachée au Danemark, les dirigeants de l’Union européenne (UE) haussent désormais le ton. Le sort de ce territoire semi-autonome comporte de très hauts enjeux commerciaux et géostratégiques. Les convoitises trumpiennes mèneront-t-elles les Européens a davantage d’activisme dans la région ? Revue de détail dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
« Préserver l’intégrité territoriale du Danemark, sa souveraineté et l’inviolabilité de ses frontières est essentiel pour tous les États membres », a assuré le président du Conseil européen, António Costa, ce lundi 3 février, au terme d’un sommet informel entre les Vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’UE.
Ainsi, après avoir dans un premier temps fait l’autruche face aux menaces de Donald Trump d’annexer le Groenland, ce territoire semi-autonome rattaché au Danemark, les dirigeants de l’Union ont décidé de hausser le ton. « Ce ne sont pas des mots vides de sens, la solidarité était palpable autour de la table », a relaté le Premier ministre polonais, Donald Tusk. « Nous sommes prêts à défendre notre État membre, le Danemark », avait lancé quelques jours plus tôt , le commissaire européen à la Défense, le Lituanien Andrius Kubilius, alors que Paris n’exclut pas l’envoi de troupes françaises.
Initialement, le gouvernement danois avait demandé aux autres pays européens de ne pas réagir trop vivement aux propos de Donald Trump, qui martèle depuis fin décembre que s’emparer de l’île arctique située entre l’Amérique du Nord et l’Europe, y compris par la force, est pour les États-Unis une « nécessité absolue ».
Mais c’est un échange téléphonique avec Donald Trump, mi-janvier qui a convaincu la cheffe du gouvernement danois Mette Frederiksen de l’ampleur de la menace, et de la nécessité de changer de stratégie. Depuis, cette dernière a effectué une tournée pour rencontrer ses homologues européens, dont le chancelier allemand Olaf Scholz, Emmanuel Macron et le secrétaire général de l’Otan Mark Rutte, afin de démontrer que les Européens font bloc.
Le Groenland, la deuxième plus grande île du monde derrière l’Australie, bénéficie d’un statut spécial en Europe : non membre de l’UE, contrairement au Danemark, elle reçoit néanmoins des fonds européens, et ses 56 000 habitants sont considérés comme des citoyens de l’Union. En outre, ce territoire hyper-stratégique sur les plans commercial et militaire est couvert par la clause de défense mutuelle prévue par les traités de l’UE.
Un territoire stratégique
En matière commerciale, le Groenland pour lequel les États-Unis ont manifesté pour la première fois leur intérêt il y a plus d’un siècle, a toujours été un point de passage clé pour les routes aériennes et maritimes transatlantiques, dont celle Nord reliant notamment l’Asie à l’Europe en passant par l’Arctique.
Avec la fonte des glaces, les routes maritimes arctiques deviennent de surcroît de plus en plus navigables. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la Chine aussi ait manifesté un intérêt croissant pour cette région au cours des dernières décennies, et cherché à accroître son influence en obtenant par exemple le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique en 2013.
De plus, l’île très faiblement peuplée – et ce, à 90 % par des Inuits – possède des ressources énergétiques et minières considérables (terres rares, uranium, cuivre, pétrole, gaz… ). Ses réserves massives en terres rares suscitent en particulier les convoitises : 90 % de la production mondiale de ces éléments chimiques essentiels pour la fabrication de produits technologiques, énergétiques et militaires, est actuellement assurée par la Chine. Pour l’UE ou les États-Unis, ce serait ainsi un moyen de s’émanciper de la mainmise de Pékin.
Néanmoins, en juillet 2021, le gouvernement groenlandais a annoncé une interdiction de l’exploration pétrolière et gazière, afin, notamment, d’éviter que ces ressources ne tombent entre les mains d’entreprises chinoises. L’exploitation se heurte d’ailleurs à la rudesse du climat, au manque d’infrastructures dédiées et à la rareté de la main-d’œuvre locale. La menace trumpienne mènera-t-elle les Européens a davantage d’activisme dans la région ?
« L’Union européenne a une carte à jouer en renforçant significativement ses investissements dans l’île, dans un sens qui satisfasse aux besoins et aux aspirations de développement de la population groenlandaise. Elle en a les moyens, à condition que la particularité de ce territoire et l’aspiration de son peuple à l’autodétermination soient entendues », relève l’ancien sénateur André Gattolin dans une note publiée ce 3 février par la Fondation Robert Schuman.
Disposant d’un statut d’autonomie renforcée depuis 2009, les Groenlandais sont en effet majoritairement favorables à son indépendance, même si celle-ci n’est pas sans obstacles, à commencer par la fragilité de l’économie de l’île, cruellement dépendante des biens importés d’Europe.
« L’Europe dispose d’assez peu de temps pour agir, mais sans doute davantage que ce que la précipitation des événements récents pourrait laisser penser. Donald Trump est, par nature, peu enclin aux interventions militaires et la voie, sans doute privilégiée, d’une acquisition ou mise sous tutelle du Groenland suppose plusieurs prérequis qui impliquent de procéder par étapes successives », estime encore André Gattolin, auteur en 2014 d’un rapport sénatorial intitulé « Le Groenland, un carrefour entre l’Europe et l’Arctique ? ».
Néanmoins, « prendre à la légère les propos de Donald Trump serait assurément une erreur d’appréciation quant à sa détermination. L’UE ne peut plus se permettre de faire l’économie d’une véritable réflexion géostratégique tant au niveau de ses relations transatlantiques, que de son engagement en Arctique (…) », conclut sa note.