La Commission européenne a promis « utiliser tous les outils de notre arsenal de défense commerciale pour protéger le marché unique de l’UE (…) » en cas de poussée des importations qui menaceraient des filières européennes. Que pourrait-elle faire concrètement ? Revue de détail dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
L’usine-Europe est loin d’être hors de danger après la suspension des droits de douanes américains dits « réciproques » annoncée le 9 avril par Donald Trump.
Non seulement, lesdites barrières aux échanges sont susceptibles de faire leur retour au bout du délai de 90 jours fixé par l’imprévisible président américain. Mais l’Europe risque toujours de subir les effets indirects des tarifs infligés par Washington aux exportations venues de Chine. Ces surtaxes ont non seulement été maintenues, mais elles ont été rehaussées au taux prohibitif de 145 % – bien qu’avec des exemptions [rendues publiques le 11 avril] pour certains produits high-tech dont les ordinateurs, les écrans et les smartphones.
Les craintes sur certaines filières européennes
À Bruxelles, on s’inquiète dès lors d’un potentiel afflux de produits industriels chinois qui, privés d’accès au marché américain, se verraient réorientés vers l’UE.
Électroménager, machine-outils, acier, automobile, chimie, santé… Certains responsables européens, dont Emmanuel Macron, craignent de voir des filières européennes entières menacées par cette concurrence. D’autant que les équivalents chinois, souvent dopés aux aides publiques, se vendent à des prix défiant toute concurrence.
Face à la vague qui se forme à l’horizon, la Commission européenne est sur le qui-vive : l’exécutif de l’UE a annoncé le 7 avril la création d’une « Task force » chargée « de surveiller les flux d’importations en temps réel ». Et, dans le cas où les craintes se matérialiseraient, l’institution promet d’« utiliser tous les outils de notre arsenal de défense commerciale pour protéger le marché unique de l’UE (…) ». Lesquels sont-ils ?
Mesures de sauvegarde type quota et procédure antisubvention
L’option qui paraîtrait alors la plus appropriée serait alors d’avoir recours à des « mesures de sauvegarde », comme le prévoient les règles de l’OMC dans les cas de fortes hausses des importations de certains produits. Typiquement, il s’agirait d’instaurer des quotas sur la base des niveaux passés d’importations des biens en question, puis d’appliquer des droits de douanes supplémentaires aux volumes excédentaires.
Mais, en principe, cette solution doit être temporaire, et ne pas dépasser trois ans. Ce qui n’a toutefois pas empêché l’UE de prolonger jusqu’à fin juin 2026 de telles mesures de sauvegarde déjà appliquées depuis 2018 à l’acier chinois, à la suite de la première guerre commerciale entre Donald Trump et Pékin.
Une autre possibilité serait d’opter pour des mesures antisubvention, du type de celles prises par l’Union face à la concurrence déloyale représentée par les voitures électriques venues de l’Empire du Milieu, surtaxées à hauteur de 35 % depuis octobre 2024.
Cependant, cela impliquerait au préalable de mener de longs mois d’enquête pour étayer l’existence de pratiques anticoncurrentielles, et de ne cibler à chaque fois qu’un seul produit.
Pas d’unanimité au sein des Vingt Sept
En tout état de cause, les Vingt-Sept risquent fort de ne pas être unanimes sur la réponse à apporter, certains étant traditionnellement plus rétifs à se mettre Pékin à dos.
L’Allemagne, en particulier, a tendance à craindre les éventuelles mesures de rétorsions de la Chine, à qui elle reste très liée économiquement, comme dans l’automobile. L’Espagne, dont le massif secteur des renouvelables dépend, par exemple, fortement des importations de panneaux solaires chinois, figure aussi parmi les États plus frileux.
D’ailleurs, il n’est pas dit que chacun verrait systématiquement ces surplus d’importations comme de mauvaises nouvelles. « Dans la mesure où les réorientations chinoises aboutissent sur davantage d’approvisionnements – possiblement à plus bas prix –, dans certains cas, elles pourraient être bien accueillies par les gouvernements en question. En particulier là où il y a peu, voire pas, de compétiteurs-importateurs dans le secteur (…) et que les producteurs domestiques ont un pouvoir excessif dans la fixation des prix », indique ainsi une récente note de Global Trade Alert.
Ses auteurs mettent plus globalement « en garde contre une exagération des craintes concernant des exportations chinoises qui seraient prêtes à envahir les marchés mondiaux à court terme », chiffres à l’appui. « La Chine a exporté 439 milliards de dollars [de biens] vers les États-Unis en 2024. La valeur totale des importations de biens par les pays autres que les États-Unis était proche de 22 000 milliards de dollars en 2024, selon la CNUCED. Par conséquent, si toutes les exportations chinoises vers les États-Unis étaient détournées vers des marchés tiers, globalement, les acheteurs en dehors des États-Unis devraient absorber seulement 2 % d’importations supplémentaires en valeur en moyenne », est-il calculé dans ce document.
Une concurrence déjà rude dans certains secteurs
Reste que le volume de produits détournés dépendra des pays, et que l’Europe, avec son vaste et riche marché, pourrait faire office de cible privilégiée.
Cela dit, la concurrence liée aux surcapacités industrielles chinoises est aujourd’hui déjà si forte sur le Vieux continent dans certains secteurs stratégiques comme l’acier ou l’automobile – où le marché américain était d’ailleurs déjà largement fermé aux produits chinois – que ce détournement pourrait en réalité y changer peu de chose.
De plus, dans d’autres filières, telles que l’électronique ou le textile à faible valeur, les producteurs européens sont de toute manière peu nombreux.
Les craintes les plus vives quant à une concurrence nouvelle concernent ainsi un nombre plus limité de secteurs, comme les machines-outils et la chimie. L’ampleur du risque dépendra aussi beaucoup des futures décisions de Donald Trump : si ce dernier décide de réintroduire ses tarifs suspendus à l’encontre de pays comme le Vietnam, la Thaïlande ou la Malaisie, au bout du délai de 90 jours, l’Europe a en effet de quoi trembler.