Que retenir du dernier Sommet bilatéral entre l’Union européenne (UE) et la Chine le 16 juillet à Pékin, le 20ème de ce type tenu à la veille de la signature à Tokyo du JEFTA (Japan-UE Free Trade Agreement), l’accord de libre-échange entre l’UE et le Japon ?
D’abord un nouveau signal politique fort de la part des deux blocs en faveur du libre-échange et contre la politique du bras de fer à l’attention de Donald Trump, qui rencontrait le même jour son homologue russe Vladimir Poutine à Helsinki lors d’un Sommet qualifié de désastreux sur le plan diplomatique pour le président américain par de nombreux observateurs. Et ensuite quelques avancées concrètes dans des domaines clés tels que la réciprocité en matière d’ouverture aux investissements ou le respect des indications géographiques, sans aucun doute favorisées par le climat de tensions instauré par l’administration américaine dans sa guerre tarifaire avec la Chine.
« Il est encore temps d’éviter le conflit et le chaos »
« Il est encore temps d’éviter le conflit et le chaos, a notamment martelé le président du Conseil Donald Tusk lors de sa rencontre avec le Premier ministre chinois Li Keqiang. Aujourd’hui, nous nous trouvons devant ce dilemme : de jouer des jeux agressifs comme par exemple une guerre de tarifs douaniers – ou bien de chercher des solutions communes basées sur des règles équitables ». « J’ai toujours cru fermement dans le potentiel du partenariat UE-Chine. Dans le monde d’aujourd’hui, le partenariat est plus important que jamais et notre coopération prend tout son sens », a déclaré de son côté le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.
Sur le plan économique, les deux blocs pèsent à eux seuls près d’un tiers de l’économie mondiale et pratiquement autant pour les échanges commerciaux. En 2017, les exportations de l’UE ont atteint 198 milliards d’euros pour les biens et 38 milliards pour les services. Plutôt qu’une guerre commerciale, ils ont donc décidé de travailler ensemble à une réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) rendue d’autant plus urgente que le système multilatéral est fragilisé par les attaques de l’administration américaine. Une façon de tourner le dos à la méthode Trump.
Le soutien à un système de commerce régulé « dont l’OMC est la base » est mentionné au point n° 8 de la longue déclaration commune publiée à l’issue du Sommet*, qui comporte pas moins de 44 points différents. Ce paragraphe annonce notamment la volonté des deux parties de « coopérer sur la réforme de l’OMC » et d’établir dans cet objectif « un groupe de travail commun » piloté à un niveau vice-ministériel.
L’UE, par l’intermédiaire de sa commissaire au Commerce Cecilia Malmström, travaille déjà sur un projet de réforme de l’OMC au sein d’un groupe de travail associant les États-Unis et le Japon. Son objectif est d’élaborer une proposition lors du Sommet des chefs d’État et de gouvernement du G20 prévu à Buenos Aires à la fin de l’année (30 novembre-1er décembre).
Le problème des aides d’État sur la table
Certains des souhaits de l’UE dans ce domaine ont été rappelés par Jean-Claude Juncker dans son discours lors du Sommet : « si l’Europe est ouverte, l’Europe n’est ni offerte ni naïve, a-t-il indiqué. L’Union européenne a l’obligation de protéger son industrie contre la concurrence déloyale. Et nous attendons de tous nos partenaires qu’ils s’en tiennent au respect des règles internationales et des engagements pris, notamment dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ».
Subventions et autres aides d’État font partie des sujets sensibles : « il faudrait, qu’au niveau multilatéral, la Chine et les autres pays se conforment à des règles plus strictes pour éviter aussi les phénomènes de surcapacité comme cela a été le cas dans les secteurs de la sidérurgie et de l’aluminium, a précisé le président de la Commission. De même, il serait important de revoir les règles sur les subventions d’État dans le secteur manufacturier ».
Avancées sur les investissements et les indications géographiques
Outre cette volonté commune de sauver un système de commerce multilatéral fragilisé, le Sommet UE-Chine a donné lieu à des avancées formelles dans de nombreux domaines, de la sécurité à la lutte contre le changement climatique au projet d’accord sur les investissement en passant par les projets de coopération autour des nouvelles Routes de la soie.
En dehors de la déclaration commune citée plus haut, huit actes concrets ont ainsi été conclus lors du sommet, dont plusieurs intéressent directement les relations économiques et commerciales entre les deux blocs. On citera notamment le premier échange formel d’offres sur l’accord global d’investissement en cours de négociation entre Bruxelles et Pékin, et un accord visant à conclure, « dans la mesure du possible, avant la fin du mois d’octobre », la négociation d’un accord sur les indications géographiques. L’UE est désormais pressante dans ces deux derniers domaines.
Face aux restrictions et contraintes mis en place par la Chine en matière d’investissements directs étrangers, les IDE européens en Chine, avec près de 6 milliards d’euros en 2017, ont diminué de pratiquement de moitié depuis 2014 et sont désormais cinq fois moins élevés que les IDE chinois en Europe (30 milliards d’euros en 2017).
« Un ambitieux accord global sur les investissements permettrait de rééquilibrer le manque de réciprocité entre l’Union européenne et la Chine », a indiqué Jean-Claude Juncker à ses homologues chinois. « La Chine, dont les entreprises sont de plus en plus compétitives, a tout intérêt à créer un climat d’investissement plus attractif et à mettre fin au transfert forcé de technologies imposé à 20 % des entreprises européennes présentes en Chine, selon le dernier rapport de la chambre européenne de commerce en Chine. Ce n’est pas la dynamique que nous souhaitons voir. Leur niveau n’est pas ce qu’il pourrait être ».
Même insistance sur les indications géographiques, dont le respect est cher aux Européens et une des clé pour lutter contre la contrefaçon et le piratage intellectuel : « un accord sur les indications géographiques permettrait d’approfondir notre relation commerciale tout en renforçant nos liens de confiance mutuelle et témoignerait clairement de notre adhésion commune aux règles internationales, notamment dans le secteur clé de la propriété intellectuelle », a notamment souligné le président de la Commission européenne.
Également à noter dans le domaine de la lutte contre le vol de propriété intellectuelle, l’adoption d’un plan d’action commun concernant la coopération douanière Chine-UE sur les droits de propriété intellectuelle (2018-2020) ainsi qu’un accord de coopération administrative stratégique et un plan d’action (2018-2020) entre l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et l’administration générale des douanes chinoises**.
Christine Gilguy
*La déclaration complète, en anglais, est téléchargeable au lien suivant : http://www.consilium.europa.eu/media/36165/final-eu-cn-joint-statement-consolidated-text-with-climate-change-clean-energy-annex.pdf
**Les autres actes concrets enregistrés lors de ce sommet sont : une déclaration des dirigeants sur le changement climatique et l’énergie propre; un accord de partenariat sur les océans; un protocole d’accord sur la coopération en matière d’économie circulaire; un protocole d’accord visant à renforcer la coopération en matière d’échange de quotas d’émission de gaz à effets de serre; un protocole d’accord entre le Fonds européen d’investissement et le Forum de la route de la soie confirmant le premier partenariat de coinvestissement mené au titre du nouveau fonds de coinvestissement UE-Chine.
Pour des détails sur tous les accords, consulter le communiqué de presse détaillé, qui fournit des liens vers les différents accords : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-4521_en.htm