Dans ce pays de 160 millions d’habitants, l’activité croît de 7 % par an depuis 2003, une classe moyenne émerge et les institutions internationales soutiennent un État qui cherche à rattraper son retard dans les infrastructures. Malgré le risque politique, le business est florissant.
139 morts. On aurait pu rêver d’une meilleure publicité pour le retour de Benazir Bhutto, après huit ans d’exil. L’attentat, qui a fait 139 morts à Karachi, le 18 octobre a miraculeusement épargné l’ex-Premier ministre. Le Pakistan est un État fragile et jeune. C’est aussi – n’en déplaise aux Cassandre – un pays dont le pouls ne bat pas qu’au rythme des attentats. Quand on explique aux Pakistanais que les entreprises françaises craignent de se rendre chez eux en raison du terrorisme, c’est la passion qui anime leur visage. « Nous sommes un peuple religieux, mais pacifique. Il n’y a pas de fusil ici ! Ben Laden ne nous regarde pas par la fenêtre de mon bureau », s’insurge Ihsan Bari, directeur général de Bari Traders, représentant du groupe de semences Limagrain (60 % de parts de marché) à Lahore.
De fait, au premier abord, difficile de trouver plus tranquille que les rues d’Islamabad, de Karachi ou de Lahore ! Entre le simple passant qui vous interpelle juste pour vous serrer la main et le travailleur qui souhaite être photographié la pelle à la main, l’homme d’affaires français se sent en parfaite sécurité. Mais voilà, les événements politiques en Afghanistan, depuis l’invasion (1979) et le retrait (1989) de l’ex-Union soviétique, ont créé un terreau favorable à l’émergence du fondamentalisme au Pakistan. Résultat : en mai 2002, onze salariés de la Direction des constructions navales (DCN) ont trouvé la mort dans une explosion à Karachi. Récemment, à l’approche des élections présidentielles, qui se sont tenues le 6 octobre, les coups de force des extrémistes islamistes se sont multipliés. Avec comme point d’orgue, l’occupation de la mosquée Rouge en juillet.
Écoutez l’homme de la rue, discutez avec les milieux d’affaires : ils sont unanimes ! Les véritables responsables de la montée du radicalisme politique dans leur pays sont les Américains… Au passage, les Pakistanais pointent du doigt les médias et surtout la puissante chaîne CNN, accusée de présenter au monde une image déformée de la réalité. Le gérant d’un self-service dans le quartier de Fortress Stadium, à Lahore, résume ainsi l’état d’esprit général : « Les Américains, affirme-t-il avec humeur, ont entraîné, armé les talibans pendant l’occupation soviétique de l’Afghanistan, puis, quand l’Armée rouge s’est retirée, ils nous ont abandonnés. Maintenant, depuis les attentats du 11 septembre 2001 sur leur territoire, les États-Unis nous obligent à combattre à leurs côtés. Ils ont même donné de l’argent aux militaires qui nous gouvernent, mais l’armée plutôt que de développer le pays a préféré acheter des armes », s’emporte cet homme au franc-parler.
Sur le plan social, les indices en matière de santé et d’éducation sont catastrophiques. Le taux d’alphabétisation, par exemple, atteint juste 54 % et le président Musharraf, au pouvoir depuis 1999, fait face à une impopularité croissante. C’est, d’ailleurs, pour donner une image plus présentable de son régime que le général s’est allié au parti de la charismatique Benazir Bhutto. Il est vrai que les négociations ont largement été soutenues par Washington. Elles ont, notamment, porté sur le retour au Pakistan de Benazir Bhutto, exilée en raison d’accusations de corruption. Après la victoire de Pervez Musharraf au scrutin présidentiel (suffrage indirect), l’ancien Premier ministre (à deux reprises entre 1988 et 1996) va pouvoir maintenant préparer les élections législatives prévues fin janvier (suffrage direct). Avec l’espoir de redevenir chef du gouvernement.
Sur le plan économique, le gouvernement, dirigé par Shaukat Aziz, un ancien banquier de la Citibank, a engrangé des performances économiques remarquables. « Grâce à la politique libérale qu’il a menée, le Pakistan a connu une croissance moyenne de 7 % par an depuis 2003 », note Farzana Noshab, économiste à la Banque asiatique de Développement (Bad). « Aussi, quel que soit le résultat des élections législatives, le chemin est maintenant définitivement tracé », affirme Naushin Mahmood, directeur du Pakistan Institute of Development Economics (Pide). Bien sûr, reconnaît-il, « il faudra encore longtemps pour qu’une véritable politique de redistribution sociale et de lutte contre le chômage porte ses fruits ». Mais les progrès sont là. Nation de 160 millions d’habitants, le Pakistan est aujourd’hui classé par la France dans le club des nations émergentes en Asie. Et, du coup, se retrouve aux côtés de la Chine, de l’Inde ou de Singapour.
De notre envoyé spécial François Pargny
Attention à vos déplacements dans le Nord-Ouest et le Cachemire !
Qui a peur des talibans ? Certainement pas Total, qui, avec son partenaire local Parco, va ouvrir une station service à Torkham, près de Peshawar, capitale de la province du Nord-Ouest, non loin de la frontière avec l’Afghanistan. Plus à l’est, dans le Cachemire, les entreprises françaises s’entourent de toutes les précautions possibles en matière de sécurité, avec notamment l’instauration de zones de sûreté autour des grands chantiers.
« Les Chinois n’appliquent pas les mêmes normes et les pertes humaines sont régulières », déplore Saleem Jilani, le patron de la société pakistanaise Jiltech Engineering, qui représente Alstom. Vinci Construction est très actif dans la région. Le constructeur français est barrédans les travaux routiers par les entreprises chinoises, moins disantes, et les sociétés locales, disposant de l’expertise nécessaire. « C’est pourquoi le groupe se concentre aujourd’hui sur les grands projets dans l’eau et l’énergie », révèle Muhammad Adnan Ali, responsable pays du constructeur. De fait, le potentiel est énorme. « Les Français possèdent le savoir-faire, mais ont peur de prendre des risques », s’étonne, pour sa part, Syed Hussain Gardezi, directeur du développement du groupe de construction Sachal.
Et de citer le cas du barrage de Neelum-Jhelum, un projet d’un montant de 2 milliards de dollars comprenant 56 kilomètres de tunnels dans la roche, non loin de la ligne de contrôle du Cachemire entre le Pakistan et l’Inde. Malgré son expertise, Vinci Construction n’a pas gagné le marché. Mais voulait-il véritablement l’emporter, murmurent certaines voix ?
Selon ces observateurs avisés, le risque humain aurait été trop grand, le chantier se situant « à portée des fusils indiens » et nécessitant la venue d’une soixantaine d’expatriés. Vinci aurait même refusé de travailler comme sous-traitant de l’adjudicataire chinois.
F.P.