David Frost, le ministre en charge du Brexit, a annoncé le 6 septembre que le Royaume-Uni prévoyait de prolonger – une troisième fois – la période de grâce, qui devait expirer 1er octobre, pour la mise en œuvre des contrôles douaniers sur certains produits alimentaires voyageant de la Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord. Si la Commission européenne a rappelé que Londres était « légalement tenue de respecter ses obligations », elle a toutefois garanti que « l’UE n’avait pour l’heure pas l’intention d’engager une nouvelle procédure d’infraction ».
« Une nouvelle guerre de la saucisse a été évitée », titrait le quotidien britannique The Telegraph. Cette nouvelle péripétie risque néanmoins de raviver les tensions entre Londres et Bruxelles et menacer la trêve fragile scellée avant l’été.
En cause ? Les contrôles douaniers que Londres s’était engagé mettre en œuvre en mer d’Irlande pour les marchandises transitant entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord.
Prévus dans le cadre du protocole nord-irlandais – dont l’objectif est d’éviter le retour d’une frontière entre la République d’Irlande, au sud, et la province britannique, au nord – la mise en place de ces contrôles avait déjà bénéficié d’une extension en mars puis d’un nouveau report, en accord avec Bruxelles, le 30 juin dernier.
Les deux camps avaient alors évité une interdiction d’importation de produits de viande réfrigérée depuis la Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord. Un épisode que la presse britannique avait résumé par la formule de « guerre de la saucisse ».
S’offrir une nouvelle marge de manœuvre
Outre-Manche il s’agit « d’offrir une marge de manœuvre pour d’éventuelles discussions supplémentaires, et de donner de la certitude et de la stabilité aux entreprises pendant la durée de ces discussions », s’est justifié David Frost dans une déclaration adressée au Parlement.
Refusant à ce stade de fixer une nouvelle échéance, il a confirmé que le gouvernement allait suspendre l’imposition de nouveaux contrôles et de nouvelles formalités administratives en Irlande du Nord, notamment pour les viandes réfrigérées, les colis et les médicaments.
De quoi inquiéter les responsables à Bruxelles qui soupçonnent, en coulisses, une manœuvre britannique « pour gagner du temps et éviter de mettre en œuvre les accords commerciaux post-Brexit ». Mais après avoir suspendu, en juillet, son action en justice à l’encontre du Royaume-Uni pour violation du protocole, la Commission rechigne toujours à recourir à la manière forte de peur d’envenimer des relations déjà difficiles avec le gouvernement de Boris Johnson.
Afin de prendre en compte les difficultés rencontrées par les citoyens et entreprises d’Irlande du nord, l’exécutif européen s’est donc dit ouvert au dialogue pour identifier « les solutions à long terme, flexibles et pratiques », indique un communiqué qui avertit toutefois qu’une renégociation du protocole était exclue.
Et c’est bien là que le bât blesse. Car si Bruxelles n’a cessé de rappeler ses lignes rouges, Londres continue de faire pression pour que « des changements substantiels et significatifs », soient apportés à l’accord post-Brexit. Les querelles sur le protocole risquant, selon David Frost, d’engendrer « une sorte de méfiance froide » entre les deux blocs qui « pourrait s’étendre à l’ensemble des relations ».
Dans ce bras de fer, Dublin préfère temporiser. Pays le plus concerné par les conséquences du Brexit, la République d’Irlande, toujours membre à part entière de l’UE, espère que cette initiative du Royaume-Uni favorisera la recherche d’une solution pérenne. « Il est important que nous profitions de la période d’extension pour nous mettre au travail et tenter de mettre en place des dispositions plus permanentes afin de garantir que le protocole soit plus facile à mettre en œuvre », a indiqué le vice-Premier ministre irlandais Leo Varadkar.
Pénuries amplifiées par la pandémie et difficultés d’approvisionnement
« Les difficultés auxquelles font face les Britanniques ne peuvent pas être ignorées », abonde un diplomate irlandais à Bruxelles. Depuis plusieurs semaines, en effet, un nombre croissant d’entreprises et de secteurs outre-manche font face à des pénuries, conséquences de la pandémie mais aussi du Brexit.
Chez le géant de l’ameublement Ikea, quelque 1 000 produits sont absents des rayons, soit 10 % de l’offre en temps normal. Dans certains fast-food les milk-shake ou les plats au poulet n’étaient plus disponibles en quantité suffisante.
Même chose pour le coca-cola qui risque de faire défaut auprès des consommateurs britanniques. Selon la firme américaine, c’est tout d’abord une pénurie de canettes liée aux difficultés d’approvisionnement en matières premières qui explique la situation.
A quoi s’ajoute un manque de main d’œuvre. L’association de transporteurs RHA (Road Haulage Association) estime le besoin actuel à environ 100 000 chauffeurs de camions. Une pénurie inédite de routiers qui menace pour de longs mois les livraisons, y compris dans les supermarchés.
Le phénomène n’est pas nouveau mais aurait été amplifié par les effets conjugués de deux crises majeures. La pandémie, d’abord, pendant laquelle les recrutements ont été gelés. Et le Brexit, ensuite. 20 000 chauffeurs originaires de l’UE ne seraient pas retournés au Royaume-Uni en raison de l’obligation, entrée en vigueur le 1er janvier, d’obtenir un visa de travail.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles