La « cuisine du monde » envahit nos assiettes. Qui n’a pas mangé dans un restaurant japonais, indien, vietnamien, marocain, qui n’a pas préparé pour ses amis un couscous ? Les mets du Japon, à base de soja, de poisson ou de riz, les cuisines pimentées de Thaïlande, les plats épicés d’Amérique latine ou d’Afrique donnent aux vins français de nouvelles occasions de se distinguer et de s’inviter sur les tables, en France et à l’étranger.
« Aux États-Unis, le développement phénoménal des ventes de rosé de Provence a été favorisé par l’influence qu’y exercent les cuisines latino-américaines et asiatiques, par l’essor de la consommation, hors repas et de toasts épicés », relate François Millo, directeur général du conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP). Le rosé s’adapte aisément à tous les mets de la world food : sushi du Japon, cuisine thaïlandaise ou tajine marocain, chili con carne mexicain. Notamment, le cabernet d’Anjou, vin souple et fruité, et le rosé de Provence, qui est vif, sec et aromatique.
« Le rosé est un vin de plaisir et d’affection. Sa rondeur, quand elle est bien mesurée avec un taux de sucrosité maîtrisé aux alentours de 13 degrés, permet d’enrober les aliments, tout en proposant de la fraîcheur », explique Nathalie Pouzalgues, œnologue au centre de recherche et d’expérimentation sur le vin rosé. Le rosé offre ainsi des notes de citron, d’anis, d’agrumes, de fleurs, de fruits exotiques bien adaptées à la cuisine asiatique. En outre, « servie à 10-12 °degrés, elle accompagne particulièrement bien les plats épicés », complète François Millo. Une des premières femmes à diriger un vaste domaine viticole, Françoise Rigord, a raconté son histoire dans un ouvrage, intitulé La Dame de Peyrassol. « Quand j’ai pris la direction de la Commanderie de Peyrassol en 1973, le vin produit était un tord boyau », y relate-t-elle. Aujourd’hui PDG de la société de conseil FDC Events, Françoise Rigord prépare un nouveau livre sur les mets et le vin. « La Provence offre aujourd’hui de très grands blancs et le rosé est devenu, selon elle, un produit d’équilibre, mariant harmonieusement l’acidité et le sucre.
Il s’adapte parfaitement adapté à la cuisine asiatique. »
« Pour que le rosé ne soit pas lourd, il faut une connaissance parfaite de son terroir », assure encore l’ancienne dame de Peyrassol. Il est, selon elle, plus difficile à produire que le rouge ou le blanc. Ilse Rieder, une Allemande implantée dans la région depuis plus de trente-cinq ans, propose, pour sa part, « un rosé gastronomique ». Situé sur les contreforts des Maures, à cinq kilomètres de Fréjus, le Domaine des Planes qu’elle gère produit chaque année 150 000 bouteilles, dont 20 % sont exportés.
« Nous vendons en Asie une petite quantité de rosé à base de mourvèdre, un cépage qui lui donne plus d’expression et donc plus de tenue sur un plat épicé, souligne Ilse Rieder. En outre, j’exploite un cépage très difficile et très peu cultivé, le tibouren, sous le nom de cuvée Tiboulen. Il s’agit d’un assemblage 90 % tibouren et 10 % grenache, qui apporte beaucoup de finesse. Ce rosé provoque une jolie explosion en bouche et sa finesse minérale persiste en bouche. »
En dehors du rosé, ce sont les blancs – mais pas exclusivement – qui se marient le mieux aux cuisines exotiques, en particulier les vins du Jura et d’Alsace. Les deux vignobles disposent aussi d’une palette large de cépages, donnant de bons accords sur des plats épicés. Pour le Jura, il s’agit du chardonnay, du savagnin et du pinot gris pour les blancs, du trousseau et du pinot noir pour les rouges. Quant à l’Alsace, ses vins proviennent de sept cépages : sylvaner, pinot blanc, riesling, muscat, pinot gris, gewurztraminer et pinot noir. Cépage typique de l’appellation Château Chalon, le savagnin, qui donne « le goût de jaune » en Jura, est parfait pour un sushi aux crevettes ou un bœuf au curry thaï, cuit dans une sauce au lait de coco. Il apporte un goût de noix, d’amande,
de pain grillé et de miel. Il est souvent associé au chardonnay. Ce cépage donne un vin floral, intéressant pour accompagner un poulet tandoori. « Les rouges doivent plutôt être servis sur des plats latino-américains ou africains », estime Jean-Charles Tissot, président du Comité interprofessionnel des vins du Jura (CIVJ).
Le pinot noir et le trousseau doivent être réservés à un chili con carne, alors qu’un poulsard peut être servi sur un tajine de veau. « Un rouge un peu plus léger et un peu plus frais, aux alentours de 11 et 13 degrés, donne de l’équilibre et de la finesse », commente Jean-Charles Tissot.
En Asie, notamment en Chine, où boire du vin, c’est boire du Bordeaux, le rouge est roi. Impensable pour des nez et palais français ! Les Chinois, dont la cuisine peut être très épicée, mais aussi sucrée, consomment du rouge, alors que, pour les Français et surtout les Alsaciens, le gewurztraminer, blanc réputé, serait plus adapté. « Ce vin de cépage enrobe et assagit sans détruire le goût, parce qu’on y travaille le gras, son côté épicé et son arôme », insiste Thierry Fritsch, œnologue en charge des conférences, de la formation et du grand Export au Conseil interprofessionnel des vins d’Alsace (Civa).
Le gewurztraminer est le résultat d’une addition de deux mots : gewurz, qui signifie épicé en allemand, et traminer, nom d’un vieux cépage. « Le gewurztraminer est le partenaire incontournable de la cuisine thaï, indienne, dans une certaine mesure, et du Sichuan, la région chinoise où les mets sont les plus relevés »,
affirme Thierry Fritsch. En Chine et en Inde, pour des plats plus doux, un pinot gris, vin puissant mais équilibré avec de l’acidité, convient mieux.
Imaginez un canard laqué, spécialité pékinoise, avec un pinot gris. Un régal ! « C’est la fusion totale, l’équilibre parfait entre épicé et sucré que l’on ne peut pas trouver avec un rouge », s’enflamme Thierry Fritsch. Le pinot gris peut aussi accompagner des plats pimentés ou agrémentés d’épices locales (poivre, cumin, cannelle…),
en Malaisie et en Indonésie. Jusque des viandes grillées à l’huile de sésame au Japon.
Ne nous y trompons pas ! En Asie, les cuisines sont parfois différentes. Les peuples n’y consomment pas toujours les mêmes épices. En Thaïlande, la citronnelle et le citron vert seront préférés. En Inde, on privilégiera plutôt la coriandre ou le gingembre. Le Japon est vraiment à part. De tout le continent, il est moins friand d’épices et de piments. « Les Japonais possèdent une vraie culture du cru et de l’aliment frit, ce qui les amène plutôt vers le pinot blanc, le riesling, voire le pinot gris », détaille Pierre Trimbach, directeur technique de la maison éponyme, qui revendique la place de numéro un alsacien au Japon.
« Si la vinification ne leur a pas apporté trop de sucre et s’ils ont conservé assez d’acidité, alors des gewurztraminers — par exemple, sur des gambas grillées avec un filet de citron et du miel — peuvent aussi plaire à des Japonais », assure Marc Tempé, propriétaire du domaine éponyme, un des pionniers du commerce de vins alsaciens au Japon.
La société Trimbach, à Ribeauvillé, vend surtout du sylvaner, un cépage moins réputé que d’autres en Alsace, « mais il répond au marché, qui n’est pas encore tout à fait prêt pour des vins à des prix élevés », observe Pierre Trimbach. Le Japon est le premier débouché extérieur de l’Alsace en Asie. Et ce pays est aussi un des rares dans le monde à acquérir autant de sylvaner. « Rien à voir avec la Thaïlande et Singapour, où nous livrons des vins plus chers, des gewurztraminers », indique Pierre Trimbach.
La société Trimbach travaille au Japon avec un gros importateur, la société Nippon Liquor. Les vins sont chargés dans des conteneurs, achetés notamment par des restaurants français à Tokyo (Rebuchon…). Les sylvaners sont consommés avec les sashimis et les sushis, poissons et crustacés crus avec une sauce relevée. De son côté, au Japon, Marc Tempé commercialise surtout des pinots blancs et des rieslings. Les pinots blancs conviennent particulièrement bien pour des plats à base de soja. Ils sont aussi versés sur des tempuras, beignets de viande, de légumes, de poissons ou crustacés, et des viandes grillées. C’est sans doute dans ce pays et en Thaïlande que les rieslings sont les plus appréciés en Asie. Dans ces deux États, ces vins blancs secs accompagnent poissons et crustacés. Les brochettes de crevettes façon thaïe sont un parfait exemple de cette association. Avant d’être grillées, elles sont arrosées de citron, de piment et de sel. Puis, elles marinent au frais. Un délice !
François Pargny